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Un sondage plébiscite Juppé ? Sud-Ouest publie...

par Christiane Restier-Melleray,

A l’occasion de la publication d’un sondage, le quotidien régional relaie une opération de communication en l’habillant de quelques remarques pour lecteurs perplexes et avertis.

Information ou communication ?

Le 7 septembre 2004 Sud -Ouest titre en une : « JUPPE ROI D’UN SONDAGE » , article sous-titré  :"Un sondage commandé par la ville confirme la satisfaction des habitants face aux changements intervenus.  » [Souligné par nous]

Les développements figurent en page 5 du cahier local (article signé Denis Lherm) : « SONDAGE. —Les Bordelais portent un jugement positif sur les transformations de leur ville. Points noirs : la culture, le stationnement, l’emploi et la démocratie locale.  » En gras : «  Alain Juppé s’offre un bilan en béton ». L’article comporte un commentaire, deux encadrés (le premier intitulé « Principales tendances », le deuxième étant une fiche technique : « Près de 5000 sondés ») et deux photographies illustrant l’aménagement de la ville (la plus petite symbolisant une « ombre au sondage : les problèmes de stationnement  »).

Le texte de l’article est le suivant :

« Un sondage Ifop)[...] rendu public hier révèle [1] que 90 % des Bordelais sont satisfaits d’habiter leur ville et que 87 % d’entre eux trouvent que Bordeaux a plutôt changé en bien. Certes, ce n’est pas pour fuir un éventuel désamour avec ses administrés que le maire dit vouloir prendre du champ à la fin de l’année, mais en raison d’une peine d’inégibilité qui plane sur lui dans le cadre du procès en appel dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris . Mais ce que montre le sondage, c’est que Juppé est en train de recueillir les fruits de son action, avec peut-être ce petit plus de popularité qui lui a toujours fait défaut, y compris dans les urnes. 76 % des sondés s’estiment en effet « satisfaits de leur maire » et 21 % « très satisfaits ». Le comble : c’est dans la partie gauche du panel que les satisfaits seraient les plus nombreux !  »

Tout laisse penser que Sud-Ouest se borne à relayer une opération de communication de la municipalité. Pas si simple

Critiques « en marge » ?

En effet, devant un tel résultat, le journaliste ne manque pas de s’inquiéter de la qualité scientifique de l’enquête, mais c’est pour, très vite, rassurer le lecteur :

Inquiets ? «  Peut-on faire confiance à un sondage qui fait l’éloge de son commanditaire ? L’Ifop affirme que oui, et que sur la vingtaine de villes françaises étudiées chaque année, « il y a parfois de mauvais sondages, qui sont alors passés sous silence. [...] »

Rassurés : «  Ce qui n’est pas le cas de celui-ci, puisqu’il est excellent pour l’équipe municipale. 84 % des sondés jugent que la ville a fait un bon travail. « Sur certains items, on est même à la limite du plébiscite », ajoute Frédéric Dabi, directeur du département d’opinion publique à l’Ifop. Lequel précise que la grille de sondage n’a pas été spécialement créée pour Bordeaux, avec les risques de manipulation que cela aurait pu entraîner. Il s’agit de la « norme Ifop », appliquée à toutes les villes passées au crible par l’institut, et seulement adaptée aux particularités locales.  »

Une autre remarque critique est avancée plus loin par le journaliste :
«  Le sondage s’est déroulé en janvier 2004, ce qui a son importance, car l’Ifop note un indéniable « effet tramway ». A l’époque, l’engin ne roulait que depuis un mois. Déjà mal, mais on pouvait encore croire que ça n’allait que s’améliorer. Pas sûr qu’aujourd’hui l’effet tram jouerait dans le même sens.  »

Voilà pour les annotations critiques esquissées par le journaliste. Sont aussi formulées, (objectivité oblige ?) des nuances allant en sens inverse et venant contrebalancer ce que le journaliste nomme les « points noirs » des résultats du sondage («  l’animation culturelle ... la création d’emplois, la participation des habitants aux décisions et le stationnement.  »). Il est en effet suggéré que ce qui n’est pas jugé positivement aurait pu tout simplement être mal compris : «  Manifestement, les conseils de quartier créés par Juppé ont manqué leur objectif et sa politique culturelle laisse les Bordelais sur leur faim. Quant aux 3 000 nouvelles places de stationnement ouvertes dans les parkings souterrains des quais, leur mélodie en sous-sol reste inaudible.  »

L’article se double enfin d’un « rappel des principales tendances » : (« 90% des sondés se disent satisfaits d’habiter leur ville, 87% des Bordelais et 90% des habitants de l’agglomération pensent que la ville a changé en bien ». Suivent les thèmes classés dans l’ordre décroisant des résultats : travail municipal/ travaux et transformations / Juppé/ Attractivité / Atouts de Bordeaux.

