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Scandale : des assassins de chemise auraient retrouvé « un travail » avec la complicité de la CGT

par Olivier Poche,

Information importante en ce lundi 21 mars : quatre travailleurs ont retrouvé du travail. En ces temps de chômage endémique, est-ce une bonne nouvelle ? Manifestement non. Serait-ce parce que ce « travail » est en réalité un « petit boulot » temporaire et précaire ? Encore raté. Explications… de texte, et surtout de sous-texte.

Des révélations

Lundi 21 mars au matin, les fins limiers d’Europe 1 peuvent annoncer fièrement leur trouvaille. Au terme d’une enquête qu’on imagine longue et complexe, ils sont en mesure de révéler un scandale de grande ampleur :

Estampillée « info Europe 1 », l’annonce a tout d’une affaire d’État, dans le prolongement de « l’affaire de la chemise arrachée » – qui n’a, rappelons-le, aucun rapport avec « l’affaire des 2900 licenciements » qui d’ailleurs n’existe pas (médiatiquement). Voici les faits, qui sont accablants :

À la veille d’un rendez-vous au tribunal des Prud’hommes de Bobigny, les quatre ex-salariés d’Air France, licenciés pour leur participation dans l’affaire de la chemise arrachée en octobre, ont retrouvé du travail.
Selon les informations d’Europe 1, c’est la CGT qui les a recasés. Philippe Martinez, le patron du syndicat, a suivi le dossier en personne, allant jusqu’à recevoir lui-même les quatre licenciés au siège de Montreuil. Grâce au très puissant syndicat du livre, contrôlé par la CGT, ces quatre hommes sont devenus manutentionnaires, notamment chez Riccobono-Imprimeurs. Toujours collègues, ils tournent dans quatre imprimeries, dont l’une est à Roissy, à quelques centaines de mètres seulement des entrepôts où ils travaillaient pour Air France.

Résumons – en forçant à peine le trait : des individus ayant agressé une chemise, justement punis par un licenciement [1], n’auront purgé que 4 mois de peine, le parrain de la puissante CGT et ses complices du très puissant syndicat du livre ayant organisé leur évasion hors du chômage où ils auraient mérité de croupir jusqu’à la fin des temps. Pis, la bande s’est reconstituée : « toujours collègues », et promus « manutentionnaires », ils opèrent « à quelques centaines de mètres seulement » du lieu de leur précédent forfait.

On imagine l’effroi que cette nouvelle a dû susciter chez leurs victimes. La suite de l’article donne tout de même quelques motifs de consolation :

Deux d’entre eux ont déjà commencé, deux autres feront leur rentrée à la fin de la semaine. Ils sont vacataires, payés à la journée. Tous les matins, ils doivent appeler une « hotline » pour savoir où et quand on a besoin d’eux. Si on leur a promis un salaire au moins équivalent à ce qu’ils touchaient chez Air France, certains de ces quatre licenciés qu’Europe 1 a pu joindre peinent à trouver cette solution pleinement satisfaisante. Ils estiment notamment que cette situation est « trop précaire ». « C’est juste un dépannage assuré pour quatre mois, après on ne sait pas », regrette l’un d’eux. Ce dont ces quatre ex-salariés rêvent sans trop y croire, c’est d’être réintégrés au sein d’Air France.

Fin de l’article. Entre « retrouver du travail », comme le titre l’annonçait, et devoir appeler le matin pour savoir si l’on va travailler, payé on ne sait trop combien, mais à la journée, sur quatre lieux de travail possibles, il y a certes une petite nuance, mais est-ce une raison suffisante pour « peiner à trouver cette solution pleinement satisfaisante » ? Précaire, peut-être, mais « trop précaire » ?

Soutenir des salariés licenciés en attente d’un jugement aux Prud’hommes pourrait pourtant sembler relever d’une solidarité élémentaire… pour un syndicat, dont par ailleurs est membre l’un des quatre licenciés. Mais cette perspective est inenvisageable, en tout cas inenvisagée, pour Europe 1 comme pour tous ceux qui reprendront « l’information du jour ».


