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RER D - Indignations et effets d’aubaine, par médias interposés

par Arnaud Rindel,

Vendredi 9 juillet : Marie L. porte plainte. Samedi 10 juillet : son récit est rendu public et porté à la connaissance de Dominique de Villepin et de Jacques Chirac qui s’empressent de réagir. Dimanche 11 juillet : les déclarations politiques et associatives se multiplient.

Le petit échantillon qui suit est destiné à mettre en évidence comment se construisent des commentaires à sens unique, précisément parce que les médias qui les alimentent et les cautionnent légitiment ainsi les leurs.

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« Personne n’a stigmatisé - en tout cas pas moi - une quelconque communauté dans cette affaire. On s’est tous levé contre l’antisémitisme et toute forme de racisme. Donc personne n’a stigmatisé ... je ne crois pas que personne ait dit d’ailleurs, qu’il s’agissait de jeunes, ou musulmans ou arabes... ça, personne ne l’a dit. Personne ne l’a dit. »
Jean-Paul Huchon (France Inter, 14.07.2004, 13h)
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I. Condamnation unanime

D’abord, une condamnation unanime qu’il convient de rappeler ici puisqu’elle permettra à tous et à chacun - et en particulier à la plupart des journalistes concernés -
de se défausser de sa responsabilité sur celle des autres.

Une avalanche de déclarations

Le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme est le premier, après MM. de Villepin, Chirac, à réagir dès le samedi dans un communiqué repris par l’AFP (10.07.2004, 0h45).

Le lendemain, c’est Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants qui inaugure le défilé des réactions (AFP, 11.07.2004, 10h36).

Peu après sont rapportés les propos des députés, qui, en plein examen du projet de loi de réforme de l’assurance maladie, ont interrompu leur séance à l’assemblée nationale, pour s’exprimer sur ce fait divers.
En suivant le “fil AFP”, on peut ainsi lire les déclarations du président de l’Assemblée et ancien ministre de l’Intérieur, Jean-Louis Debré, des présidents des trois groupes, UMP, PS et PCF, et de Philippe Douste-Blazy, qui s’exprime « au nom du gouvernement ».

Viennent ensuite le maire de Paris, Bertrand Delanoë, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), la LICRA (Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme), le président de la SNCF, Louis Gallois, le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), la section française du congrès juif mondial, SOS-Racisme, le conseil français du culte musulman (CFCM), la FSU (Fédération Syndicale Unitaire), Cinq obédiences maçonniques (à travers un communiqué commun du Grand orient de France, de la Grande Loge féminine de France, de la Grande Loge traditionnelle et symbolique Opéra, de la Grande Loge mixte universelle et de la Grande Loge mixte de France), ainsi que, parallèlement, de nombreuses personnalités politique du Front national, de l’UMP, de l’UDF, du PS, des Verts, et de La Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

Le lundi 12, de nouvelles réactions, essentiellement syndicales, s’ajoutent à ce concert d’indignations. Apparaissent ainsi sur le “fil AFP”, les condamnations de la Fédération nationale du personnel d’encadrement de la SNCF (CFE-CGC-cheminots), de l’Union régionale CFDT Ile-de-France, du consistoire israélite de Paris, de la Fédération Sud rail, de la CFDT, de l’Union syndicale G10 Solidaires, du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), de la CGT et de Lutte Ouvrière (LO). C’est, à 18h24, le mouvement « Ni putes, ni soumises », qui clôt ce défilé.

Ces réactions, relayées par l’AFP, sont reprises, pour certaines, par les médias. Outre celles de MM. Chirac et Villepin, les déclarations de MM. Debré et Douste-Blazy, en particulier, sont largement diffusées. On entend beaucoup, également, l’ancienne ministre de la Justice, Elisabeth Guigou (PS), Jean-Paul Huchon (PS), président du Conseil régional d’Ile-de-France, ainsi que deux représentants du CRIF, Ariel Goldman (porte-parole pour les questions de sécurité), et l’incontournable Roger Cukierman (président), soit qu’ils interviennent à de multiples reprises, soit que les médias diffusent plusieurs fois leur propos.

Ces condamnations sont unanimes. Et les médias consacrent cette unanimité. Une consécration qui à son tour légitime leurs propres condamnations tout en confortant celle de l’ensemble des acteurs politiques. Rappel.

