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Révélations de L’Écho Républicain sur Attac

Il aura fallu attendre le mois de septembre 2003 pour que L’Echo Républicain découvre - enfin - l’existence d’Attac en Eure-et-Loir. La nouvelle a atteint la rédaction : le mouvement altermondialiste est « bon sujet », un sujet « incontournable », en cette rentrée. Mais le droit à l’information, c’est d’abord, pour certains journalistes, le droit de présenter à leur guise des informations glanées sur les trottoirs et le devoir de répondre à leurs conditions à des questions biaisées. Ce « journalisme d’investigation » supporte mal la critique, même en Beauce. Révélations tendancieuses, fausses confidences et vrai droit de réponse.

I. Les révélations de l’Echo Républicain

Le 12 septembre 2003, Philippe Monti, Président d’Attac 28, adresse à L’Echo républicain (Chartres) la lettre suivante


« Mesdames, Messieurs,

Sous la signature de Stéphane Marchand, votre édition du 12 septembre consacre sa « une » et sa deuxième page à ce que vous appelez la « nouvelle gauche ». Ce dossier traite la question de manière très discutable et s’inscrit discrètement dans l’hostilité assez générale des médias à l’égard du mouvement social :

1/ Le titre de une est : « Qui se cache derrière la nouvelle gauche ? » L’emploi du verbe se cacher n’est pas innocent. Cet emploi est même renforcé - de manière un peu lourde - par une grande photo : on y voit un immense drapeau Attac derrière lequel sont dissimulés des gens dont on ne peut voir que les jambes. Il n’y a aucun visage.

Le message écrit et iconique, bien qu’implicite, est transparent : Attac cache des gens qui sont des « clandestins ». Ils complotent dans l’ombre. Et des clandestins ce sont au mieux des « gauchistes » et au pire des « terroristes ». En quelques mots et en une seule photo vous parvenez donc à relayer la campagne médiatique lancée depuis le rassemblement du Larzac sur le thème altermondialistes = gauchistes = casseurs.

2/ Ce titre et cette photo ont aussi pour fonction de faire naître chez le lecteur un doute : qui se cache derrière Attac ? Qui tire les ficelles sans qu’on le voie ? On laisse ainsi entendre qu’il y aurait quelques vieux chevaux de retour - de l’extrême-gauche, bien entendu, puisque tous les médias le répètent comme une évidence scientifique - qui se serviraient du fort capital de sympathie dont bénéficie attac pour œuvrer dans l’ombre à leurs archaïques projets révolutionnaires.

3/ Le titre de la page 2 vient encore renforcer pesamment cette insinuation selon laquelle, dans l’ombre, quelqu’un tirerait les ficelles : « Dans les coulisses de l’autre gauche ». Il y aurait donc la partie visible - la scène - et les sombres manœuvres des coulisses. Ce schéma correspond exactement à celui que véhiculent les médias depuis quelques semaines en France : inquiets devant la sympathie qu’inspire l’altermondialisme, l’UMP, le PS et le MEDEF envahissent les ondes et les colonnes pour mettre en garde les braves gens : « attention, bonnes gens, vous êtes en train de vous faire manipuler par la vieille extrême-gauche sectaire ! »

Stéphane Marchand a pourtant assisté à une soirée dans une salle dans laquelle il n’y avait pas de « coulisses ».

4/ La construction du petit dossier - en aménageant un espace conséquent au secrétaire départemental du PS - repose sur un procédé simple : fabriquer artificiellement une rivalité et un conflit superficiel entre les altermondialistes et le PS. Ce procédé correspond exactement à celui que décrit le remarquable article que Gilles Balbastre et Pierre Rimbert consacrent au traitement médiatique du conflit social du printemps par les médias (édition de ce mois du Monde diplomatique) : « seconde figure imposée du traitement [...] d’un conflit social : l’effacement de ses enjeux réels au profit de problèmes médiatiquement exploitables ». Ici, tout simplement, on fabrique à partir de rien une rivalité politicienne pour pouvoir faire l’économie de tout développement informatif sur dans le contenu des analyses critiques développées par la mouvance altermondialiste.

