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Témoignage : Une journaliste de Martinique Première harcelée moralement pendant vingt ans !

Dans un protocole d’accord (voir en annexe) signé le 8 décembre dernier entre, d‘une part une journaliste de Martinique Première, Lisa David, et d’autre part les principaux responsables de la station et le directeur des rédactions de France Télévisions, ces derniers reconnaissent explicitement le « harcèlement moral » subi par Lisa David durant « 20 ans », s’engagent (enfin !) à le « faire cesser » et à « réexaminer le déroulement de sa carrière ». En nous appuyant sur sa saisine de la Halde, nous publions ici son témoignage qui rend compte des vexations, brimades et abus qu’elle a dû subir, et qui ne sont pas sans rapport avec sa conception du métier de journaliste. (Acrimed)

Dès son entrée à RFO Martinique comme pigiste en janvier 1993, Lisa David révèle une affaire d’abus de bien sociaux dans laquelle des Békés sont placés en garde en vue. L’année suivante, elle établit que ce sont des tirs policiers qui ont blessé un jeune Martiniquais au cours d’une manifestation, ou encore dénonce les malversations de notaires et d’huissiers. Des reportages qui, dès qu’ils concernent les autorités ou des intérêts établis dans l’île, lui valent d’être convoquée et réprimandée par sa hiérarchie qui, dit-elle, la menace de ne plus recourir à ses services et tente, sans succès, de l’évincer de la chaîne.

Elle est en effet titularisée en 1997 et est aussitôt désignée déléguée syndicale SNJ-CGT. Elle s’applique dès lors à obtenir l’embauche de nombreux collaborateurs de la chaîne employés sous des statuts précaires. Cet engagement syndical ne contribue pas pacifier ses relations avec la direction de RFO, qui ne daigne pas porter plainte lorsqu’en 1998 elle est agressée à deux reprises par des planteurs qui envahissent la station, puis lors d’une manifestation. Selon son témoignage, elle subit aussi de multiples vexations administratives : on lui refuse la qualification de journaliste spécialisée alors qu’elle est officiellement chargée de la chronique judiciaire, ou se voit infliger des retenues sur salaires injustifiées. Lisa David indique que ces pressions et ces brimades se poursuivront dans les années suivantes, jusqu’à constituer un véritable harcèlement.

Lequel n’est, à l’évidence, pas sans lien avec les convictions politiques et les prises de position de Lisa David en faveur de l’identité et du peuple martiniquais. Elle prend ainsi la tête en 2000 d’une mobilisation contre l’embauche préférentielle de cadres venus de métropole et défendant « l’antillanisation » des cadres de l’île ; elle dénonce en 2005, dans une lettre ouverte à Marc Tessier, président de France Télévisions, la pratique de la rédaction parisienne de RFO qui fait refaire les commentaires des reportages quand le journaliste a un accent antillais trop marqué ; elle interpelle encore en 2006 Patrick de Carolis, nouveau PDG de France Télévisions venu rencontrer Aimé Césaire, pour réclamer une « télé plus proche des Martiniquais ». Affirmant être régulièrement l’objet de pressions en raison de ces engagements, Lisa David se voit par exemple refuser en 2008 la prime due aux responsables d’édition, poste qu’elle occupe pourtant depuis deux ans.

En 2009, à l’issue du long mouvement social qui a touché la Martinique, et au sein duquel Lisa David fut très active, un dysfonctionnement empêche la diffusion de la partie martiniquaise du « Journal des Deux Îles ». Lisa David déclare avoir été aussitôt accusée de sabotage par ses supérieurs. Il faudra qu’elle mène une grève de la faim de quatre jours, avec le soutien de la CGTM, pour que la direction retire ses accusations. Peu après, une pétition demandant le remplacement de Lisa David circule au sein de la rédaction sans que le rédacteur en chef adjoint, sollicité en ce sens, consente à y mettre un terme ; des tracts anonymes la mettant en cause sont même distribués en même temps que les fiches de paie !

Déjà durement éprouvée par ces procédés et par de nouvelles retenues sur salaire très importantes et injustifiées en 2010, Lisa David se voit pourtant renvoyée devant le Tribunal correctionnel de Fort-de-France pour diffamation, à la suite d’une plainte de la direction de RFO… qui préfère se désister le jour du procès !

Ce n’est qu’en 2012, après que la CGTM a multiplié les démarches envers la direction, que Lisa David saisit la Halde, alors que sa santé physique et morale a été gravement affectée par ce harcèlement et qu’elle a entamé une nouvelle grève de la faim pour que Martinique Première et France Télévisions en viennent à s’engager pour que cesse ce traitement indigne.

***

Vingt ans, c’est donc le temps qu’il aura fallu à France Télévisions pour prendre ses responsabilités… Et personne au sein de la profession pour s’en émouvoir. Ce qui n’est d’ailleurs guère surprenant : si les grands médias se font régulièrement l’écho des atteintes à la liberté de la presse, c’est de préférence lorsqu’elles ont lieu ailleurs que dans les grands pays occidentaux… Pourtant, c’est une chose que de promouvoir des lignes éditoriales régionales aseptisées et sans enjeu (moins encore qu’au niveau national, dans la mesure où c’est possible), mais c’en est une autre que de laisser harceler les rares journalistes qui ont une autre conception de leur métier. Et c’est d’autant plus regrettable dans une situation locale où les tensions sociales sont particulièrement marquées.


 
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