Condamnations des agresseurs

Le premier motif d’unanimité est naturellement la compassion et l’indignation devant le caractère antisémite de l’agression rapportée par Marie L.

« Vive émotion » et « profonde sympathie » (Jacques Chirac - AFP, 10.07.2004, 22h11), « profond dégoût » (Lutte ouvrière - AFP, 12.07.2004, 12h29) ou « révolte » (Jean-Louis Debré, AFP, 11.07.2004, 10h41) : tous condamnent à l’unisson, avec « force » ou « avec la plus grande fermeté » (Dominique de Villepin - AFP, 10.07.2004, 21h54).

C’est une agression « sauvage » pour Bertrand Delanoë (AFP, 11.07.2004, 11h09), « ignoble » pour Anne Hidalgo [PS] (AFP, 11.07.2004, 12h25), « irresponsable et intolérable » pour le ministre délégué aux anciens combattants (AFP, 11.07.2004, 10h36) « odieuse et barbare » pour Alain Juppé et François Baroin [UMP] (AFP, 11.07.2004, 13h40), ou encore des actes « inqualifiables » pour M. Accoyer [UMP] (AFP, 11.07.2004, 12h23).

Pour Elisabeth Guigou, qui veut être sûre de ne rien oublier, « c’est un acte épouvantable, qui suscite à la fois l’horreur d’abord, et puis aussi l’indignation, la révolte » (F2, 11.07.2004, 13h). Même souci d’exhaustivité pour le président de l’UDF, François Bayrou, pour qui cette agression par des « bêtes brutes » est « honteuse, brute, lâche et veule » (AFP, 11.07.2004, 13h36).

Dans un communiqué, le président de la SNCF, Louis Gallois, se déclare lui aussi « profondément choqué » et exprime « sa vive émotion au nom de l’ensemble des personnels de la SNCF ». (AFP, 11.07.2004, 13h17)

Les associations confessionnelles et de défense des droits de l’homme ne sont pas en reste. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) fait part de son « effroi » face à « une agression odieuse ». (AFP, 11.07.2004, 11h11) La Ligue des droits de l’Homme (LDH) l’a qualifié, de son côté, d’« abjecte et effrayante » et la LICRA dénonce également des « actes écoeurants d’inhumanité » (AFP, 11.07.2004, 13h03). Enfin, « horrifié, le MRAP condamne avec la plus grande fermeté l’insoutenable et lâche agression antisémite publique » (AFP, 11.07.2004, 13h43).

La plupart des médias, on s’en doute, ne diront rien d’autres... quand ils ne prendront pas les devant.


Appels à manifester

Des manifestations sont par ailleurs annoncées.

Marie-George Buffet, secrétaire nationale du Parti communiste français, appelle « à un rassemblement de protestation et de lutte contre la barbarie, l’antisémitisme, les racismes, et la xénophobie », le lundi à 18H00 au métro Belleville (AFP, 11.07.2004, 14h14). Lutte ouvrière appelle à y participer (AFP, 12.07.2004, 12h29).
Jean-Paul Huchon, souhaite, de son côté, que « l’ensemble des élus franciliens » se rassemble au même moment dans l’hémicycle du Conseil régional « en signe de protestation » (AFP, 11.07.2004, 17h25)
Pascal Beaudet, maire communiste, souhaite, lui, que la population se réunisse le lendemain devant sa propre mairie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), ville où habite la victime. Rassemblement auquel Mouloud Aounit, le secrétaire général du MRAP et Michel Tubiana, le président de la Ligue des Droits de l’Homme, annoncent leur participation. (AFP, 12.07.2004, 17h18).