5/ Le dossier se réduit à l’accumulation de « témoignages ». Cela correspond très exactement à un autre des procédés relevés par Pierre Rimbert et Gilles Balbastre : « L’individualisation des luttes collectives par le portrait est le troisième pont aux ânes sur lequel nombre de médias s’engouffrent. » On lit effectivement dans le dossier de Stéphane Marchand un « portrait » et, pour le reste, une accumulation de citations personnalisées qui restent toujours dans le conjoncturel sans que soit aménagé un espace au développement des arguments et des analyses de fond. On prétend donc faire de l’information sur la « gauche alternative » alors qu’on censure les critiques précises et les propositions détaillées que ses différentes composantes peuvent développer.

De manière insidieuse, il ne s’agit donc pas du tout d’« informer », mais bien de renforcer chez les lecteurs les préventions de principe contre toute critique de la pensée de marché.

L’ensemble de ce dossier est donc un exemple - modeste mais limpide - de journalisme de marché.

Pour finir, je souhaite vous rappeler quelques principes qui sont au fondement de notre association : Attac n’est pas une organisation politique (elle ne présente ni ne soutient aucun candidat à aucune élection). Elle s’adresse à tous les politiques pour qu’ils inversent la dérive antidémocratique de la vague néolibérale qui submerge le monde depuis 25 ans : au nom de la main invisible du marché, les Etats se dépossèdent progressivement du pouvoir de déterminer souverainement leur politique économique : il serait impossible désormais de fixer telle ou telle norme sociale, environnementale ou budgétaire choisie par les peuples dans des élections libres, parce que des institutions internationales (OMC, FMI, Banque mondiale, OCDE, etc.) nous impose pour seul horizon le libre-échangisme absolu et la généralisation du marché et de la concurrence. Dans ces institutions dites « multilatérales », ce sont les grandes entreprises transnationales et leur énorme puissance financière qui « terrorisent » les gouvernements (particulièrement ceux des pays du Sud). La conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en est un nouvel exemple.

Attac n’aura donc jamais rien à voir avec les petits arrangements politiciens locaux (ou nationaux).

Les médias, comme toutes les entreprises, ont aussi été façonnés par cette vague néolibérale : ils sont de plus en plus la propriété des transnationales ; ils ont, eux aussi, des actionnaires. L’indépendance de la presse est donc désormais sous la tutelle de ces propriétaires (en nombre chaque jour plus restreint) et de ces actionnaires.

Les médias sont aussi les « acteurs » de cette vague néolibérale : conformément aux intérêts de de ceux qui les possèdent, ils distillent la pensée de marché. Pour survivre, les « petits » médias comme le service public de l’audiovisuel se croient contraints de travailler dans le même esprit. Ce qui aboutit à cette effrayante uniformité : pensée de marché, fabrication du consentement, conformisme, soumission aux contraintes de la publicité, dévalorisation de ce qui est « public », envahissement par le divertissement, choix privilégié du fait divers, psychologisme sommaire et, surtout, censure de la pensée critique (car elle « ennuie » le public, bien entendu...).

Tout cela justifie le regard très critique que le courant altermondialiste porte aujourd’hui sur les médias et qu’on entend parfois brutalement résumé en un slogan dans nos manifestations : « médias partout, info nulle part ! »

Je vous prie de bien vouloir agréer ... »

II. Les confidences de l’ Echo Républicain

Dans son édition du samedi-dimanche 20 et 21 septembre L’Echo républicain, publie, en page intérieure, une rubrique intitulée "CONFIDENTIEL". Cette rubrique réunit quelques petites « brèves » (non signées). Une « confidence », titrée "24 heures avec" - qui révèle aux lecteurs alléchés que TF1 est venue filmer la dure vie du préfet de Chartres pour faire un sujet dans le journal de Jean-Pierre Pernaut. Passionnant. Une autre, titrée "Confiance maintenue", qui révèle que le Conseil général d’Eure-et-Loir s’est réuni secrètement en juillet au Sénat pour préparer de futures élections. Décisif.

