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Contre-réformes et mobilisations de 2003

10 juin 2003, 13 heures : le Journal de TF1 pris en otage par les usagers

par Henri Maler,

Présentateur de « Combien ça coûte ? », émission de divertissement destinée à défendre les contribuables, Jean-Pierre Pernaut est aussi le présentateur du Journal Télévisé de 13 heures sur TF1, émission de pure information destinée à défendre les usagers contre les grévistes. 10 juin 2003, jour de grèves et de manifestation. Dès 13 heures, Jean-Pierre Pernaut se laisse courageusement prendre en otage par les usagers.

Décrypter, c’est commenter.

D’abord les « prévisions météo d’Evelyne Dehlia ». Des prévisions de Météo France, généreusement attribuée à leur présentatrice ! TF1 est attaché au service public, jusque dans les moindres détails...

Et notre brave Jean-Pierre Pernaut (JPP), d’enchaîner : « Premier titre d’un journal : encore une journée d’action alors que le débat commence aujourd’hui à l’Assemblée Nationale. Mais d’abord l’enseignement et la grogne de nombreux parents ».

I. « Mais d’abord l’enseignement et la grogne de nombreux parents »

Commence alors une longue séquence qui s’ouvre par l’accumulation des malheurs qui se sont abattus sur le village d’Aramon dans le Gard : « après les inondations, après la neige, après les vacances, c’est la grève qui...  »

 Suit alors le reportage qui vient de nous être présenté. Une mère de famille vient « vérifier si ses deux enfants ont cours  », devant l’une des 3 maternelles en grève sur les six que comporte le village : « Une maman très en colère (...) Elle a de quoi, disons, être énervée ».
« Une catastrophe de plus », commente le journaliste, qui poursuit, quelques phrases plus loin : « Trop, c’est trop, surtout dans un village qui a connu l’enfer ». Car les habitants « exigent une scolarité normale pour leurs enfants ».

- « Vous en avez un peu assez ? », demande le journaliste à un « témoin »
- « Y en a un peu ras-le-bol. Ici on se sent pris en otage par les deux parties, que ce soit le gouvernement ou les enseignants », répond celui-ci avec un large sourire.

Conclusions : « Des enfants privés d’école depuis des semaines ». « Ici 100 familles vivent encore dans des Mobil-Home »

 JPP peut servir la suite : « Cet après-midi table ronde au Ministère avec les syndicats. » Pour parler de quoi ? Qu’importe. Un seul enjeu : passe ton bac d’abord. « Des épreuves du BTS à Lille ont eu lieu malgré des piquets de grève à l’entrée du lycée. » Présentation un tantinet dramatisée qui ne correspond pas au « sujet » qui suit.

 Reportage à Lille : « Ils sont une poignée d’enseignants grévistes à distribuer des tracts tôt ce matin (...) ». Les étudiants « ne savent pas si l’examen aura lieu (...). Tout compte fait les oraux ont eu lieu normalement. Plusieurs professeurs, c’est vrai, étaient réquisitionnés ».

- Suit alors un bref entretien avec un professeur de physique appliquée qui affirme que si les négociations ne débouchent sur rien, « on risque d’avoir une généralisation de la colère ». Et le journaliste de reprendre : « Une exaspération que clament les milliers de manifestants dans les rues de Lille. »
- Une enseignante exige que le Ministère : « fasse appel aux personnels non grévistes ».

 Retour en plateau. JPP, qui n’écoute ni ne regarde ce qu’il présente, ne lâche pas son fil : « Avec ces grèves et ces menaces sur les examens, (...) beaucoup de parents sont même exaspérés. »

 Suit un reportage qui donne la parole à plusieurs parents et lycéens :
- Une mère de famille fait état de ses inquiétudes : « stress » des élève, report des épreuves et « surtout », dit elle, la menace de surnoter les copies qui risque de dévaloriser le diplôme. Le journaliste souligne : « La crainte essentielle est de voir l’examen annulé ou reporté. »
- Un autre parent d’élève redoute les retards des inscriptions.
- Une lycéenne témoigne de son « stress »
- La mère de famille revient à l’écran pour annoncer qu’elle accompagnera son fils jusqu’à la porte de la salle d’examen.

Et le journaliste de poursuivre, avant de conclure : : « Face à l’incertitude qui plane sur l’épreuve de philo, des dispositions ont été prises (...) Seul espoir (sic) auquel s’accrochent les lycéens : certaines épreuves on déjà eu lieu dans de bonnes conditions.  »

 Au tour de Jean-Pierre Pernaut : « Et on arrive maintenant à la journée d’action d’aujourd’hui ». On se doute que cette arrivée tardive sera triomphale.

II. « Et on arrive maintenant à la journée d’action d’aujourd’hui »

 « C’est la sixième du même type », souligne aussitôt d’un air las notre brave JPP. Inutile de s’appesantir sur les objectifs des grévistes et des manifestants. L’essentiel est ailleurs : « Nombreuses perturbations ». Autrement dit : « Une nouvelle journée de galère pour des millions de parisiens. »

 Suit un reportage qui nous entraîne successivement :
- Gare Montparnasse : 1/3 du trafic normal. Trois témoignages nous informent des difficultés de trouver des correspondances
- Dans le métro : « Et dans le métro, c’est un peu le jeu de la roulette. Parfois d’un quai à l’autre, les temps d’attente varient de 5 mn à un quart d’heure ». Mais « Pas de colère vive, plutôt la lassitude ». (...)
- En surface : « La circulation était parfois égale à celle des autres jours, voire plus fluide. A croire qu’avec ces grèves à répétition, les Parisiens ont appris à anticiper. » Fin.