Des reprises…

Sans oser aller jusqu’à la condamnation explicite, les articles titrent tous sur le « travail » prétendument « retrouvé », au lieu de souligner son extrême précarité, qui est mentionnée au passage, en fin d’article, comme un détail négligeable. Cette hiérarchie de l’information, ainsi que les lourds sous-entendus qui orientent la présentation des « faits », en dit long sur l’antisyndicalisme et l’indifférence à la précarité sociale qui est de mise dans les grands médias. Petit passage en revue :

Où l’on apprend donc, au fil des reprises, que ces salariés licenciés n’ont pas retrouvé « du travail », mais bien « un travail » – ce qui justifie sans doute qu’on les considère comme « recasés ». L’Express nous précise que « la CGT contrôle le syndicat du livre, ce qui a permis d’aller vite pour recaser les ex-Air France ». Tant il est vrai que quatre mois de chômage sont si vite passés ! C’est d’ailleurs ce que rappelle RTL, qui ouvre son journal de la mi-journée avec cette information capitale : « Les quatre anciens salariés de la compagnie ont déjà retrouvé du travail. » L’enquêteur maison a d’ailleurs mené ses propres investigations, mais sans succès, car les ex salariés « ont refusé de parler au micro, de façon assez brutale d’ailleurs. » On se demande bien pourquoi, à voir la façon dont cette information est rapportée dans les médias !

Imperturbable et scrupuleux, le journaliste fait état des réserves des quatre salariés d’Air France, réserves que très visiblement il ne partage pas : « Eux sont loin de voir ça comme un travail. L’un d’eux estime toujours être au chômage [2], l’autre me demande si être intérimaire pendant 4 mois j’appelle ça un boulot. » Quelle question ! [3] Et la présentatrice d’enchaîner : « Et si vous avez envie de réagir n’hésitez pas… » Nous n’avons pas eu le courage d’écouter les éventuelles réactions des auditeurs. Espérons qu’elles auront été moins consternantes que celles des journalistes.

Mais la palme revient à l’articulet publié sur le site de MCETV, « chaîne totalement dédiée aux membres de la génération Y » [4], qu’on n’estime manifestement pas trop exigeants sur l’information. « C’est une victoire pour la CGT », annonce-t-on d’emblée : en effet, les quatre salariés « ont retrouvé un emploi », sur lequel on ne saura rien, à part que « tout a été possible grâce à la CGT » – précision essentielle, sans doute censée expliquer la première phrase de l’article. La conclusion est pleine d’espoir et de sottise : « Aujourd’hui ensemble dans leur nouvelle entreprises [sic], une imprimerie, les quatre hommes vont avoir un poids en moins lors du procès. En effet, la justice est beaucoup plus clémente envers les personnes exerçant une activité professionnelle. »


***



Présenter une vacation journalière comme « un emploi » enviable, s’étonner qu’on puisse avoir une appréciation différente, sous-entendre que même cette solution de fortune, temporaire et précaire serait indue à des salariés licenciés pour une faute sur laquelle les Prud’hommes n’ont pas encore statué : est-ce anecdotique ? Peut-être – sauf pour les quatre salariés cloués au pilori. C’est en tout cas significatif de présupposés médiatiques sur lesquels, en ces temps de mobilisation contre une nouvelle avancée de « la réforme », nous aurons bientôt à revenir…



Olivier Poche

 
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Notes

[1Sur lequel les Prud’hommes statueront en mai prochain : jusque-là les salariés sont présumés coupables.

[2Deux salariés sur quatre n’ont semble-t-il pas commencé à travailler, ce que l’enquêteur ne précise pas : peut-être s’agit-il de l’un de ces deux-là ? Mystère…

[3Même raisonnement dans l’article publié sur le site de RTL : « Les ex-salariés […] sont intérimaires dans quatre imprimeries, dont une à Roissy, non loin des entrepôts d’Air France. Malgré cela, les anciens salariés ne parlent pas de vrai travail. »

[4Selon Wikipedia.

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