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Deux journalistes dans le vent

J.-P. Elkabbach et J.-L. Gombeaud, avocats du gouvernement et du G8

par Henri Maler,

Sur Europe 1, les zélateurs du libéralisme tiennent le micro. Les contestataires n’ont qu’à bien se tenir.

 1. Jean-Pierre Elkabbash interroge Gérard Aschiéri, secrétaire général de la FSU, sur Europe 1. Voici la transcription de quelques-unes des questions posées, effectuée par Daniel Schneidermann [1].

" Qu’est-ce que vous voulez de Jean-Pierre Raffarin et de ses ministres qui vont tous s’occuper de vous " ? - " Est-ce que là, devant nous vous demandez à tout les enseignants de faire passer le bac  ? " - Et comme Gérard Aschiéri s’y refuse : " Pourquoi vous ne dites pas, " Non il ne faut pas bloquer les examens ? Les parents attendent, les enfants attendent " - Pourquoi vous n’éteignez pas le feu ? " - " Est ce que vous comprenez que les politiques, qui ont été élus, jouent bien tout leur rôle ? " - " La décentralisation, c’est un peu moins de pouvoir pour vous, c’est pour ça que vous n’aimez pas. " - " Ca s’appelle chantage ", etc.

Quelques jours plus tard l’avocat du gouvernement plaide à nouveau, en faveur de la mondialisation libérale, cette fois.

  2. " Un peu de couleur et d’aération " annonce Jean-Pierre Elkabbach avant de déchaîner la première " page de pub " au milieu des propos de Jacques Nikonoff, interrogé par Europe 1, le dimanche 1er juin 2003.

A croire que l’entretien avec Jacques Nikonoff est incolore et étouffant. Mais le style mercantile et méprisant de l’inusable Elkabbach n’a pas fini d’ensoleiller l’entretien.

Elkabbach à Nikonoff : " Vous n’existez qu’en vous opposant un peu comme des parasites créatifs. [...] Vous vous nourrissez d’eux [du G-8]. ".

Qui oserait répondre à Elkabbash, publicitaire "créatif " du patronat et de tous les pouvoirs, qu’il est, non leur parasite, mais leur auxiliaire ? A moins qu’il ne soit qu’un parasite auxiliaire… En tout cas, on ne se souvient pas, et pour cause, que Jean-Pierre Elkabbach ait reproché aux patrons d’être des parasites qui vivent aux dépens de ceux qu’ils emploient et à Jacques Chirac, chargé de communication en direction des altermondialistes, de tenter de se nourrir de ceux qui le contestent.

Et comme preuve don son indépendance, le dit Elkabbach, relance la pub au moment précis où Nikonoff vient de dénoncer la marchandisation : " Une page de pub. On ne fait pas de la marchandisation du produit qu’est l’actualité. Mais il en faut. Une page de pub, puis les titres.".

Après la deuxième "plage de publicité", Nikonoff évoque la " déconstruction de l’idéologie néolibérale.". La "déconstruction " des propos d’Elkabbash aurait pu en fournir un assez bel exemple de " déconstruction ", d’autant que notre bon inquisiteur n’en a pas fini avec le " débat " sur les "parasites" :

Elkabbach interroge : Quel est le montant de la subvention du gouvernement à Attac ? [...] Ce qui est extraordinaire c’est que les gouvernements, même de droite, financent qui les contestent.

Il a tout compris, Elkabbach  : à ses yeux, l’agent public appartient aux gouvernements ! Et il n’est pas extraordinaire qu’ils en disposent comme d’un bien privé ! Personne ne se souvient, et pour cause, d’avoir entendu Elkabbach s’étonner de innombrables cadeaux que l’Etat a faits à Lagardère, en commençant par la vente à bas prix d’Aérospatiale.

On est donc obligé de rappeler ici que Elkabbach est PDG de la chaîne parlementaire du Sénat. Il touche de son propre aveu près de 140 000 euros par an, « payés par les contribuables », comme disent les adeptes des baisses d’impôts … sur les hauts revenus. Ajoutons que le même Elkabbach, hier conseiller média d’Arnaud Lagardère, l’est sans doute encore de son fils [2].

Mais revenons à « l’entretien » avec Jacques Nikonoff, pour relever une dernière trouvaille. Jean-Louis Gombeaud (quand Nikonoff dénonce la démolition de l’Etat social) : " Tout ce que vous dites, on a l’impression qu’il y a un immense complot. ". Mais non, M. Gombeaud : l’ordinaire des politiques libérale ne relève pas plus d’un complot que l’ordinaire de la domination médiatique dont vous êtes un rouage.

Dommage que Jacques Nikonoff qui a su reprocher aux médias de trop insister sur les violences lors du contre sommet d’Evian n’ait pas eu la présence d’esprit de rappeler à ses interlocuteurs ce qu’est l’ordre médiatique dont ils sont les servants.

 3. Et puisqu’il est question de Jean-Louis Gombeaud, voici ce que Serge Halimi, provoquant ainsi la sortie outragée du susdit, rappelait au cours d’un débat à la Sorbonne en avril 2003 :

« Jean-Louis Gombeaud a été membre du PCF, responsable important de sa section économique. Après avoir pensé qu’il fallait nationaliser Hachette pour " mettre un terme au poids des monopoles de la presse ", vous avez changé d’avis. Et confié, je vous cite, qu’au PCF " ma vision de l’économie était pour le moins orientée. J’ai tout arrêté en 1979. J’étais enfin en paix avec moi-même. J’ai compris que le marché a ses propres lois contre lesquelles on ne peut rien. " (Le Nouvel Observateur, 13.12.01.) Vous êtes désormais à Europe 1 et au Figaro.

Lois contre lesquelles on ne peut rien. Ou contre lesquelles on ne veut rien faire. Ou encore contre lesquelles on ne peut plus rien faire depuis qu’on nous a convaincus qu’il fallait que les Etats cessent d’agir en se déparant de la politique monétaire, de la politique budgétaire, d’un secteur public puissant etc.

Justement, parlons du secteur public, des entreprises publiques. Le 11 février 1999, Jospin et Gayssot annoncent qu’ils vont brader Aérospatiale à Lagardère. Vous semblez être content. Vous dites, je vous cite : " Pour ce qui est d’Aérospatiale, il était temps. Car on n’imaginait pas la France faire tapisserie dans le bal des restructurations des industries européennes d’armement. Maintenant, le numéro deux européen, cinquième mondial est ici, pas ailleurs. "

Entendu sur Europe 1, ce commentaire vous l’avez, je crois enregistré, dans un studio nommé … " Lagardère. ". " Ici et pas ailleurs " … On ne pouvait pas mieux dire. Moi, je ne trouve pas que votre discours soit moins orienté qu’à l’époque où vous étiez l’un des cadres du PCF. Mais, simplement, il emprunte à présent les chemins de la " politique de dépolitisation " dont parlait Bourdieu. C’est comme ça. C’est comme ça que le monde tourne. On n’y peut rien. »

 
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Notes

[1Le Monde Télévision, samedi 31 mai 2003, p. 2. Daniel Schneidermann ne précise pas la date de " l’entretien ".

[2Sur Europe 1 et la mort de Lagardère, voir Pour Lire Pas Lu n°14, p. 11.

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