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G8 et contre-G8 à Evian

Peur sur la ville avant le G8 : La Tribune de Genève se justifie

par Claude Leroux,

Pendant plusieurs mois, la plupart des médias suisses ont entretenu un climat de psychose sécuritaire autour de la préparation des manifestations contre la réunion du G8 à Evian.

Le 21 mai 2003, La Tribune de Genève a publié un article d’Antoine Maurice : « Impression de bégaiement médiatique. » Pitoyable tentative de justification du traitement sécuritaire de la préparation du G8, et véritable bréviaire du « sensationnalisme ». Explication de texte, phrase après phrase.

Le début est assez pittoresque :

« Une semaine avant, les journaux étrangers sont encore pauvres d’articles sur le G8. Quand ils en parlent c’est pour évoquer le contenu des discussions et les préparatifs des sherpas (les hauts fonctionnaires qui précèdent les chefs sur le chemin du Sommet). En France, qui reçoit le Sommet et espère bien en faire un succès diplomatique post-Irak, rien n’est dit sur les questions de sécurité pour laquelle néanmoins des compagnies de CRS emplissent placidement Evian et ses alentours. Cette nonchalance contraste fortement avec ce qui s’écrit et se voit en Suisse, particulièrement à Genève, sur les dérapages possibles des manifestations. »

Ainsi, évoquer le contenu des préparatifs du G8 (pour ne rien dire de celui des manifestations), au lieu de parler des « dérapages possibles des manifestations », c’est faire preuve de « nonchalance ». A quoi s’oppose le sens du spectacle.

Eloge du spectacle

Evidemment, les « dérapages possibles des manifestations », c’est à l’exclusion des forces de polices, les « dérapages possibles » des seuls manifestants :

« On raconte que des milliers, puis des dizaines de milliers, enfin des centaines de milliers de manifestants afflueront de toute l’Europe au bord du Léman et poseront un grave problème d’accueil et d’ordre aux autorités locales. Les "black blocks" pourraient surgir dans la foulée : les casseurs qui ont parasité ce genre de manifestations au cours des dernières années. »

Encore ne s’agit-il, précise le sous-titre que d’un « Affrontement virtuel. ». Mais le virtuel mérite toute notre attention : « Les médias ont mis l’accent sur cet aspect et d’un point de vue purement événementiel elle a eu raison. ».

A cela, une raison éminemment politique qui, curieusement, coïncide avec le goût médiatique pour le spectacle. : « Dans la confrontation entre le mondialisme et l’altermondialisme, l’aspect spectaculaire est plus significatif que le fond. ».

Cette sentence ayant besoin de quelque justification, celle-ci vient immédiatement après :

« Le G8 n’a depuis trente ans pas de véritable rôle décisionnaire ; s’il en avait, cela se saurait. On s’y contente d’évoquer, sur un mode généralement rhétorique, l’économie mondiale et les menaces qui pèsent sur elle. On émet en termes forts mais vagues un consensus libéral suffisamment flou pour qu’il n’engage les Gouvernements à rien. »

Qu’importe dès lors si cette concertation produit des effets symboliques et politiques lourds de conséquences : il suffit de constater qu’il n’y a pas officiellement de décisions. Du coup, le contenu même des discussions et leurs enjeux n’importent guère. Il ne reste que le spectacle :

« Le nombre et la visibilité des manifestants, face à l’invisibilité et l’élitisme des participants forment un contraste saisissant pour l’opinion publique. Il devient ainsi le principal enjeu du Sommet. (…). ».

L’opinion publique, cette increvable référence au nom de laquelle prétendent parler non braves commentateurs, serait saisie par un « contraste » qui curieusement légitime que l’on laisse dans l’ombre la face invisible (l’élite qui participe au sommet) pour privilégier la face visible (les redoutables manifestants, qui opposent leur « nombre » à « l’élitisme »).

Car la face visible est redoutable, comme l’avoue un second sous-titre : « La peur ». Avant d’enchaîner aussitôt : « Vu de Suisse, il était donc normal que la crainte du débordement, autrement dit la peur, soit une invitée principale. ».

Thérapie et prophétie

Une fois la peur consacrée comme « invitée principale » - à l’exclusion de l’élite invisible et du nombre visible - tâche des journaliste est aussitôt fixée :

« Il revient aux médias d’élaborer cette peur comme anticipation rationnelle et malheureusement justifiée, autant que comme émotion. ».

Essayons de comprendre cette phrase aussi bancale que prétentieuse. Est-ce la peur de « l’opinion publique » ou son élaboration journalistique qui serait à la fois une anticipation rationnelle et une émotion ? Nul ne sait. Mais, au fond, c’est sans importance : on cultivera l’émotion et la raison, indistinctement mélangées. On jouera donc de la peur …

Et on la mettra en scène : « Les médias mettent en scène un sentiment difficile à exprimer mais bien présent dès le début chez les populations concernées comme chez les autorités.  »

On remarquera au passage que du coté des opposants au G8, n’existe nul sentiment (et a fortiori nul argument). Mais le plus beau est à venir :

« L’alarme ainsi déclenchée conduit ces dernières [les autorités] à se saisir du problème et à répercuter leur appréhension dans la tringlerie compliquée des prises de décision fédérales. Dès lors, si les choses se passent mal "on l’aura bien dit", même si les prophètes de malheur ne sont pas populaires. Si les choses se passent bien, on pourra cependant imaginer que les informations et analyses des médias auront contribué au succès du Sommet. »

L’aveu est fugitif, mais limpide. Tous les prétendus arguments précédents n’avaient qu’un objectif : rétrécir suffisamment la fonction du journalisme, pour la réduire à une seule. : déclencher l’alarme, et pour cela l’entretenir. .. de telle sorte que les médias aient inévitablement raison, en s’attribuant selon les éventualités, le rôle de prophètes (impopulaires !) ou d’auxiliaires de la victoire. Mais de qui ? De l’élite invisible : car si l’ordre règne, « les informations et analyses des médias auront contribué au succès du Sommet. ». Pas question de contribuer aux succès des manifestants, tout de même !

En attendant, le journalisme de la trouille et du maintien de l’ordre doit entretenir le « suspense », véritable nom de « l’incertitude », comme le dit le dernier sous-titre. Car l’événement ne mérite ce titre que ’il est « spectaculaire » et « vendeur ». Comme on peut le lire dans la phrase qui suit :

« Comme le disait récemment un journaliste perspicace, Roger de Weck, ce qui fait peur aux médias ce n’est pas l’événement mais l’absence d’événement, qui les prive de leur fonction et de leur viabilité économique.  ».

Il fallait donc élaborer « ce qui fait peur aux médias », comme anticipation rationnelle et comme émotion, en construisant l’événement comme un scénario inquiétant, mais en affirmant qu’il s’est « fabriqué » tout seul :

« En l’occurrence, l’événement s’est fabriqué non pas tant autour du Sommet que sur un chiffre spéculatif, puis fortement calculé, mais resté incertain pour l’ensemble des acteurs : celui du nombre des manifestants. Y aura-t-il surnombre et débordement ? L’impression de répétition et de saturation médiatique ressentie par certains vient du martèlement de cette incertitude centrale. Toute la couverture pré-G8 vise à la dissiper. Elle n’y parvient pas, puisqu’on ne saura pas l’ampleur de la contestation avant le Sommet lui-même.  »

L’événement suivant est déjà prévisible : « absence de débordement » miraculeux ou « débordement » catastrophique. Pour le reste : rien à cirer ?

 
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