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Témoignage : journalistes aux prises avec la com’ de la police

Nous publions ci-dessous, sous le sceau de l’anonymat et sans préciser les noms et les lieux, un témoignage dont nous avons vérifié l’authenticité. Il montre comment certains journalistes sont amenés à travailler et à se prêter aux mises en scène d’une police soucieuse de donner d’elle-même une « bonne image ». (Acrimed)

Un dossier sur les flics doit paraître dans notre quotidien régional. Je dois participer en réalisant un petit "angle" sur le sujet. On me demande également de me charger des illustrations de ce dossier. L’idée est d’avoir une photo des policiers en situation dans des zones qui craignent. Pas évident, parce que déjà, pour obtenir une autorisation chez les flics, c’est le bin’s total. J’appelle quand même. Et là, miracle ! Le capitaine chargé de la communication me dit : "C’est d’accord, appelez le commandant Durand [1] de ma part et voyez ça avec lui". "Hourra !" me dis-je alors. J’appelle le commandant. Il me dit "Ok". J’appelle dans la foulée Bertrand, le photographe, qui me dit "Ok". Seule condition qu’on nous donne : ne pas photographier les visages, ne prendre les flics que de dos.

Rendez-vous est pris à 15h, devant une barre d’immeuble réputée pour ses trafics de drogue. "Faites attention, ça craint, attendez-nous pour sortir", conseille le commandant Durand. "Et ne montrez pas vos appareils photo, on pourrait vous les piquer". Bref, on s’apprête à aller en zone de guerre.

15h. Nous voilà sur place. Et là, on va assister à une scène des plus loufoques. Du pur comique, ou, devrais-je dire, du grotesque. Huit policiers sont devant la barre, armés jusqu’aux dents : boucliers, flash-ball, casques... Pendant dix minutes, ils vont nous faire une démonstration de leurs interventions type dans ce genre d’immeuble. Pour de faux, bien sûr. Nous, on prend des photos d’eux qui avancent pas à pas sous les consignes du chef : "Regardez bien en haut, qu’il n’y ait pas de projectiles !" On se croirait dans un film. Mais les photos, on les a. On est contents. Emmanuelle, la chef, va être contente. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous repartons, les policiers repartent. Non sans nous avoir conseillé d’être prudents : "Ils vous ont repérés, faites attention en retournant à votre véhicule !"

Trois heures plus tard, me voici à l’hôtel de police. Et là, badaboum : on me tombe sur le dos comme je ne l’aurais pas imaginé... "Mais qu’est-ce que c’est que ça ! me lance le capitaine de la com’. J’ai eu le commandant Durand, il paraît que vous avez demandé à faire des photos en situation, avec les casques et les boucliers ! Ça ne va pas du tout ! Ce n’est pas du tout cette image qu’on veut donner !" Un chef de la police, le directeur adjoint Étienne Martin, me tombe dessus dans la foulée : "Pas question de publier ces photos qui montrent un état de siège !" On me menace même, si je publie de lesdites photos, de me faire interdire, à l’avenir, dans l’hôtel de police... Je passe les détails.

Le résultat, c’est qu’on rappelle Bernard, qu’on lui fixe un nouveau rendez-vous dans l’heure qui suit, pour réaliser de nouveaux clichés. Il est dans un bon jour, il accepte, il y va. Et il me raconte la situation grotesque dans laquelle il se retrouve : les policiers - les mêmes que deux heures plus tôt - sont censés marcher devant la barre d’immeuble, tranquillement, sans casques ni boucliers, bien sûr. Seulement, ils flippent, ils sont mal à l’aise, ils se dépêchent, ils ont peur. Car ça ne se fait plus, ce genre de choses ! Alors l’un d’eux, qui n’apparaîtra pas sur la photo, suit le groupe armé d’un flash-ball. On ne sait jamais ! La photo, dans le journal, n’aura rien laissant penser à un état de siège dans les quartiers chauds. Surtout pas de répression ! Mais qu’est-ce qu’on sera loin, mais loin, de la réalité...

 
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Notes

[1Les noms et prénoms ont été changés.

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