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Contre-réformes et mobilisations sociales de 2003

Slama-la-haine contre « les enfants de Bourdieu » et de Ben Laden

par Henri Maler,

La mort de Pierre Bourdieu avait déjà donné l’occasion Alain-Gérard Slama de répandre son arrogance et sa détestation sur les ondes de France Culture et dans les colonnes du Figaro, (ainsi que nous l’avions relevé dans « Les éructations d’Alain-Gérard Slama).

Dans Le Figaro du 2 juin 2003, sous le titre « Les enfant de Bourdieu », l’un des chroniqueurs préférés de Laure Adler, directrice France Culture, récidive : de la haine envers Pierre Bourdieu à la haine pour les mouvement sociaux.

Presque inutile de commenter longuement : il suffit de souligner

De la haine envers Pierre Bourdieu …

« Les grèves qui secouent la France, les manifestations qui ont pesé sur le G 8, en attendant d’autres tentatives de blocage, donnent au sociologue Pierre Bourdieu une consécration posthume. Celui-ci rêvait de s’imposer comme le nouveau Marx. Il est en bonne voie. Car la stratégie qui inspire l’ensemble de ces mouvements donne raison à ses analyses, quand elle ne sort pas tout droit de sa pensée.

Il existe en France, du syndicat SUD à Attac, en passant par Le Monde diplomatique, un penser Bourdieu, plus ou moins explicite, plus ou moins conscient, dont le fond est proprement révolutionnaire. (…) Ces minorités ne sont ni réformistes ni récupérables. L’objectif de leurs dirigeants est d’abattre le système libéral pour instaurer une société égalitariste, à redistribution intégrale [???] [1], un nouvel avatar de l’utopie collectiviste. Les nouveaux contestataires ont tiré la leçon des grandes grèves de décembre 1995 et de l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 . Ils savent qu’ils ne peuvent pas affronter directement le capitalisme. Mais ils ont appris de Bourdieu qu’ils peuvent contraindre les sociétés libérales à se détruire elles-mêmes en poussant celles-ci à la faute - comme l’a tenté Ben Laden avec Bush  -, et en les empêchant de se réformer - comme le tentent les grévistes français et les contestataires du G 8. [ Bref : des émules de Bourdieu … et de Ben Laden]

La conviction selon laquelle les David de la "misère du monde" détiennent aujourd’hui, au coeur de l’Occident, les moyens d’abattre le Goliath libéral est, à gauche, une idée neuve, dont la pensée, le langage de Bourdieu ont fourni la matrice. (…) Certes, son oeuvre est difficile. Peu nombreux sont ceux qui l’ont lue. Elle n’en constitue pas moins, comme ce fut le cas jadis du marxisme, le substrat des conduites de la gauche extrême et des socialistes radicalisés, comme Vincent Peillon ou Arnaud Montebourg. Elle fait tellement partie du paysage mental de la gauche que nul, ou presque, n’éprouve le besoin de s’y référer. Et pourtant ! En décrivant les contradictions internes des sociétés libérales, Bourdieu a rendu à l’idée révolutionnaire des couleurs de modernité.

(…) Aux anciens colonisés, qui furent parmi ses premiers terrains d’enquête, il a indiqué la voie de la contestation culturelle, inspirée de Franz Fanon, dont la violence refait surface dans la querelle des tchadors . Aux mal-aimés de l’Éducation nationale, il a donné, avec Jean-Claude Passeron, la théorie des "héritiers", qui réactivait l’objectif d’une révolution globale en détruisant l’espérance réformiste de l’égalité par l’éducation : Luc Ferry mesure à ses dépens la pénétration d’une telle thèse chez les maîtres du second degré. Aux promus du système méritocratique, Bourdieu a fait honte de leur arrogance - incrimination dont la banalité cache aujourd’hui l’âpreté - en les peignant comme des privilégiés, coupables d’un véritable délit d’initié et comme des imposteurs, plagiaires d’un modèle de distinction académique et figé : grâce à quoi, la forme entraînant le fond, tout détenteur d’une apparence d’autorité institutionnelle ou morale est devenu un suspect a priori, un justiciable en puissa nce. [Passible de la cours martiale !]

(…) Parallèlement, le sociologue a su diagnostiquer la charge explosive contenue dans les nouveaux mouvements sociaux, féministes, identitaires, communautaristes, différencialistes, corporatistes. (…) Bourdieu a rallié les plus radicaux d’entre eux à sa critique du modèle libéral en liant sa clientèle à celle de l’abbé Pierre . S’il n’a pas baptisé les "exclus", il les a sacralisés : chômeurs, mal logés, sans papiers, anomiques entraînés dans la voie de la délinquance, "exclus de tous les pays, eût-il dit volontiers, unissez-vous  !".

(…) Elle [Le notion d’exclusion] présentait à ses yeux l’intérêt de faire des exclus des victimes , et des autres membres de la société, considérés comme autant d’"exclueurs", des coupables. Au surplus, elle devenait une arme médiatique majeure, grâce au manichéisme de l’image et à la formidable capacité de la télévision de placer les problèmes périphériques de la société en son centre.

(…) Impossible d’admettre, dans la logique de Bourdieu, que quiconque fasse un riche mariage d’amour ! Toute réussite est aussitôt suspecte, toute excellence contestée. La normalisation, l’intolérance et l’épuration sont au bout (…).

A la haine des mouvement sociaux

Cela fait longtemps que nous sommes entrés dans la société décrite par Bourdieu, une société du soupçon. Démythifier, dévoiler, démasquer, est devenu un sport national, abrité derrière les alibis de la transparence et du devoir civique. L’aggravation de l’insécurité aidant, le processus risque, si l’on n’y prend garde, de tourner à la paralysie générale. La méfiance tend à devenir active, elle préfère à la concertation la politique du pire. Les professeurs qui sont prêts à toute extrémité pour empêcher la gestion décentralisée de certains personnels de l’Education nationale ne sont pas concernés par la réforme. Et pourtant, la minorité qui bloque tout s’oppose au gouvernement comme si celui-ci les visait directement. La poignée de salariés des transports publics qui répondent aux appels de la CGT et de FO ont des statuts qui les placent en dehors du cadre de la réforme des retraites. Et pourtant ils prennent en otages les villes comme s’ils étaient impliqués. On pourrait estimer que les uns et les autres prennent les devants, dans le but de négocier l’avenir. Mais face à un gouvernement qui, précisément, négocie, l’exigence d’un retrait total des projets de réforme manifestée par ces minorités témoigne d’une méfiance beaucoup plus radicale. La volonté de détruire ne se distingue pas du procès d’intention.

Il en va de même de ceux qui voudraient rassurer le bourgeois en se qualifiant d’"altermondialistes" : leur combat est tourné vers l’abolition de l’ordre existant plutôt que vers la représentation d’un ordre à édifier. En refusant de jouer le jeu des régulations existantes , ils visent à instaurer un autre mode de gouvernance mondiale, dont, avec l’appui des pays du tiers-monde , ils espèrent détenir les clés. [Quelle horreur !] Par bonheur pour le monde libre, le tiers-monde ne les suit pas. Ce n’est pas une raison suffisante pour les empêcher de nuire, ni pour interdire aux démocraties de les prendre au sérieux. »

La dénégation (« Ce n’est pas une raison suffisante pour les empêcher de nuire ») ne trompera personne.

 
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Notes

[1Tous les passages en gras sont soulignés par nous.

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