Condamnation des témoins

L’indignation n’épargne pas les passagers qui sont restés sans réagir. Quelques exemples : Michel Tubiana (LDH) déplore « l’indifférence dans laquelle les faits ont pu se dérouler » (AFP, 11.07.2004, 11h11). Ariel Goldman, porte-parole pour les questions de sécurité au CRIF, s’indigne sur France 2 - ses propos sont diffusés à 13 h puis à 20 h - de la « lâcheté », « non seulement [...] des auteurs, mais [...] de tous ceux qui assistent à ce genre d’acte sans bouger ». Noel Mamère est lui aussi « consterné par l’apathie et le silence des passagers qui ne sont pas venus en aide à cette dame ». (AFP, 11.07.2004, 12h30). Jean-Paul Huchon estime que « ce qui n’est pas admissible, c’est que des gens dans le wagon aient assisté à ça sans réagir » (TF1, 11.07.2004, 20h). Pour Mouloud Aounit (MRAP), enfin, cette « insoutenable indifférence de voyageurs qui ont assisté à cette profanation morale sans réagir [...] doit interpeller, les consciences individuelles et collectives ». (AFP, 11.07.2004, 13h43).

Retrouver et punir

Se succèdent également une surenchère de demandes de plus de fermeté, plus de sévérité, plus de « moyens », plus « d’action ». Marchant en cela dans le sillon ostensiblement creusé par MM. Chirac et Villepin, la plupart des communiqués et des interventions reprennent leur appel à la fermeté.

Cela commence par des affirmations très volontaristes, comme celles de Bernard Accoyer, président groupe UMP à l’assemblée, qui affirme que « la haine, l’intolérance, l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie » doivent être « combattus quotidiennement et partout. » (AFP, 11.07.2004, 12h23). De même, pour Bayrou, « il est plus urgent encore de travailler à rendre du sens à la société dans laquelle nous vivons, avec détermination, ordre et volonté partagée ». (AFP, 11.07.2004, 13h36). Noël Mamère, quant à lui, appelle au « sursaut républicain » : « Il faut donc que l’ensemble de la classe politique, les associations religieuses et laïques se mobilisent pour dire “plus jamais ça” et pour réveiller l’esprit républicain dans notre pays afin que ce type d’agression ne se reproduise plus », (AFP, 11.07.2004, 12h30)

Mais comment ? Pour le ministre délégué aux anciens combattants, « les auteurs doivent être identifiés et punis avec la plus grande sévérité » (AFP, 11.07.2004, 10h36). Ariel Goldman renchérit en insistant pour « que les auteurs de ce forfait soient très vite rattrapés et que tout soit mis en oeuvre pour des sanctions exemplaires » (AFP, 11.07.2004, 11h11). Marie-Georges Buffet, elle aussi « souhaite que les coupables soient condamnés avec la plus grande fermeté » (AFP, 11.07.2004, 11h09). Et pour cela Bayrou « espère » que « des moyens exceptionnels seront mis en œuvre » (AFP, 11.07.2004, 13h36), tout comme Jean-Marie Le Guen pour qui « tous les moyens de l’Etat doivent être mobilisés pour avoir des résultats » (France 3, 11.07.2004, 19h). Elisabeth Guigou estime elle aussi qu’« il faut absolument d’abord que le président de la république exige du gouvernement qu’il mette des moyens sans précédents pour retrouver les agresseurs » (France 2, 11.07.2004, 13h). Elle propose même la création « d’un comité de lutte contre les actes antisémites qui rassemblerait les partis politiques, les associations » (AFP, 11.07.2004, 13h19).

Ce concert unanime de condamnations, consciencieusement retransmis par les médias, participe à la mise en scène et à la mise en forme de l’événement. L’agenda politique et l’agenda médiatique se confortent et se légitiment réciproquement. Non seulement le récit de Marie L. est de facto légitimé, avant même d’avoir été vérifié, mais, avérées ou non, l’agression et sa dimension antisémite prennent des proportions incontrôlables et incontrôlées.
Les réactions, toujours justifiées, aux manifestations du racisme et de l’antisémitisme se transforment en phénomène médiatique relativement autonome. De proche en proche, de l’exagération - encore imputable à l’indignation - à l’exploitation pure et simple, de surenchère en surenchère, c’est une vision apocalyptique du monde social qui s’impose et, avec elle, les formes les plus outrancières de l’idéologie sécuritaire.

Et les médias relaient complaisamment cette vision qu’ils contribuent à construire.


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II. Effets d’aubaine

Pour certains responsables, à n’en pas douter, la prétendue agression du RER D., est un authentique effet d’aubaine : une occasion de propagande, plus ou moins avouée.