Mais la première « confidence » ... n’a rien d’une confidence, mais tout d’une perfidie. Elle est titrée « Droit de la presse ». Voilà ce qu’on y lit (mot pour mot, faute pour faute, bêtise pour bêtise) :

« Dans les soirées-débat altermondialistes, Philippe Monti, le responsable départemantal d’Attac 28 (Association pour la taxation des transactions financières), n’a de cesse de vitupérer les médias et les journalistes, coupables selon lui, d’être à la solde de grands groupes financiers acteurs de la mondialisation néo libérale. "Une entrave à la liberté de la presse", dit-il. Mais lorsqu’il est sollicité par un journaliste, Philippe Monti exige une relecture de l’article avant sa parution. Elle pas belle la liberté de la presse ? »

Le 23 septembre 2003, Philippe Monti adresse à L’Echo républicain, une demande de « droit de réponse » que voici :

Mesdames, Messieurs,

Les quelques lignes que vous avez publiées - anonymement - dans votre édition des 20 et 21 septembre sous le titre « Droit de la presse » appellent quelques commentaires et corrections :

1/ Je suppose qu’il s’agit de votre « argumentation » pour répondre au courrier de trois pages qui vous a été adressé le 12 septembre.

2/ Je n’ai jamais évoqué le « droit de la presse » : ce titre est donc une manière malhonnête de vous soustraire aux questions de fond.

3/ Il faudra un jour que vous expliquiez ce que vous appelez « soirées altermondialistes » (comme on parle ailleurs de « soirées mondaines »). On n’a jamais vu de journalistes de L’Echo républicain lors des conférences-débats d’Attac 28 (Bernard Cassen, Serge Halimi, Susan George, Yves Salesse). Seul Stéphane Marchand a partiellement assisté le 10 septembre à une soirée animée par un collectif d’organisations diverses.

4/ Vous mutilez le nom d’Attac : vous censurez le A et le C terminaux qui signifient « pour l’Aide aux Citoyens ». Il s’agit d’un « oubli » malhonnête qui suggère implicitement qu’Attac milite uniquement pour « taxer » et qui tente ainsi de réveiller quelques vieux réflexes poujadistes.

5/ Je suis le président de l’association Attac 28 qui est le comité local d’Eure-et-Loir de l’association nationale Attac.

6/ L’emploi du verbe « vitupérer » est évidemment un privilège réservé à la pensée critique : quand il s’agit des notables ou des élus locaux, en toute « liberté », jamais vous ne vous permettez ces outrances.

7/ Ni Attac ni moi n’avons JAMAIS accusé les journalistes d’être « coupables » de quoi que ce soit. Comme tous les acteurs sociaux, les journalistes sont aussi les agents d’une structure qui les contraint et les détermine.

8/ Ni Attac ni moi n’avons JAMAIS dit ou écrit que les journalistes étaient « à la solde » de qui que ce soit : cette caricature exécrable de notre analyse critique traduit le refus des médias - grands ou petits -d’accepter toute information objective sur le pouvoir d’informer.

9/ Le propos qui m’est explicitement prêté est une pure invention : ni Attac ni moi n’avons parlé de la « liberté de la presse », mais bien de l’ « indépendance de la presse » (relisez mon courrier du 12/09/03, l’expression figure en toutes lettres). C’est donc la question de sa dépendance à l’égard des intérêts de ses propriétaires qu’il convient de poser sans prendre le détour convenu de la « liberté de la presse » : cette dernière tend à devenir aujourd’hui l’alibi invoqué par de nombreux journalistes pour justifier leur oubli d’informer sur le pouvoir économique dans les médias, sur les effets de la présence de grands groupes financiers dans le capital des médias, sur le pouvoir de la publicité, sur la concentration de la presse et sur les connivences entre les journalistes dominants et les élites économiques.

