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Tartufferies médiatiques sur l’écologie

par Blaise Magnin,

Cet article inédit est extrait du dossier « Médias et écologie » paru dans le n°10 de notre magazine trimestriel, Médiacritique(s).



En une dizaine d’années, les questions environnementales ont acquis une telle place dans l’agenda politico-médiatique, qu’elles occupent désormais des rubriques à part entière dans nombre de grands médias, y compris parmi ceux qui sont les plus prisés par les milieux d’affaires. Ce qui n’est guère surprenant tant la présentation des enjeux écologiques y est inoffensive, superficielle, dépolitisée, et finalement compatible avec les intérêts des grandes industries, même les plus polluantes – surtout si elles peuvent témoigner d’un « engagement pour la planète ». Petite ballade pas vraiment bucolique, notamment dans les rubriques « Planète » du site internet de BFM-TV, et les pages « Sciences & Environnement » du site du Figaro, qui sont parmi les plus fournies et représentatives de l’offre médiatique sur le sujet.

De façon générale, malgré quelques différences qui tiennent aux lignes éditoriales respectives des médias qui les abritent, le contenu de ces rubriques (comme de tant d’autres) est, à de rares exceptions près, d’une grande homogénéité. En particulier, sur BFM-TV (qui n’affiche officiellement aucun parti pris), comme dans Le Figaro (quotidien ouvertement partisan), le pluralisme est en berne : les points de vue des acteurs les plus engagés pour la cause écologique sont systématiquement tenus à distance. Rien d’étonnant à cela puisque, comme nous l’avions montré dans « Les journalistes, l’écologie et le capitalisme », les questions environnementales sont appréhendées dans les médias dominants de telle sorte que la question de la compatibilité des logiques capitalistes avec la protection des écosystèmes reste hors-cadre.

Dès lors, les causes des atteintes à l’environnement sont largement éludées pour mieux déplorer leurs conséquences. Et dans les pires des cas, dont BFM-TV et Le Figaro nous offrent l’exemple, les « informations » proposées ne représentent bien souvent qu’une manière déguisée de se pâmer, indifféremment, devant les merveilles de la nature, les derniers produits de grande consommation ou les dernières innovations de l’industrie des transports et de l’énergie, pour peu qu’ils soient estampillés « verts ».

Des infos « 100 % green »

Cette nouvelle doxa du « capitalisme vert » paraît si ancrée dans les représentations des journalistes, ou de certains d’entre eux du moins, que même l’industrie du luxe et l’hyperconsommation ostentatoire qu’elle nourrit peuvent désormais se voir décerner le label « écologique ». C’est ainsi qu’une certaine Livia Firth, fondatrice d’un « site de mode éthique » (sic) put récemment obtenir de certaines rédactions parisiennes quelques pages de publicité gratuite et une belle image de militante de la cause environnementale.

Ainsi, le Figaro Madame titrait le 19 octobre « Livia Firth, l’écoguerrière », avant de poursuivre : « L’épouse charismatique de l’acteur Colin Firth milite pour une mode éthique. Au dernier Festival de Cannes, cette pasionaria du chic recyclable et la maison Chopard ont fait entrer la haute joaillerie dans l’ère du développement durable. Portrait d’une battante de charme. » De même, Paris Match, dans son numéro du 17 octobre, offre à ses lecteurs une interview intitulée « L’amie des stars impose la mode écolo sur tapis rouge », et enchaîne des questions aussi percutantes et essentielles à la sauvegarde des écosystèmes que : « Qu’est-ce qu’une robe du soir green ? », « Pourquoi est-ce si important de faire du glamour green ? », « Êtes-vous habillée green aujourd’hui ? ».

Cerise (verte) sur le gâteau, l’entretien est complété par une sélection « À la mode green », accompagnée de cette injonction : « Adoptez le look qui fait du bien à la planète », et par une page « tendance », qui présente six autres produits comme « six infos 100 % green » supplémentaires. On y trouve notamment la présentation d’une montre développée en partenariat par Omega et Planet Ocean, la fondation de Yann Arthus-Bertrand. Et l’on apprend que ses heureux acquéreurs, prêts à débourser… 5 900 euros, auront la satisfaction de savoir qu’ils contribuent à la « préservation de la mangrove en Asie du Sud-Est ».