Ministère de la compassion

En premier lieu, on peut s’interroger sur le soutien très appuyé que la secrétaire d’Etat au droit des victimes, Nicole Guedj a apporté à la version de la jeune femme.

Dans une émission télévisée elle expliquait il y a quelques temps que, selon elle, les « victimes d’actes racistes et antisémites » ont « besoin » de « faire sentir au reste de la nation, au reste de la collectivité qu’elles ne sont pas seules concernées, que tous les français sont concernés et qu’ils doivent ainsi participer à leur émotion, participer à leur douleur, et enfin de compte prendre part à leur propre combat. » [1].
On comprend alors que son engagement sans réserve ni recul relevait d’un véritable sacerdoce. Au point qu’elle pourra déclarer après coup, selon Le Monde du 25 juillet 2004, être « convaincue de n’avoir vraiment rien à se reprocher » et « avoir fait preuve de la prudence nécessaire ».

Rappel des faits. Nicole Guedj, s’entretient par téléphone avec Marie, et annonce dans un communiqué qu’elle « la rencontrera très prochainement », tout en soulignant qu’elle est « choquée d’apprendre qu’aucun des passagers de la rame n’est intervenu pour leur venir en aide, alors que la vie même d’une femme et de son enfant était en jeu » (communiqué reproduit par l’AFP, 11.04.2007, 17h29).

Vers 18h20, elle intervient en direct sur Europe 1, dans l’émission Le grand rendez-vous, de Jean-Pierre Elkabbach, pour donner des nouvelles de la victime :

« Ecoutez, elle est traumatisée, pour deux raisons. D’abord parce qu’elle a été victime d’une agression violente. Elle n’a pas compris que le fait pour elle d’avoir eu une ancienne adresse dans le 16e laisse penser à ses jeunes agresseurs qu’elle était juive et qu’à ce titre elle pouvait mériter l’agression qu’elle a subit. Et puis, elle est aussi très traumatisée parce qu’elle était avec un bébé, bébé que l’on a bousculé, on a fait tomber sa poussette... Et en même temps, évidemment, elle est très choquée d’avoir subi cette agression devant des témoins, des témoins qui n’ont pas réagis. »
Jean-Pierre Elkabbach demande confirmation : « Elle a crié et personne n’a bougé ? ». Nicole Guedj répète : « Elle a appelé au secours... » Elkabbach insiste : « Et personne n’a bougé ? - Non ».
Un peu embarrassé, l’animateur d’Europe 1 lui demande alors : « Et euh, euh... il n’y a aucun doute ? Parce que dans certains cas on met des conditionnels, on dit il faut vérifier, vous avez probablement vérifié : elle a été agressée dans les conditions qu’elle dit ? »
La réponse de la secrétaire d’Etat aux victimes est sans ambiguïté : « Ecoutez, les services de police font ces vérifications et n’émettent a priori pas de doutes, autant que les services de la justice. Elle présente des marques sur le visage et sur le ventre en même temps que ces croix gammées au marqueur. Tout peut arriver, on peut douter de tout, mais... vous parliez je crois de présomption d’innocence [exclamation ironique] on ne va quand même pas renverser les choses au point d’émettre des doutes de ce type. Cette jeune femme a fait l’objet d’une agression, et ce qui me soucie aujourd’hui, ce qui me préoccupe, c’est de lui apporte le soutien ».

Un peu plus tard, elle précisera à nouveau à l’AFP, que « Cette jeune femme a subi un traumatisme psychologique [...] Elle a été victime d’une agression qui a duré de longues minutes, elle a eu peur pour son enfant, et les témoins présents ne l’ont pas secouru. »
« Nicole Guedj a estimé que l’antisémitisme des agresseurs, selon le récit de la jeune femme, ne faisait aucun doute » précise encore la dépêche, qui signale en outre que « La ministre a appelé les témoins à se manifester pour "que l’on puisse très vite retrouver et sanctionner les auteurs de ces actes indignes". » (AFP, 11.07.2004, 19h56)

Sur TF1, à 20h, on verra encore Nicole Guedj raconter son entretien. « Elle était très choquée de ce qui lui était arrivée, évidemment, puisqu’elle a été victime d’une agression dans des conditions qu’elle n’a pas comprises, bien sûr, qu’elle l’a été en présence d’un bébé dans une poussette, et qu’elle l’a été, selon ses dires, en présence d’un certain nombre de témoins qui ne lui ont pas porté secours ». Et le lendemain, la secrétaire d’Etat aux victimes fera le tour des différents médias pour relayer les appels à témoins de la police.