 Retour en plateau : JPP ne peut pas laisser passer le commentaire désinvolte de son confrère et rectifie aussitôt : « Il y avait quand même 200 km de bouchons ce matin et beaucoup de gens furieux. ».

Sur les grévistes, pas un mot, quand JPP passe aux manifestations, en soulignant les blocages qu’elles ont provoqués à Guéret, à Limoges et ailleurs. Puis : « Petit tour de France de quelques manifestations du matin ». Un tour de France, vraiment tout petit...

Commentaire de quelques images par une journaliste avisée :

- A Marseille : « Comment paralyser complètement le centre de Marseille ? Eh bien, les syndicats ont trouvé la solution. avec quatre manifestations différentes qui quadrillent l’ensemble des rues de la ville  »
- « Tours n’échappe pas à la règle ».
- A Rennes : « Moins de professeurs et plus de salariés du privé ».
Et pour finir une liste de villes. Pas d’images, pas de récits, pas de micro-trottoir. Rien.

 Retour en plateau. Jean-Pierre Pernaut : « Autre grève liée elle aussi à la réforme des retraites : la grève des éboueurs »

III. « Autre grève, liée elle aussi à la réforme des retraites : la grève des éboueurs »

Pour connaître les motifs de la grève et les revendications des grévistes, entendre quelques-uns d’entre eux ou leurs représentants syndicaux, inutile de patienter : pas un mot, pas une image, pas un micro-trottoir. Les éboueurs sont des fantômes.

 Reportage à Bordeaux où « les poubelles ne sont plus ramassées depuis six jours »
« Les ordures s’entassent » : les images le montrent... abondamment. L’odeur est difficilement soutenable : un témoin vous l’explique. Une dame proteste : « C’est dégueulasse : on paie des impôts et voilà, on nous laisse dans la merde  ».

Et pour finir : « Les restaurateurs ne peuvent pas évacuer leurs déchets. (...).Ce n’est pas la meilleure façon d’attirer la clientèle. Pire : ces commerçants sont menacés d’amendes car ils n’ont pas le droit de mêler leurs déchets. (...) ». Conséquence : « Certains maires (...) pourraient organiser des ramassages privés ».

 Retour en plateau. Jean-Pierre Pernaut : « Quand on évoque toutes ces grèves, on les évoque avec ce qui est le plus spectaculaire, comme on vient de le voir, avec les éboueurs et surtout avec les grèves dans les transports. Cela dit comment vit-on de telles journées d’action dans des villes moyennes  »

IV. « Comment vit-on de telles journées d’action dans des villes moyennes »

« Un exemple : à Beauvais ». Reportage :

« En apparence, la vie s’écoule normalement  », commente le journaliste qui interroge un habitant :
- « Qu’est-ce que vous en pensez de ces grèves ? »
- « Ça va bien un moment. Mais ça commence à bien faire  », répond le « client » souriant.

Et le journaliste de commenter « Le sourire, c’est bien la réaction la plus courante, ici », avant de poursuivre : « On s’organise et notamment à la Poste où les non grévistes étaient majoritaires pour faire tourner les guichets. Et c’est ainsi dans toutes les administrations de la ville. ». Deux problèmes cependant : la sortie des écoles et le retour des beauvaisiens qui travaillent à Paris.

A Beauvais, apparemment, pas de grévistes à interroger pour ce reportage tout en nuances.

V. Des grèves sans grévistes ?

 Retour en plateau. Jean-Pierre Pernaut annonce : « 28% de grévistes à la SNCF selon la direction. C’est moins que la semaine dernière. Même chose dans l’Education Nationale : entre 16 et 35 % de grévistes parmi les enseignants selon le Ministère ». Et hop ! C’est officiellement dit. On peut revenir sur l’essentiel :

« Tout à l’heure, on évoquait la colère des parents d’élèves ou des usagers des transports. Les retours du week-end de la Pentecôte on souvent été une galère, on l’a vu hier soir. Des usagers commencent à se rebiffer ici et là, par exemple à Amiens dans la Somme en fin d’après-midi  ».

Ce sera la seule manifestation annoncée, sabre au clair et au pas de charge, avant de poursuivre : « Des grèves qui coûtent cher à beaucoup de salariés du privé qui sont tributaires des transports en commun (...) »

 Reportage. « Il y a ceux qui sont vraiment pénalisés ». Suivent les témoignages d’un chauffeur-livreur et d’une femme dont le mari a pris quatre jours de RTT. « Et il y a ceux qui se débrouillent comme ils peuvent. » Suivent les témoignages des employés et du patron d’un restaurant parisien.

VI. « Quelques entreprises donnent l’exemple ».

 Retour en plateau. Rappel des mesures prévues d’augmentation de la durée de cotisation. Et cette liaison de JPP : « Pour beaucoup, c’est un paradoxe (sic), alors que les entreprises ont tendance depuis longtemps à exclure du marché du travail ceux qu’on appelle les seniors (...) Le gouvernement veut inverser la tendance. Quelques entreprises donnent l’exemple »

 Reportage sur l’emploi des « seniors ». Deux cas exemplaires : un fraiseur expérimenté ; un cadre consultant d’une petite entreprise d’électronique. Le commentaire souligne que ce sont des exceptions. Mais « on » espère qu’ils seront plus nombreux.

Et après cette bouffée d’optimisme, la conclusion : « Voilà donc pour la page sociale de ce journal, aujourd’hui encore très chargée ».

Fin de la prise d’otages. Que dire de plus sur le spectacle mis au service de la propagande ? JPP a lui-même rédigé l’essentiel du commentaire : « Quand on évoque toutes ces grèves, on les évoque avec ce qui est le plus spectaculaire, comme on vient de le voir  ».

 
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