Ces quelques pages de publi-reportage « people » qui, sous couvert d’« éco-responsabilité », invitent en réalité à se conformer aux formes de consommation les plus effrénées — la mode n’est-elle pas par définition éphémère et condamnée à l’obsolescence permanente —, illustrent en toute légèreté cette vogue médiatique pour la « croissance verte ».

BFM-TV : les VRP du « capitalisme vert »

Ce « capitalisme vert » est célébré chaque semaine, sur un mode beaucoup plus « sérieux », par l’émission « Green Business » sur BFM-TV. Pompeusement présentée dans son générique comme « le magazine des hommes et des entreprises qui prennent soin de la planète », l’émission voit surtout des journalistes prendre soin d’entrepreneurs et d’entreprises qui s’autoproclament soucieux de l’environnement. D’ailleurs, il n’est jamais question de « la planète » dans « Green Business », ni des causes (au moins économiques) des dégradations de l’environnement, mais seulement de produits innovants, de chefs d’entreprises visionnaires, d’investissements et de création de valeur…

Toute verte qu’elle prétende être, « l’économie de demain » telle que la dépeint « Green Business » reste donc soumise aux mécanismes de marché, à la concurrence entre intérêts privés et aux impératifs de maximisation du profit : pas question d’envisager que ce capitalisme-là, voire le capitalisme tout court, soit incapable de verdir ! D’ailleurs, Nathalie Croisé, présentatrice de « Green Business » et rédactrice pour BFM Business, sait très bien, au risque de la complaisance, ne pas se fâcher avec les puissances économiques établies en attestant, par exemple, à l’occasion d’un article intitulé « LVMH : 20 ans de stratégie durable », de la sincérité de leur ripolinage écologique. Et pour être bien en prise avec cette économie sonnante et trébuchante, « Green Business » fait intervenir dans chaque émission une « experte » de GreenUnivers.com, qui se présente comme le « premier média d’information économique et financière sur les marchés de l’environnement », et qui a su bien s’entourer.

Dans cette perspective strictement marchande, la pollution de l’air des espaces intérieurs n’est pas forcément une mauvaise chose : quand elle devient un problème de santé publique, sa détection et son analyse peuvent devenir un marché très juteux, comme le soulignait délicatement l’émission du 27 octobre 2013. Quoi de plus normal dès lors que de rendre hommage aux ingénieurs du CEA et du CNRS qui sauront faire fructifier dans Ethera, la start-up qu’ils ont créée, les innovations permettant de détecter ces polluants. L’atmosphère des habitacles automobiles se révèle également nocive ? « Green Business » convie un acteur majeur du secteur automobile, Midas, qui ne propose évidemment pas de développer les transports en commun, mais un système de purification à renouveler tous les six mois, pour son plus grand profit…

Quoi qu’on pense de la plausibilité et des vertus d’une hypothétique « économie verte » qui serait en train d’éclore, on peut déplorer qu’une émission comme « Green Business » ne daigne jamais traiter d’autres options et d’autres chemins menant à une économie plus respectueuse de l’environnement, comme celles (proches de la décroissance et de diverses modalités d’éco-socialisme) qui visent à rompre plus ou moins radicalement avec le productivisme et avec une organisation de la production qui interdit tout choix collectif et engendre des inégalités abyssales.

Problèmes sans causes, solutions techniques

À ne jamais envisager que l’organisation et les finalités d’une économie dominée par le profit et l’accumulation puissent être à l’origine des atteintes à l’environnement et de leurs conséquences, il n’est pas très surprenant que celles-ci apparaissent souvent dans les grands médias les plus préoccupés des dividendes des actionnaires comme des tragédies sans causes : des tragédies auxquelles on tente d’apporter les solutions « technologiques » les plus complexes plutôt que de combattre ou d’interroger les origines des maux que l’on prétend guérir. Quelques exemples tirés du Figaro, sur les sujets les plus variés :

—  C’est avec enthousiasme que le quotidien de Dassault annonce le 28 octobre 2013 que « Pékin serait prête à tester un “aspirateur géant” contre sa pollution », enthousiasme à peine douché par un « expert » perplexe préférant envisager des mesures qui viseraient à réduire les émissions polluantes.

