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Schneidermann : le "médiateur" au secours de la direction du Monde

par Patrick Lemaire,

Si Le Monde a supprimé depuis belle lurette sa rubrique sociale (mais en a installé d’autres, plus sonnantes et trébuchantes [1]), le quotidien a choisi d’installer dans ses colonnes une étude de cas : le licenciement de Daniel Schneidermann.

A l’issue d’une semaine d’assourdissante omerta du quotidien sur un sujet abordé par la plupart des médias, la direction du Monde publiait (en date du 4 octobre 2003), dans le supplément hebdomadaire Le Monde Télévision (celui-là même où sévissait Schneidermann), la lettre de notification du licenciement " qui lui a été envoyée le mercredi 1er octobre " [2].

Conséquence logique : Daniel Schneidermann obtient, en vertu du droit de réponse, la publication d’un texte dans une édition suivante du Monde Télévision (datée 18 octobre 2003).

Schneidermann souligne que la publication d’extraits d’une lettre de licenciement, " une première dans la presse française ", est un " procédé " (…) " d’une brutalité inouie ".
Et relève que " les extraits publiés dénaturent le sens de (son) livre ".

La direction du Monde s’appuie le livre de Schneidermann Le Cauchemar médiatique. Dans la " lettre de licenciement " telle qu’elle l’a publiée le 4 octobre, elle prétend : " Vous comparez ses dirigeants à "un clan sicilien" "
Dans son droit de réponse, Schneidermann cite son livre : " Il me semblait que Le Monde, plutôt que de répondre comme un clan sicilien offensé par la provocation d’un clan rival (mutisme majestueux, chagrin insondable, bordée d’insultes et préparation minutieuse du bain de sang des représailles), devait répondre comme un journal dans une démocratie développée du XXIe siècle. "

La direction du Monde : " Vous apportez votre soutien à MM. Péan et Cohen contre lesquels, vous le savez, Le Monde et ses dirigeants ont engagé une procédure en diffamation. "
Mais Schneidermann a écrit en fait : " Le chapitre insinuant que Plenel pourrait être un agent de la CIA est si inepte que l’on ne peut qu’en rire, ou en pleurer. J’espère que le procès en diffamation, justement intenté par Le Monde, parviendra à en faire litière. "

La direction du Monde : " Vous jetez la suspicion sur ce que seraient les comptes du Monde ".
En fait, Schneidermann a écrit que la référence à Enron est " anonyme, non argumentée, sans le moindre début de preuve, donc, selon les critères de tout journaliste, nulle et non avenue. "

La direction du Monde : " L’entreprise de dénigrement (du journal) à laquelle vous vous êtes livré ".
Schneidermann a écrit : " Le Monde est le seul journal où j’aie jamais souhaité travailler par attachement à ses qualités de pluralisme, de curiosité et d’ouverture " ; " Le Monde est un journal où on s’est toujours fait un devoir d’accorder place aux arguments de ceux qui ne pensent pas comme vous. "

" A la vérité, poursuit Schneidermann dans son droit de réponse, j’ai pris grand soin d’éviter de confondre le travail de la grande majorité des journalistes du Monde avec les pratiques professionnelles de la direction. "

Le médiateur abdique

Comment le médiateur du quotidien va-t-il traiter du cas d’un journaliste licencié pour abus de la liberté d’expression à propos de son journal ?
En se défaussant.

Dans Le Monde daté 19 octobre, Robert Solé explique qu’ " il n’appartient pas au médiateur de se prononcer sur le licenciement d’un journaliste, et je n’ai aucune intention de sortir de mon rôle " [3]. Ainsi, le médiateur semble négliger le fait que le motif allégué du licenciement renvoie directement au contenu du journal, lequel relève de la compétence... du médiateur.

