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Zemmour et l’existence des « races », suites… (avec vidéos)

par Henri Maler,

Sur Arte le 13 novembre 2008, invité de l’émission « Paris-Berlin, le débat », intitulée ce jour-là « Demain, tous métis ? », Eric Zemmour avait donné toute la mesure de son ignorance et de son arrogance en soutenant que les races existent au sein de l’espèce humaine. Nous nous serions volontiers privés de revenir sur ce que nous avions écrit et montré à ce propos dans un article précédent : « Éric Zemmour réhabilite les « races ». Mais les suites médiatiques de cet article ont réservé quelques surprises.

Droit de suite (1) : L’émission intégrale

A la suite de la diffusion de « Demain, tous métis ? », Vincent Cespedes, autre invité de l’émission, a envoyé un « droit de réponse » qui a été mis en ligne sur le site d’Arte. On ne peut que s’en féliciter et suggérer que, à chaque fois que des invités estiment qu’ils ont été maltraités au cours du tournage ou lors de son montage, ils puissent disposer d’un droit de suite sur toutes les chaines…

Que disait Vincent Cespedes ?

« […] Je déplore que mes interventions aient considérablement fondu au montage final (…). Si ma mémoire est bonne, j’ai largement fait ce travail sur le plateau. Relevant ses amalgames – distinguant par exemple le “phénotype” et la “race” –, j’ai pointé son manque de probité intellectuelle, dénoncé ses provocations et ses affirmations péremptoires, soutenu en cela par Renan Demirkan et Rokhaya Diallo, mais aussi par un public proprement scandalisé, qui a d’ailleurs pris à parti M. Zemmour. Je déplore que l’on ait choisi de tronquer le cœur de la polémique pour mettre en scène le débat en le soumettant à des impératifs superflus (égalité des temps de parole, télégénie d’un duel Blanc/Noire, crédibilité du polémiste Eric Zemmour à maintenir à tout prix parce qu’il en va de la crédibilité du “casting” et du débat lui-même, etc.). Le montage final fausse la réalité du débat que nous avons eu. Toutefois, la mémoire étant sélective, subjective et faillible, le « buzz » autour de l’émission gagnant chaque jour de l’ampleur, je demande au diffuseur (Arte) et au producteur (2P2L) de bien vouloir mettre en ligne l’intégralité de l’enregistrement, ou, à défaut, une retranscription fidèle et exhaustive des échanges. Autrement dit : de faire fi du spectacle au profit du sens. »

Non seulement Arte a publié ce droit de réponse de Vincent Cespedes, mais les producteurs et le diffuseur de l’émission ont fait droit à sa demande en rendant publique la totalité de l’émission avant son « montage » [1]. On ne peut que les en féliciter et s’en féliciter, et suggérer une seconde disposition : que toutes les émissions qui ont fait l’objet d’un montage soient mises à la disposition du public, pour qu’il puisse évaluer les choix, inévitables, qui ont été effectués.

Droit de suite (2) : Quelques citations

Mais le producteur, dans sa réponse, soutient que les choix inévitables étaient anodins. Or Vincent Cespedes propose sur son blog une comparaison (disponible en fichier .pdf) entre la version initiale et la version diffusée qui permet, pour le moins, d’en douter ...

A titre d’exemples, voici deux extraits coupés au montage (dont on peut lire la transcription en « Annexe »)...

Entre-temps, Eric Zemmour, que l’on entend et voit presque partout (le Figaro, RFO, France 2 dans l’émission « On n’est pas couché », sur I-télé…), a lui aussi bénéficié d’un droit de suite, notamment sur RFO (Radio France Outremer) dans l’émission « L’Hebdo » du 22 novembre 2008 intitulée « Race, le mot et la chose ».

… Au cours de laquelle on apprit qu’Eric Zemmour s’informe sur l’existence des races, en révisant, avant de participer à l’émission, la définition du mot race dans le Petit Robert, et que, pour l’essentiel le problème vient de la charge émotionnelle du mot race, puisque la science change tout le temps… alors que l’ignorance reste stable.

Droit de suite (3) : l’existence des races

Sans revenir – ce n’est pas directement le propos de la critique des médias – sur le fond du débat, on ne peut être que stupéfaits de la confusion entre la question de la définition du mot « race » et celle de l’existence des races. Les mots « Dieu », « anges » ou « démons » ont, comme le mot « race », une ou plusieurs définitions : mais l’existence de ces mots et leur définition ne sont quand même pas une preuve de l’existence de Dieu, des anges ou des démons.