—  De même, c’est un riz OGM qui fonde les espoirs du journaliste du Figaro pour lutter contre la gastro-entérite qui « est responsable chaque année dans le monde de quelque 700 000 décès de nourrissons, principalement dans les pays en voie de développement », dans un article du 31 octobre qui n’évoque même pas le développement de l’accès à l’eau potable ou à des soins élémentaires.

—  Ce sont encore des prouesses techniques qui sont célébrées dans des articles, expliquant le 28 août « Comment les zoos préservent les espèces menacées », ou, le 21 octobre, comment on peut utiliser « La géolocalisation au secours des baleines ». En revanche, pas un instant ne sont envisagés le ralentissement d’un trafic maritime en croissance constante depuis des décennies et qui met en danger les cétacés, ou un renforcement de la coopération Nord-Sud qui permettrait d’éviter le braconnage et la disparition des habitats de nombreuses espèces sauvages.

—  Plus inconséquent encore, la publication, le 6 novembre, du « triste palmarès  » des « 10 sites les plus pollués du monde », avec, diaporama à l’appui, recension des atteintes à l’environnement, du nombre de personnes affectées, mais un silence total sur les responsables de ces catastrophes…

—  Et si le rédacteur de cet article indique que Fukushima rejoindra probablement la liste dans les années à venir, c’est qu’il n’avait sans doute pas lu les excellentes nouvelles parues le 2 septembre dans la même rubrique, et qui s’extasiaient devant l’audace des quelques Japonais heureux de « surfer à l’ombre de la centrale de Fukushima » !

La nature, source inépuisable de ravissement

Une écologie médiatique inféodée aux logiques dominantes de production de l’information ne saurait s’épanouir sans générer ses propres faits divers. Avec force diaporamas, le caractère photogénique de ce type « d’actualité » n’ayant pas échappé aux responsables éditoriaux, on trouve ainsi, dans Le Figaro comme sur BFM-TV :

—  des histoires émouvantes : « Haute-Vienne : le préfet autorise l’adoption d’un sanglier par un couple » (BFM-TV, 28 août), « Le sauvetage d’un dauphin prisonnier d’un sac plastique » (Le Figaro, 22 novembre) ;

—  des histoires effrayantes : « L’astéroïde Apophis va frôler la Terre mercredi » (BFM-TV, 8 janvier), « Des araignées venimeuses envahissent la Grande-Bretagne » (BFM-TV, 14 octobre) ;

—  des anecdotes distrayantes : « Les oiseaux connaîtraient le code de la route » (BFM-TV, 27 août) ; « Le blobfish élu animal le plus laid du monde » (BFM-TV, 13 septembre) ;

—  soit encore des articles qui relèvent du simple documentaire de voyage : « Le palmarès 2013 des plus belles photos de nature sauvage » (Le Figaro, 17 octobre), etc.

Bref, autant de pages qui ont pour principale caractéristique d’être d’une grande pauvreté informative.



***




Au-delà même du fatalisme qui semble affecter BFM-TV et Le Figaro lorsqu’ils abordent les questions environnementales, au-delà de leur sympathie a priori envers tout entrepreneur qui se dit soucieux de « l’avenir de la planète », le développement de rubriques consacrées aux questions écologiques dans ces médias laisse un désagréable arrière-goût d’incohérence, voire de schizophrénie éditoriale.

Même lorsque des articles pointent, comme sur BFM-TV le 22 novembre, le pessimisme des ONG impliquées dans les négociations sur le climat et la diminution des émissions de gaz à effet de serre (« La conférence sur le climat aura lieu à Paris en 2015, bon courage ! »), ou dans Le Figaro le 29 juillet, la pollution massive par l’agriculture productiviste des cours d’eau français par les pesticides (« Très peu de cours d’eau échappent aux pesticides »), on ne peut s’empêcher de les lire comme des hommages du vice à la vertu.

Comment oublier en effet que les médias qui les publient sont par ailleurs des partisans fanatiques des milieux d’affaires qui avant toute considération sociale et environnementale, n’ont comme ambition que de développer leurs profits ?

Blaise Magnin

 
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