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Tentatives de mise au pas et de sabordage de l’hebdomadaire Lyon Capitale

par Jamel Lakhal,

La situation que connaît Lyon Capitale, hebdomadaire régional lyonnais, est, hélas, un cas d’école. Il enseigne ce qui peut arriver à un journal nourri de publicités et appartenant à une personnalité bien cotée du monde des affaires, quand la rédaction prend le risque de mettre en cause la gestion d’un notable politique, - en ce cas le Maire de Lyon - acheteur d’annonces et d’espaces publicitaires (et doté d’un grande influence sur d’autres annonceurs) et d’éclabousser l’image de certains confrères de son actionnaire principal, en affaires avec ... ce même maire.

« L’indépendance a un prix, c’est d’avoir des lecteurs » [1] aurait rappelé le maire de Lyon, Gérard Colomb, maire socialiste de Lyon, à la rédaction de Lyon Capitale ... au moment même où il lui coupait ses subsides publicitaires. Dans ce contexte particulier, le mot « indépendance » est à prendre avec des pincettes.

Créé en 1994, acquis à la hauteur de 87 % en 1995 par Le Progrès, groupe appartenant à la Socpresse (87% Dassault, 13% Hersant), cédé en 2005 à Evolem [2], un fond d’investissement appartenant à Bruno Rousset, patron du groupe April, membre du patronat lyonnais, principal fortune lyonnaise et 55e fortune de France [3], Lyon Capitale est un hebdomadaire qui a adopté un modèle économique classique : les recettes proviennent à la fois de la vente aux lecteurs et de la vente des espaces publicitaires aux annonceurs, avec une part suffisamment importante de cette dernière pour conditionner la survie de l’hebdomadaire.

Soutenant le maire de Lyon, Gérard Collomb, depuis sa création, Lyon Capitale a bénéficié en retour de son soutien financier, sous forme d’achat direct d’espaces publicitaires et d’annonces et d’incitation de dirigeants d’institutions culturelles lyonnaises à faire de même. Cet échange de « services » se maintient pendant près de 10 ans, malgré le changement des actionnaires majoritaires, jusqu’au jour (hiver 2004) où l’hebdomadaire opère un revirement total et s’en prend au maire de Lyon. [4].

Les attaques se succèdent et se multiplient jusqu’au jour où l’épouvantable forfait est commis : Lyon Capitale publie des « enquêtes sur des anomalies dans l’attribution des marchés publics du Grand Lyon », collectivité présidée par Gérard Collomb, laissant entendre des irrégularités dans l’attribution de ces marchés et mettant en cause à la fois Gérard Collomb lui-même et des patrons d’entreprises.

Avec la publication de ces enquêtes l’hebdomadaire s’est donc heurté à deux adversaires de poids. Les sanctions ne tardent pas à tomber.

Politiques et financières, elles proviennent de deux sources : la mairie et l’actionnaire majoritaire. Le maire de Lyon, s’estimant accusé de corruption, ordonne la cessation de l’achat d’espaces publicitaires dans Lyon Capitale par sa mairie et conseille aux dirigeants d’institutions culturelles de Lyon d’en faire autant. De son côté, Bruno Rousset, pressé par certains patrons de faire cesser les bruits qui éclaboussent le milieu patronal dans cette affaire de marchés publics [5] réagit : il limoge, le 13 décembre 2005, le directeur de publication Jean-Olivier Arfeuillère, décide une mise à pied du rédacteur en chef Philippe Chaslot pendant ses vacances de Noël et le convoque le 3 janvier 2006 pour un entretien préalable à son licenciement. Ensuite, c’est la nouvelle PD-G., Isabelle Grosmaître, nommée par Bruno Rousset, qui prend la relève. Elle dépose le bilan de l’hebdomadaire, le 4 janvier, pour motif de « graves difficultés financières » et empêche sa parution, ainsi que les autres titres du groupe, le 9 janvier.

Le Tribunal de Commerce de Lyon a décidé, le 10 janvier 2006, de mettre Lyon Capitale en redressement judiciaire. L’hebdomadaire est reparu le 17 janvier dans les kiosques. A suivre...