Le reste de la page produit des lettres de lecteurs, et un texte de Jean-Marie Colombani [4]. A la question de la liberté d’expression des journalistes du Monde à propos de leur propre journal, le directeur de la publication propose une réponse simplissime : " Si ce journal est celui qu’il décrit, si donc il lui était intolérable d’y travailler, avec cette direction-là et ces journalistes-là, il pouvait fort bien le quitter en évoquant ses désaccords professionnels ou en faisant jouer la clause de conscience. "

Emballez, c’est pesé. Voilà, à la faveur d’une rubrique " sociale " improvisée, l’exemple d’une entreprise bien " tenue ".

 
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Notes

[3" Paroles de lecteurs
IL n’appartient pas au médiateur de se prononcer sur le licenciement d’un journaliste, et je n’ai aucune intention de sortir de mon rôle. Le courrier reçu à propos du départ de Daniel Schneidermann me conduit, en revanche, à y faire écho. D’autant qu’un certain nombre de lecteurs se plaignent d’avoir été mal informés sur cette affaire, en soulignant qu’elle les concerne au premier chef.
L’objet de la controverse, comme chacun sait, est un livre du chroniqueur de télévision, Le Cauchemar médiatique, paru aux éditions Denoël. La direction du journal a vu dans ces pages "une entreprise de dénigrement" et "un véritable réquisitoire contre Le Monde et ses dirigeants". C’est ce qu’indique la lettre de licenciement, qu’elle a choisi de publier à côté de la dernière chronique de Daniel Schneidermann, dans le supplément "Radio-Télévision" daté 4 octobre. Cette lettre a fait, à son tour, l’objet d’un droit de réponse le 18 octobre.
Une lectrice de Liège (Belgique), Raymonde Dernier, se dit "stupéfaite de n’avoir trouvé aucune réaction de lecteur" dans nos colonnes, tandis que Philippe Peres (courriel) m’écrit : "Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’expliquer les motivations profondes de l’équipe de direction." "
(" Le médiateur ", Le Monde daté 19 octobre 2003).

[4" En conscience
par Jean-Marie Colombani
FALLAIT-IL se séparer de Daniel Schneidermann ? Fallait-il ne pas se séparer de lui ? En conscience, après en avoir longuement discuté avec la direction de la rédaction du Monde et au nom de la collectivité que je dirige - elle n’est pas seulement composée de journalistes -, j’ai décidé de le licencier. Qui peut croire que j’ai pris cette mesure de gaieté de coeur ? Qui peut croire que je n’ai pas évalué les remous qu’elle provoquerait ? Journaliste de talent, Daniel Schneidermann bénéficiait d’un statut particulier - chroniqueur de notre supplément "Radio-Télévision" et animateur d’une émission de télévision sur les médias - que je lui avais accordé. Il a joui, dans ces colonnes, d’une totale liberté éditoriale lui permettant de critiquer, parfois très durement, le monde télévisuel, le monde médiatique en général, voire son propre journal. Ce statut avantageux l’obligeait, plus qu’un autre, à respecter une certaine décence et une réelle solidarité à l’égard du journal. Or il n’a pas respecté nos règles communes. La simple bonne foi conduira certainement les lecteurs de son livre à remarquer que sa conclusion, entièrement consacrée au Monde, y semble une pièce rapportée, réglant un compte personnel éloigné de l’objet de l’ouvrage. Des conversations privées y sont citées, au risque d’empêcher la poursuite de toute vie collective et professionnelle normale. Plus grave encore, il ébauche une "liste", celle de ceux de ses confrères du Monde, qui, à bien le comprendre, ne méritent pas, professionnellement, de travailler dans ce journal. A mon poste, j’ai en charge la défense d’une communauté de travail. Daniel Schneidermann savait les risques qu’il prenait. Si ce journal est celui qu’il décrit, si donc il lui était intolérable d’y travailler, avec cette direction-là et ces journalistes-là, il pouvait fort bien le quitter en évoquant ses désaccords professionnels ou en faisant jouer la clause de conscience.
J.-M. C. "
(Le Monde daté 19 octobre 2003).

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