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Sur le rachat du pôle Rhône-Alpes-Bourgogne de la Socpresse (SNJ)

Nous publions ci-dessous un communiqué du Syndicat National des Journalistes (SNJ), daté du 4 février 2006. (Acrimed)

Rachat du pôle Rhône-Alpes-Bourgogne de la Socpresse : le pluralisme et des centaines d’emplois menacés

Le rachat du pôle Rhône-Alpes-Bourgogne de la Socpresse par le Groupe Est Républicain et le Crédit Mutuel conclut le retrait de Dassault de la Presse Quotidienne Régionale après la vente de La Voix du Nord à Rossel, et celle du pôle Ouest (Presse-Océan, Maine Libre, Courrier de l’Ouest) à Ouest-France. Il sera rendu officiel lundi 6 février lors d’un comité d’entreprise extraordinaire de L’Est Républicain, à Nancy. Cette transaction débouche sur la constitution du premier groupe de presse quotidienne du pays.

Il couvre une zone continue de la frontière belge à la frontière italienne, incluant trois départements sur quatre en Lorraine, l’Alsace, la Franche-Comté, deux départements sur quatre en Bourgogne, Rhône-Alpes, trois départements en région PACA. Il est composé de huit titres qui diffusent ensemble à plus de 1,1 million d’exemplaires : L’Est Républicain, La Liberté de l’Est, les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA), Le Journal de la Haute-Marne, Le Bien Public, Le Journal de Saône et Loire, Le Progrès, Le Dauphiné Libéré ; du gratuit Lyon+, d’une télévision locale, de journaux d’annonces, de plusieurs hebdos. Il est allié avec L’Alsace, propriété du Crédit Mutuel ; avec France Régions Participation, le groupe présidé par Philippe Hersant, qui détient 33 % de son capital, et possède les journaux de Champagne (L’Union-l’Ardenais, L’Est-Eclair, Libération-Champagne), l’Aisne Nouvelle, des journaux en Normandie et Outre-Mer, plusieurs quotidiens suisses romands... Le seul journal lui échappant encore dans le Grand-Est, le Républicain Lorrain, détient 49 % de La Liberté de l’Est.

Cette aggravation de la concentration dans la presse française pose de lourdes questions. Elle réactive celle du pluralisme : quand Gérard Lignac, président du conseil d’administration de L’Est Républicain, a racheté la Liberté de l’Est, en 1999, il a entamé un processus de fusion conduisant à la fermeture de trois agences sur huit dans les Vosges et à la suppression de 60 emplois dont près de la moitié de journalistes. Le Syndicat National des Journalistes (SNJ) pose en exigences citoyennes le maintien d’une concurrence éditoriale, menacée en Alsace et dans le Nord Franche-Comté, et la garantie des effectifs rédactionnels dans l’ensemble des sociétés. Notion fétiche des restructurateurs, les synergies sont également en projet. Gérard Lignac ne s’en cache pas : il entend mutualiser les reportages hors zone de diffusion dans un premier temps, menaçant l’identité de chaque rédaction et le droit d’auteur. Dans un second temps, il veut rendre compatibles les systèmes éditeurs entre les titres afin de généraliser les échanges de contenus. Ce n’est pas de formatage dont les journaux ont besoin, mais d’audace et de créativité, de rigueur et d’honnêteté.

Il ne faut pas non plus négliger la dimension politique de cette affaire. Moins disante que le fonds de pension irlandais Mécom, l’association Est-Républicain / Crédit Mutuel l’a emporté dans le cadre d’un marchandage politique. Les pressions de membres influents du parti au pouvoir ont été importantes. La monnaie d’échange sera sans nul doute le déblocage d’aides publiques à la "modernisation sociale" de la presse, destinées à subventionner les massives suppressions d’emplois qui sont à redouter. Ayant à l’esprit la dépendance de l’audiovisuel privé, non seulement envers la publicité, mais aussi à l’égard des commandes publiques, le SNJ ne saurait accepter que les rédactions soient prises en otages par ces grandes manœuvres.

Implanté dans toutes les entreprises concernées, le SNJ va réunir ses délégués dans les prochains jours afin d’approfondir l’examen de cette nouvelle situation. Présageant ce qui allait advenir, ses sections s’étaient rencontrées le 6 décembre 2005 à Besançon. Elles avaient mis en évidence la fragilité économique de l’ensemble. C’est un groupe endetté à hauteur de 45 MEUR qui doit acquérir un groupe dont l’endettement se monte à 200 MEUR et les pertes d’exploitation cumulées dépassent 30 MEUR. Les 4.500 salariés dont 1.100 journalistes du nouveau groupe le savent : des plans sociaux se préparent et des centaines d’emplois sont menacés. Ce dont les journaux ont besoin, c’est d’actionnaires garants de l’emploi, de l’indépendance et de la qualité rédactionnelle, investissant dans la diversification et la formation. Ce dont la démocratie a besoin, c’est de règles anti-concentrations respectées et d’un pouvoir des rédactions déconnecté du pouvoir économique. On en est loin. Paris,

Samedi 4 février 2006

 
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