Pourtant, juste après l’acquisition des parts du Progrès dans Lyon Capitale, Bruno Rousset avait trouvé en Jean-Olivier Arfeuillère un « entrepreneur de presse qui non seulement porte en lui très haut et très fort ce projet d’entreprise, mais qui a aussi la foi généreuse, ce qui est rarissime ». Mieux, il avait carrément confié : « avant de rentrer dans Lyon Capitale, je me suis assuré d’être en phase avec sa ligne éditoriale car, de toute façon, je me serais refusé à la changer en devenant majoritaire. Il faut conserver au journal son indépendance, son esprit, son autonomie. » [6]. On mesure désormais ce que valaient ces engagements...

Cette double sanction prouve, une fois de plus, que la liberté des médias qui dépendent des recettes publicitaires et qui appartiennent à des actionnaires privés est toute relative et qu’elle est belle et bien limitée par les intérêts des annonceurs et des propriétaires.

Le cas de Lyon capital n’est pas unique. Un autre quotidien régional (de Montpellier), Le Midi libre, dépendant aussi politiquement et financièrement, a subi la vindicte de son annonceur Georges Frêche, président socialiste de la région Languedoc-Roussillon et de l’agglomération de Montpellier, qui lui a retiré pendant un an les publicités et les annonces légales pour avoir publié un bilan peu élogieux de ses 18 mois à la tête de la région [7]. Punition déjà appliquée en 2001 à ce même quotidien par ce même président.

Les médias qui bénéficient ou qui espèrent bénéficier de la vente d’espaces publicitaires aux collectivités territoriales (mairies, départements, régions) sont avertis. Et, pour certains d’entre eux, comme Fernand Galula, propriétaire de l’hebdomadaire Tribune de Lyon, le message a été bien assimilé. Prétextant « qu’on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis », Fernand Galula a censuré lui-même un article révélant une perquisition au Grand Lyon et préféré à la place envoyer, à l’avance, au cabinet de Gérard Collomb les questions que l’hebdomadaire allait les lui poser [8]. Un sommet d’éthique professionnelle... Mais entre l’éthique et « la branche sur laquelle on est assis », le choix a été vite fait.

Ensemble ou séparément, pouvoir politique et pouvoir financier travaillent manifestement pour l’indépendance de la presse.

Jamel Lakhal

- Pour savoir l’essentiel sur la lutte de Lyon Capitale, voir « Presse libre », le site du personnel et la rubrique « Médias » de Rebellyon-info

- La situation selon « Presse Libre », le 17 janvier 2006 : « Un mois après sa dernière parution,est à nouveau dans les kiosques, avec notamment une enquête sur la grave crise que traverse Gérard Collomb, cerné par les affaires (marchés "pipés", financement occulte du PS) et accusé de pressions liberticides sur la presse. Pour éviter la liquidation, il était indispensable que le journal paraisse, même au prix de quelques concessions à l’égard de la pdg actuelle Isabelle Grosmaître (groupe Evolem - April - Bruno Rousset). Ainsi, Lyon Capitale ne peut rien écrire sur la crise traversée par le journal avant d’avoir changé d’actionnaire majoritaire, ce qui interviendra, nous l’espérons, dans les prochaines semaines. La prochaine audience au tribunal administratif a été repoussée au 7 février. [...] »

 
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Notes

[1Phrase rapportée par Olivier Bertrand, dans Libération du 20 décembre 2005, dans un article titré « "Lyon Capitale" privé de sortie par sa nouvelle patronne », paru le 20 décembre 2005. A noter que Libération, sous la plume, d’olivier Biffaud a publié plusieurs articles bien informés.

[2Evolem a racheté les 87% du Progrès

[3Selon Rebellyon.info, « site d’infos alternatives lyonnaises ».

[4Selon Olivier Bertrand (article mentionné ci-dessus), les dirigeants de Lyon Capitale ont estimé que Gérard Collomb les a lâchés pour leur rival « Lyon Mag » en proposant la femme du PD-G. de ce mensuel aux prochaines élections municipales.

[5Source : « "Lyon Capitale" privé de sortie par sa nouvelle patronne », article d’Olivier Bertrand paru dans Libération le 20 décembre 2005.

[6Entretien publié sur le site « de la société des rédacteurs de Lyon Capitale « Presse Libre ».

[8Source : « A Lyon, l’indépendance de la presse a du plomb dans l’aile », article d’Olivier Bertrand, publié dans Libération le 5 janvier 2006

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