Le tout est clôt par une fiche technique titrée « Près de 5000 sondés  »  : «  Du 12 janvier au 21 janvier 2004, les personnes ont été interrogées par l’ifop à Bordeaux (1000 personnes âgées de 18ans et plus), dans le autres communes de l’agglomération (295 personnes sondées), en Aquitaine ( 505 personnes), en France (961 personnes) et dans quatre pays d’Europe (1865 personnes en Allemagne, Espagne, Suisse et Grande-Bretagne). Méthode des quotas, interviews par téléphone au domicile des sondés et réunions de groupe qualitatives  ».

D’aucuns prétendront qu’un tel article ne fait qu’accompagner et préparer la rentrée d’Alain Juppé et sa conférence de presse du lendemain. Le fait est indubitable, c’est ce qu’on appelle coller à l’actualité : en Une, Sud-Ouest confirme effectivement le 8 septembre sous la photo du maire : « Juppé bien dans sa ville. Dans une "interview de "rentrée" Alain Juppé se voit du travail à Bordeaux pour ..."dix ou quinze ans" » (dans le cahier local une page entière est consacrée à cette rentrée et à l’interview du maire par Dominique de Laage).

Mais que penser de la qualité de l’information au-delà de la reprise de la communication municipale ? Des questions portant sur la fiabilité de l’enquête ont été avancées, des nuances aux rares opinions critiques formulées par les enquêtés ont même été esquissées, on est peut-être dans le troisième degré... Ceux qui veulent lire entre les lignes et recherchent dans un tel article des annotations critiques à l’encontre du pouvoir municipal peuvent y discerner des allusions tout en finesse : on nous y parle du « roi », qui «  commande  », qui « s’offre  » un sondage qui, subtilité plus grande encore, «  a été rendu public hier  ». Un tel article serait alors porteur d’allusions, d’ailleurs la question du procès Juppé n’est pas occultée et les lecteurs attentifs du quotidien ont même pu avoir accès, dans d’autres articles d’anciens Sud Ouest il est vrai, à des analyses moins positivement nuancées du coût des parkings et de l’absence de transparence des comités de quartier !

Le « gratuit » plus critique que le « payant » ?

Plus amusant cependant, celui qui cherche des informations moins monocolores ira les chercher ...dans le gratuit Bordeaux 7 diffusé par ...le groupe Sud Ouest.

A la Une de Bordeaux 7, toujours le 7 septembre, on peut lire "Les Bordelais plébiscitent leur ville". La moitié de la page est occupée par la photographie d’un bordelais à rollers sur le pont de Pierre sous titré : «  Commandité par la mairie [2] de Bordeaux à l’institut de sondage Ifop, une étude réalisée auprès des bordelais balaie l’image traditionnelle de "belle endormie" de la ville ,et plébiscite l’action de la municipalité et de son maire.  »

L’article signé simplement CG, occupe la moitié de la page 3. Il est titré « Plébiscite autour d’un mandat  » : «  La mairie de Bordeaux révélait [3] hier les résultats d’une grande étude d’opinion réalisée à sa demande par l’Ifop. Image, perception des changements, action municipale : selon l’étude les Bordelais pavoisent.  » Suit un développement portant sur trois thèmes : « l’image de Bordeaux, l’action municipale, l’image d’Alain Juppé  » et l’évocation de quelques points spécifiques ("les symboles", "le tram et les quais", "Espagnols en retrait"," la culture, bof").

