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Guerre contre l’Irak

Service public, 20 mars : informer ou tenir l’antenne ?

par William Salama,

La "couverture" des premières "opérations militaires" américaines nous a valu, en guise de service public d’information, de longues occupations des antennes, certes apparemment proportionnées à l’importance des enjeux de la guerre. Mais, en fait, nous avons eu droit à un gavage et un bavardage intensifs à destination d’auditeurs-téléspectateurs "impliqués".

Gavage, justification et implication, telles sont les mamelles de la couverture médiatique sur la guerre en Irak.

Le "festin" a longtemps été préparé à l’avance (couverture péremptoire de ces derniers mois) dans l’arrière-cuisine du paysage médiatique français [1] et le 20 mars, nous avons eu droit en guise d’information à un véritable "gavage" : l’information qui rend lucide est remplacée par une saturation qui rend malade : une véritable intoxication, dans les deux sens du terme.

Récit de la journée du 20 mars sur les ondes du service public. A priori ou factuellement (au choix) dans la réalité, les premiers bombardements de l’opération "Liberté pour l’Irak" ne se sont déroulés qu’entre 3 et 5 heures par des attaques ciblées, dont il faudra attendre longtemps de connaître les objectifs et les effets. C’est déjà trop, mais c’est tout. Pourtant, dans les médias chauds comme France-Info ou France 2 où le compte-rendu de cette opération ne devrait tenir effectivement que quelques minutes, il se rallonge interminablement. France-Info sur la tranche 10-13 ne décroche pas du sujet : les faits en Irak ( attaque, contre-attaque dont on n’a qu’une connaissance très approximative) sont expédiés, et sont le point de départ et le prétexte du déroulage de la pelote : séquence analyse, séquence économie, séquence réactions en boucle (le tour du monde en un quart d’heure), séquence témoignages des envoyés spéciaux avec mise en scène de type superproduction hollywoodienne ("il est 5.32" commence le journaliste "et soudain", il s’interrompt alors pour laisser place pendant dix interminables secondes au bruit des sirènes à Bagdad) ... Atmosphères, atmosphères…

Cette surinformation apparente dissimule une sous-information effective. L’importance des enjeux est masquée par le simulacre de "la guerre en direct". Ce n’est plus de l’information explicative, mais du remplissage, comme si la longueur des temps d’antenne garantissait l’épaisseur de l’information.

Ce gavage quasiment forcé confine parfois au mauvais goût lorsque le journaliste de France-Info en lançant, enfin, autre chose comme le bulletin météo après la synthèse sur les bombardements se fourvoie : "et maintenant les nouvelles du ciel"..

Les médias n’ont pas le choix : l’argent mis sur le tapis (de bombes) doit bien se justifier pour retenir, comme savait le faire Sherazade, le zappeur, mais avec ce risque assumé que ces pratiques de dilatation conduisent à des effets secondaires dangereuses : une « déhiérarchisation » de l’information par sa dilution dans un maelstrom de faits qui se nivellent [2]. Ils cachent évidemment un motif peu noble pour ces chevaliers de l’information : le retour sur investissement. Et tous les moyens sont bons, dont l’implication. Ainsi sur France-Inter (21 mars), pendant le 7-9, on peut entendre Stéphane Paoli déclarer : "vous êtes nombreux à nous appeler, nous sommes nombreux pour vous répondre". France-Info, dans la même quête de justification, inaugure même une séquence dans sa tranche d’information qui est une sorte de courrier des lecteurs lus par le "directeur du multimédia" ("vous êtes nombreux à vous manifester"). Quand l’auditeur devient objet de l’information au même titre que la déclaration de Chirac, il ne peut que se sentir "sur concerné" et ... écouter.

Si on a pu parler depuis longtemps de l’alignement de l’information en France sur celle de CNN - la "CNNisation" - sans vraiment en voir la manifestation probante, la mutation est désormais effectuée. Un seul exemple : France 2 a adopté le bandeau déroulant sous le Pujadas ou le Bilalian. Étrange pratique, au fond : avez-vous déjà essayé de lire et écouter en même temps ? C’est impossible, la déperdition d’information est évidente entre les deux signaux. Ceci posé, comme le rabâchage bat son plein, les informations parviennent mais pas dans l’ordre dans lequel elles le devraient ce qui renforce l’impression de chaos et de désarroi et justifie, une fois de plus, le gavage. Enco re, encore, encore. Ainsi bombardée avec frénésie et stylisation (ondes phosphorescentes sur Bagdad, images pixélisées et prises de vues clippées des avions de l’US Air Force), l’information nous est offerte comme une drogue à pleines poignées. Avec une touche de service public dans l’océan de dramatisation à l’américaine, quand Pujadas, adopte un ton paternel avec ses envoyés spéciaux ("faites attention à vous") : un conseil que l’on ne peut que partager.

 
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Notes

[1Dans Les Echos du 20 mars (" La délicate équation économique des médias "), on peut lire ceci : « les implications économiques [des médias] sont importantes, mais ce type d’événement est un investissement pour asseoir sa crédibilité ». En tout et pour tout, se vante Robert Namias, directeur de l’information de TF1, « nous avons 20 équipes entre l’Irak et les pays limitrophes, ce qui représente 80 personnes ». Les Echos ajoutent que TF1 a passé une provision de 3 millions d’euros dans le budget de la rédaction. Rappelons à cet endroit les propos de Patrick Le Lay, lors d’une réunion avec des analystes, révélés le 13 septembre 2002 par Stratégie : "En France, le nombre de joueurs de foot qui gagnent un million de francs par mois est énorme. Qu’est-ce qui peut justifier cela ? Rien. Surtout quand on ne marque aucun but. Il y a des limites à l’indécence". La suite de l’article était plus édifiante : les analystes s’inquiétant pour la stabilité des recettes de TF1 pour 2002, dans le cas où " l’Irak serait attaqué par les USA ". Prudent, Le Lay, échaudé par la catastrophe industrielle de l’équipe de France en Coupe du Monde (soit 2 % en moins de CA pour la chaîne) rétorquait aux analystes : " Il ne faudra pas nous en vouloir si l’US Air Force met à feu et à sang la planète..." Vœux pieux ?

[2Olivier Mazerolle, directeur de l’information de France 2, également dans Les Echos du 20 mars, « reconnaît que ce genre d’événement coûte très cher : « mais le surcoût sera en partie compensé (sic) par des réductions de traitement de l’information ». Tout est dit. 

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