De même que l’on ne peut être qu’abasourdi d’entendre (au cours de l’émission d’Arte) que nier l’existence des races relève de l’idéologie… sous prétexte que la science n’a pas tojours tenu le même discours sur le sujet (entendu sur RFO). A ce compte, c’est de l’idéologie d’affirmer que la terre n’est pas aussi plate qu’on aurait pu le croire et que la terre ne tourne pas vraiment autour du soleil…

Mais que faire de Zemmour et de sa non-idéologie ?

Droit de suite (4) : Sanctionner Zemmour ?

A peine notre article avait-il été repris par le nouvelobs.com, puis présenté dans une version modifiée [2] que SOS-Racisme, suivi quelques jours plus tard par le Mrap et par le Cran demandait l’interdiction de Zemmour et le menaçait de poursuites judiciaires. Bruno Roger-Petit invitait à « chasser Zemmour des Médias publics ». Quant au sociologue Michel Wieworka dans une tribune publiée par Télérama, il demandait qu’Arte fasse connaître son indignation, voire que la justice soit saisie [3].

Autant le dire clairement : le racialisme (affirmation de l’existence des races au sein de l’espèce humaine) ne mène pas toujours au racisme, bien que ce soit généralement le cas. Et on ne combat pas le premier par le recours à la censure.

Le problème, en vérité, est beaucoup plus vaste : ce qui est en cause, du strict point de vue de la critique des médias, c’est l’omniprésence de spécialistes de tout et de n’importe quoi qui transforment en Café du Commerce les plateaux des télévisions et les studios des radios, sans avoir les charmes de celui-ci. Au risque de les entendre asséner, forts de la compétence universelle qu’ils s’accordent et de l’ignorance qu’ils dissimulent, des erreurs manifestes et les pires bêtises et vilénies. Eric Zemmour est l’un d’eux : ce n‘est pas le seul [4].

Et que dire de l’hebdomadaire Vendredi [5] qui, à contresens de ses objectifs affichés, s’offre un « scoop » en publiant non un article du net… mais un droit de réponse à l’omniprésent, sous prétexte qu’il « ne dispose pas d’un blog » (alors qu’il a accès à de nombreuses tribunes et que les blogs de ses admirateurs ne manquent pas)  ?

Quelle est la question posée selon Vendredi  ? Celle-ci : « Peut-on encore prononcer le mot “race” ? ». Comme s’il ne s’agissait que d’une querelle sur l’usage d’un mot. Cette explication consternante a été confirmée sur France Info le samedi 29 novembre à 12 h 20 par Philippe Cohen qui a trouvé que la réponse de Zemmour était « pleine d’humour » [6]. Il fallait donc la publier, en « exclusivité »…, sous un titre indécent : « Zemmour crucifié ... répond. » Selon nos dernières informations, le crucifié se porte bien…

Henri Maler
- Avec Yannick Kergoat et Ricar pour les vidéos.


Annexe : Extraits de « l’intégrale » de l’émission d’Arte.

Transcription de Vincent Cespedes. Voir, en fichier .pdf, la totalité de la transcription de l’émission réalisée par ses soins.

En gras les passages supprimés au montage.

Premier extrait

[…]

[Cafouillage sur le plateau, R. Demirkan prend la parole, parle de sa fille et affirme : « c’est positif, d’être métisse ! Maintenant, vous pouvez continuer de vous engueuler ! »]