L’encart méthodologique diffère quelque peu de celui de Sud Ouest : «  5 tables rondes qualitatives, puis plus de 3000 Bordelais, Aquitains, Français et Européens interrogés par téléphone. Coût de l’étude : 83000 euro.  »


Enfin, sur fond (rose), figure une photographie et un commentaire de «  Gilles Savary, VP socialiste du Conseil général et jusqu’en mars dernier conseiller municipal d’opposition à Bordeaux » qui représente le tiers de l’ensemble de l’article et est intitulé « Les bordelais sont légitimistes  ».

Est-ce parce qu’il est moins respectueux de la restitution de la communication municipale que Sud Ouest ou parce que Sud Ouest aurait omis de rapporter ce qui figurait peut-être dans le dossier de presse ? Le « gratuit » va jusqu’à nous préciser le montant de la dépense occasionnée par la mise en œuvre du sondage et donner la parole à l’ancien chef de l’opposition à la mairie de Bordeaux. Est-ce à mettre à l’actif d’une ouverture pluraliste portée par les supports financés par la publicité ou est-ce lié à une moindre expérience rédactionnelle ?

Des précautions réelles ou apparentes ?

Il y a dix ans Pierre Carles dénonçait dans « Bienvenue Monsieur le Ministre », documentaire portant sur l’année 1994 (diffusé le 9 mars 1995 sur Arte), la « connivence » des médias dans la réception/préparation médiatique du parachutage d’Alain Juppé à Bordeaux. Dix ans après et cette fois à propos de l’éventuelle « sortie » du maire pour cause de non éligibilité, on pourrait penser que les précautions prises pour publier un sondage consacré à « Monsieur le Maire » rompent avec la complaisance de Sud-Ouest. Avec ces précautions, tout se passe comme si le quotidien misait sur l’hypothèse d’un lecteur critique, attentif et informé à qui l’on fournit les éléments susceptibles de se forger une opinion.

Peut-on cependant accepter le thèse d’un lecteur consacrant des heures à décrypter les sous-entendus et allusions au demeurant fort hypothétiques et mettant en parallèle les différences de restitution d’une campagne de communication ?
Et même dans cette perspective invraisemblablement optimiste, que conclure de ces fiches techniques qui ne sont pas strictement convergentes (3000,5000 interviewés ? Qui est comptabilisé Aquitain voire Français ?)
Mais que penser surtout de la validité d’une enquête dont aucune des questions n’est précisément rappelée ?
Et comment admettre qu’aucun commentateur ne s’interroge autrement qu’à propos de la question de l’actualité des opinions liées aux dysfonctionnements du tramway sur l’objectif instrumental de cette enquête commanditée par la mairie et réalisée à la mi janvier 2004, donc terminée une semaine avant l’audition d’Alain Juppé dans le cadre du procès du financement du RPR mais/et diffusée ... huit mois après, cette fois avant la décision en appel.

Lorsque Carles parle de « connivence », ce sont les phénomènes de reprise qu’il donne à voir, l’instrumentalisation des sondages par la magie des chiffres en fait partie. Si les journalistes se posent en médiateurs de la démocratie il leur revient d’activer notre mémoire, de poser des références, d’inscrire l’action politique dans la durée. Ce que ne font dans ce cas précis ni Sud -Ouest ni Bordeaux7 .

Si elle dispose d’un lectorat rendu « disponible pour acheter du Coca Cola » grâce à la télévision de Monsieur Le Lay, on peut douter que la PQR, fût-elle assistée des « gratuits », parvienne à suffisamment stimuler notre esprit critique pour que nous puissions maîtriser les hypothétiques subtilités d’un journalisme qui reste au premier degré un journalisme de communication.

Christiane Restier-Melleray

A suivre ?
Le 8 septembre Sud-Ouest propose un encadré :
« La mairie de Bordeaux précise que l’enquête sur l’image de Bordeaux (Sud-Ouest du 7 septembre) a été réalisée durant le premier semestre 2004. L’étude qualitative s’est déroulée du 12 janvier au 21 janvier, l’étude quantitative (appels téléphoniques de Bordelais, Aquitains, Français et Européens) s’est étendue d’avril à juin 2004) »

 Sur Sud Ouest et Juppé, lire également : « Sud-Ouest ou la voix de son maître »

 
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Notes

[1C’est toujours nous qui soulignons

[2C’est nous qui soulignons encore. Ici l’identité du commanditaire figure en première page

[3Reprise du terme adopté par Sud Ouest

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