Ponctuellement, vous vous arrogez donc, au nom de la « liberté de la presse », le pouvoir de faire dire n’importe quoi à celles et à ceux dont vous estimez n’avoir rien à craindre !

10/ Selon vous, j’aurais demandé une relecture de l’article de Stéphane Marchand. La mauvaise foi consiste ici d’abord à laisser croire au lecteur que je prétendais réécrire intégralement le dossier de Stéphane Marchand. En fait, j’ai demandé, lors de notre bref échange oral, sur le bord d’un trottoir, à relire les propos qui me seraient prêtés avant leur publication car ils allaient engager l’association ; rien de plus, rien de moins.

Pourquoi un quotidien de la presse régionale me refuserait-il ce que la presse nationale « respectable » accorde généreusement et quotidiennement ?

Ce que vous avez ensuite publié montre avec une cruelle évidence que ma prudence était objectivement justifiée !

En conséquence, je vous prie de bien vouloir publier le droit de réponse suivant :

« Mis en cause dans l’édition des 20 et 21 septembre, en tant que président d’Attac 28 (Association pour la taxations des Transactions financières pour l’Aide aux Citoyens), je m’étonne de ce qu’on me suppose l’intention et le pouvoir d’attenter à « la liberté de la presse ». Le ton et la virulence de la mise en cause relèvent de « libertés » que la presse ne s’autorise ni avec ses propriétaires, ni avec les notables, ni avec les élus (si bien servis par la « liberté de la presse »).

Les propos qui me sont prêtés sont une caricature dont la paternité n’appartient qu’à leur auteur anonyme de L’Echo républicain. Il serait bien difficile à cette rédaction de connaître les analyses développées par Attac 28 puisqu’aucun de ses journalistes n’a jamais assisté à aucune des conférences et aucun des débats organisés sous la seule responsabilité de l’association (Bernard Cassen, Serge Halimi, Yves Salesse, Susan George, etc.).

Attac 28 maintient ses critiques précises de la Une et du dossier de Stéphane Marchand publiés dans l’édition du 12 septembre : elles ont été détaillées dans un courrier de trois pages que L’Echo républicain n’a pas publié - ne serait-ce que partiellement - et auquel il ne répond en rien.

Pourquoi refuserait-on en Eure-et-Loir au président d’une association le droit de relire les propos qu’on va lui attribuer alors que c’est une pratique courante dans la presse nationale réputée « respectable » ?

La « liberté de la presse » autorise-t-elle donc désormais à publier des déclarations imaginaires pour nuire à ceux qui osent s’interroger sur la dépendance économique et idéologique des médias ? Pourquoi serait-il insultant pour les journalistes (aujourd’hui bien souvent encore plus précarisés que les autres salariés) de considérer les médias pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des entreprises comme les autres avec des propriétaires et des actionnaires qui veillent à défendre leurs intérêts ?

Belle conception de la « liberté de la presse » que celle qui se résume au pouvoir de faire dire n’importe quoi à ceux dont on ne redoute rien, à caricaturer et à censurer toute critique argumentée et informée !
Philippe Monti (président d’Attac 28) »

Je vous prie de bien vouloir agréer ...

A t t a c 2 8
Siège social :
17 bis, rue St-Michel
28000 Chartres
attac28@attac.org

Nota Bene

L’Echo tire à 35000 exemplaires seulement, mais c’est le journal le plus lu sur l’agglomération chartraine. Son PDG, Jacques Camus, est aussi le Directeur général de son principal concurrent, La République du Centre : il est pas beau le pluralisme en Eure-et-Loir !

 
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