- Isabelle Giordano : - Vincent Cespedes ?...
- Vincent Cespedes : - Non, non, il ne s’agit pas de s’engueuler pour s’engueuler : il s’agit de préciser des points. La notion de « race », de « différences de [races] » – parce que ça résonne chez beaucoup de gens...
- Éric Zemmour : - Mais c’est une réalité !...
- Rokhaya Diallo : - Non, il y a différents « phénotypes » mais il n’y a pas de « races ».
- Vincent Cespedes (à É. Z.) : - Écoutez, laissez-moi parler !...
- Éric Zemmour : - Pardon !
- Vincent Cespedes : - Évidemment, on a tout un passé, on a un passif, nous, Blancs occidentaux. Déjà, utiliser le « nous », déjà, est compliqué – c’est ce qui était dit. Le« nous » est très compliqué. Le « nous » à mon sens doit être simplement politique. Le « nous », c’est le destin commun d’une nation ; le « nous », c’est quand on a vécu des expériences en commun et qu’il y a une amitié qui peut se lier...
- Éric Zemmour : - Renan !
- Vincent Cespedes : - Le « nous » est là. Mais, si vous voulez, le « nous » de l’homme blanc occidental a un long passé, et notamment un passé de la colonisation de l’Amérique. À l’époque, il fallait absolument trouver des points communs chez tous les Blancs – de l’Espagnol à l’Anglais en passant par le Français – qui allaient envahir, dans des conditions de violence extrême, le continent américain, le « Nouveau Monde », comme on l’appelait. Et ce point commun là... Il y avait d’abord la religion, mais on l’utilisait pour évangéliser justement ces indigènes-là, donc ce n’était pas un critère opératoire. Le vrai critère opératoire, c’était la couleur de peau. Il se trouvait que, entre un Anglais, un Français et un Espagnol, il y avait cette couleur « blanche » qui était facilement opposable et aux esclaves noirs de la Traite Négrière, et aux indigènes du continent américain. Et on est encore victime – je vais rebondir sur ce que disait Rokhaya très justement –, on est encore victime des ces préjugés-là : l’idée qu’entre un Anglais du nord de l’Angleterre et une Sicilienne, finalement, nous appartenons à « la même race ». C’est totalement faux ! Scientifiquement, le mot « race », en ce sens-là, n’a aucune – vraiment, en philosophe !...
- Éric Zemmour : - Mais si !...
- Vincent Cespedes : -... aucune... vraiment aucun concept opératoire !
- Éric Zemmour : - C’est idéologique !...
- Vincent Cespedes : - J’invite tous les internautes à surfer sur Internet pendant l’émission, pour qu’ils puissent voir ça !...
- Éric Zemmour : Mais c’est pas une insulte ! Le mot « race » est dans la Constitution française !
- Vincent Cespedes : - Le mot « race »...
- Éric Zemmour : - C’est pas une insulte, le mot « race » !...
- Vincent Cespedes :-Le mot « race » n’est pas une insulte : le mot « race » est simplement un leurre, un faux concept, on appelle ça un concept « pseudo-scientifique » ! [Éric Zemmour fait « non » de la tête] Maintenant, qu’il y ait différents types d’humains, heureusement !...
- Éric Zemmour : - Ben, merci ! Vous avez remplacé le mot « race » par le mot type » !...
- Rokhaya Diallo  : - Non, parce que ça se confond pas avec les couleurs, ce mot.
- Vincent Cespedes : - D’ailleurs, même entre les Blancs, nous sommes de la « même race », mais nous ne sommes pas pareils, hein ?...
- Éric Zemmour : - Oh ! ben, évidemment !...
- Vincent Cespedes : - Nous n’avons pas le même gabarit, nous ne sommes pas du tout de la même... Finalement, même... Finalement, de la même étoffe !...
- Éric Zemmour : - Mais non !...

[…]

Deuxième extrait

- Rokhaya Diallo : - Vous dramatisez ! vous dramatisez !
- Éric Zemmour (ton du persécuté) : - Ah, ouais ! je « dramatise » ! C’est dommage...
- Vincent Cespedes : - Vous voulez monter les Français les uns contre les autres, c’est un logique extrêmement actuelle, et c’est...
- Rokhaya Diallo  : - On ne vit pas dans la même France, Monsieur Zemmour !
- Vincent Cespedes  : Non, on ne vit pas dans la même France, je suis d’accord !
- Éric Zemmour (à V. C.) : Bah ! voyons !... Vous avez... Vous, vous êtes dans la France des plateaux télévisés...
- Vincent Cespedes : - Moi j’habite rue du Faubourg-Du-...
- Éric Zemmour : -... où on exalte le métissage...
- Vincent Cespedes (réalisant ce qu’É. Z. lui dit) : Non !... [Irrité.] Non, mais vous êtes... [Se tournant vers I. G.] Non, mais je vais quitter... La provocation a des limites, là, hein !...
- Éric Zemmour : - Alors une petite pause !...
- Rokhaya Diallo (ironique, à É. Z.) : - Et vous, vous êtes dans la réalité, dans les cités...
- Éric Zemmour : - Oui, dans la réalité, je suis désolé, c’est très dur !...
- Rokhaya Diallo : -... à la Courneuve, voilà !... Je vous imagine très bien dans une cité !...
- Vincent Cespedes (à É. Z.) : - Le plateau télévisé, c’est vous chez Ruquier...
- Éric Zemmour : - Non, pas du tout...
- Vincent Cespedes : - Faut arrêter de confondre les rôles, hein !...
- Éric Zemmour : - Oui, mais moi, je...
- Vincent Cespedes : - Le guignol de service, c’est vous, hein ! Faut arrêter !
- Éric Zemmour : - Non, je ne vous ai pas insulté, moi...
- Vincent Cespedes : - Non, non, mais...
- Éric Zemmour : -... alors s’il vous plaît !...
- Isabelle Giordano : - Oui, oui, on va rester serein... Une petite pause, autour de nous, dans le public : des réactions ou des questions ?... Qui veut prendre le micro ?... Alors, ici ?...

[…]

 
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Notes

[1La totalité ou presque : Vincent Cespedes soutient que tout n’a pas été rendu public...

[2Une première version de cet article témoignait d’un art consommé de la copie, jusque dans le titre choisi dont il reste une trace dans l’url de l’article désormais en ligne.
<http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...> A notre demande, le nouvel.obs.com a précisé l’origine de la transcription. Merci. A noter que le site d’Arrêt sur images a été un des rares à rappeler l’origine de l’interpellation : une vidéo (réalisée apparemment par un fan d’Eric Zemmour), reprise pas Sébastien Fontenelle, remontée et transcrite par nos soins.

[3Voici selon Télérama, la réponse d’Emmanuel Suard, le directeur adjoint des programmes d’Arte. « Nous avions invité Eric Zemmour, dans le cadre d’un débat contradictoire, sachant qu’il n’avait pas les mêmes positions que les autres participants… Je ne pensais pas qu’il s’exprimerait de manière aussi maladroite !, Notre chaîne, bien sûr, ne s’associe pas aux propos de Zemmour. Nous avons consulté nos services juridiques pour voir si ces déclarations tombaient sous le coup de la loi. Cela ne semble pas être le cas. L’important, c’est que ces propos aient été contestés sur le plateau. » Aux demandes de sanctions de Michel Wieviorka, Emmanuel Suard répond : « Eric Zemmour n’a pas le statut de chroniqueur régulier sur Arte, il n’y a donc pas lieu de cesser une collaboration… En revanche, on se posera la question avant de l’inviter à nouveau !  »

[4Qui peut croire qu’Arte choisit ses invités sans cultiver le goût du spectacle ? Parmi les prochains piliers du bistrot d’Arte, figure l’invisible et inaudible Philippe Val, choisi pour répondre à ces questions : « Chrétiens, et alors ? Le christianisme a-t-il sa place dans la sphère publique européenne ? »

[5Journal qui publie des articles déjà diffusés sur Internet. Une sorte de Courrier International du web…

[6Humour qui consiste à plaisanter sur l’usage du mot… en affirmant que les races existent, sur la base de ce « raisonnement » halluciné et hallucinant : « Hitler fondait sa politique criminelle de hiérarchie des races sur des travaux scientifiques […]. Aujourd’hui, on nie l’existence des races en se fondant sur des travaux scientifiques qui attestent que les êtres humains ont en commun 99% de leur ADN, mais qui découvrent des « types biologiques » qui ressemblent furieusement aux races d’antan. A chaque fois, il fonde un projet politique sur une science qui évolue sans cesse. Laissons les scientifiques sur une science qui évolue sans cesse. » Tout est magnifique dans cet éloge de l’obscurantisme le plus crasse. La génétique contemporaine (qui n’établit absolument pas que les « types biologiques » ressembleraient « furieusement » aux races d’antan, bien au contraire…) est placée sur le même plan que le racialisme de Gobineau ! Aucun projet politique particulier ne se fonde sur la négation de l’existence des races au sein de l’espèce humaine, si ce n’est la négation des théories racistes. « Laisser les scientifiques dans leur laboratoire » ? Pourquoi donc ? Sans doute pour que les idéologues les plus arrogants puissent sévir en toute quiétude dans les grands médias… et dans Vendredi.

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