Question : que signifie, du point de vue de l’information, la complaisance accordée par des journalistes à ce témoignage intentionnellement communiqué en tous points de l’espace médiatique ?

Défense des valeurs

Et que signifie - toujours du point de vue de l’information - la reproduction complaisante, de ces déclarations qui, sous couvert de défendre des valeurs républicaines, laissent libre cours à des fantasmes réactionnaires ?

François Bayrou a estimé que cette agression était « un pas de plus dans une escalade ». Il s’est exclamé : « Qui ne voit que c’est, malgré les discours et les déclarations solennelles, une société qui se dégrade en violence, en haine et en bêtise grasse ». (AFP, 11.07.2004, 13h36). Hervé Morin (président du groupe UDF) : « On se gave de mots sur les valeurs de la république, sur la citoyenneté, mais la réalité elle est toute autre. Elle est que aujourd’hui le communautarisme s’est développé, l’intolérance s’est développée » (France 3, 11.07.2004, diffusé à 12h puis 19h).

M. Delanoë a déclaré que l’antisémitisme « faisait peser une menace sur nos valeurs communes, notre unité et notre sécurité ». (AFP, 11.07.2004, 11h09)

Jean-Louis Debré, qui exprime au nom de tous les députés sa « révolte devant ces actes ignobles », précisant que « la France ne peut accepter passivement de tels agissements parce que c’est l’âme et la tradition de notre pays qui est visée » (AFP, 11.07.2004, 10h41).

A l’Assemblée Nationale, Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé, met en garde, « au nom du gouvernement », contre « la haine, l’antisémitisme, le racisme, et la xénophobie [qui] sont probablement, et à coup sûr, certainement, les pires dérives mortelles pour notre démocratie... dérives mortelles. » (France 3, 11.07.2004, 19h). Douste-Balzy : « On oublie souvent ce principe de tolérance qu’il faut inculquer aux enfants de ce pays quels qu’ils soient [...] dès le premier âge » (France 3, 11.07.2004, 12h).

Jean-Marie Le Guen [PS] : « C’est la démocratie qui est en jeu » (AFP, 11.07.2004, 10h41)

Le président du groupe UMP à l’Assemblée Bernard Accoyer a estimé dimanche que les actes antisémites et racistes « menacent la République » (AFP, 11.07.2004, 12h23).

Sur France 3, durant le 19/20, puis le Soir 3, Ariel Goldman, porte-parole pour les questions de sécurité au CRIF, expliquera qu’« aujourd’hui on le voit bien, physiquement, pratiquement sur cette action, les actes antijuifs, ne touchent plus la seule population juive. C’est le problème de toute la société française, de la démocratie toute entière. Et il faut que toute la démocratie, toute la société réagisse en conséquence. »

Vertiges de la répression

Certaines condamnations se sont évertuées à garder un minimum de retenue.

Lutte Ouvrière rappelle dans son communiqué que « les déclarations indignées des hommes politiques qui sont ou ont été au pouvoir [...] ne sauraient faire oublier qu’en approfondissant la fracture sociale qu’ils prétendent combattre ils portent leur part de responsabilité ». (AFP, 12.07.2004). Et si Jacques Brunhes (Président du groupe communiste à l’assemblée) croit nécessaire de souligner qu’ « il ne pouvait pas y avoir dans notre pays des lieux de non-droit, comme les trains de banlieue ou certains quartiers », il déclare néanmoins que « Il faut prendre des dispositions, pas seulement sur les problèmes liés à la sécurité au quotidien, mais aussi contre l’apartheid spatial et social qui génère des violences. » (AFP, 11.07.2004, 10h41, repris dans L’Humanité du 12 juillet)

Mais parfois, certaines de ces déclarations, tout en essayant de se démarquer de l’idéologie sécuritaire, ne lui ont pas moins servi de soutien involontaire. Le meilleur exemple est celui de Mouloud Aounit.

Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP, a déclaré que « par cet insoutenable acte fasciste, un pas supplémentaire dans l’ignominie antisémite vient d’être franchi ». Cette agression « révèle dramatiquement la gravité de la situation » et « impose désormais une urgence absolue : casser la dynamique de l’impunité des auteurs des actes racistes et antisémites qui favorisent le passage à l’acte ». Casser cette dynamique impliquant en premier lieu d’« arrêter et châtier les auteurs de ce forfait monstrueux » (AFP, 11.07.2004, 13h43). Les médias retiendront ces déclarations : « Insoutenable acte fasciste » sera repris, entre autres, dans Ouest-France du 12 et l’Humanité du 12 ; « Un pas supplémentaire dans l’ignominie antisémite vient d’être franchi. », sera cité par Libération (le 12 juillet) ; « Casser la dynamique de l’impunité » est également une formule qui plaira beaucoup (le « 19/20 » et le soir 3 le 11 sur France 3 , puis L’Humanité du 12).

Précisément parce qu’ils sont tenus par le secrétaire général du MRAP, ces propos prennent une résonance particulière au milieu des appels indifférenciés à la répression : du pain béni pour les éditorialistes et autres analystes des médias pressés de surenchérir. Au point que, même quand Mouloud Aounit introduit des nuances (celles du moins dont le compte rendu journalistiques permettent d’ apercevoir qu’il y a eu des nuances), elles sont relativisées.

Ainsi, dans l’analyse publiée par Libé sur l’antisémitisme, la journaliste retranscrit ses propos sans aucune critique quand il proclame « que la loi soit appliquée avec force ! » mais le contredit dès qu’il commence à évoquer « l’exclusion sociale » en précisant que « certains discours antisémites perdurent, y compris dans les classes moyennes issues de l’immigration maghrébine ».

De même, l’entretien publié par France soir le 12 juillet 2004 permet d’observer comment, volontairement ou pas, les propos tenus sont instrumentalisés.
Titre : « Il y a un mauvais vent qui souffle ». Un propos qu’il est d’autant plus intéressant de mettre en évidence qu’il figure sur une double page titrée «  En attendant le “sursaut républicain”, la France a honte  », mais dans la colonne située tout à droite de la seconde page. S’il arrive jusque là, le lecteur, gavé de textes sur la page de gauche stigmatisant la « banlieue », pourra lire : « On ne peut qu’être horrifié. Ses auteurs ont franchi un pas supplémentaire dans l’innommable. Mais, ce qui est beaucoup plus grave, c’est qu’il y a eu des témoins. Sans bouger, ceux-ci ont assisté à une véritable profanation morale. » Puis : « Il y a maintenant une obligation : identifier et châtier les auteurs ». La conclusion restrictive figure, elle, tout en bas de la colonne : « Mais attention aux amalgames ! Quelle que soit l’origine des auteurs, il ne faut pas enfermer la question de l’antisémitisme dans un affrontement entre Juifs et Arabes. »

Attention aux amalgames ? Vraiment ?

« Nazis de banlieue »

Non seulement, la répression est souvent présentée comme la seule réponse possible à la montée de l’antisémitisme, mais, de proche en proche, et par un effet de surenchère, elle est proposée comme LA réponse aux « violences émanant des jeunes des cités ».

Pour le justifier, l’outrance et la démesure. Soucieux d’instruction civique sans doute, les commentateurs agitent le spectre du 3e Reich et théorisent, à partir d’un cas unique, une contamination généralisée par le néonazisme et de l’antisémitisme....

Certains sont relativement « sobres » dans l’excès, comme Marie-George Buffet pour qui ces actes traduisent « la résurgence d’une idéologie de type néo-nazi » (AFP, 11.07.2004, 11h09). D’autres, comme Jean-Paul Huchon sont moins mesurés n’hésitant pas à marquer leur absence d’étonnement devant la passivité supposée des passagers. Car après tout, « la France est quand même l’un des rares pays d’Europe qui ait donné des enfants à déporter aux allemands ! » s’indigne Jean-Paul Huchon, en stigmatisant « cette passivité, cette complicité, cette peur du plus fort etc. » (France 2, 11.07.2004, 20h)

La LICRA se distingue particulièrement : « Les nazis de banlieue défient la France ». Pour la LICRA, le discours solennel du Président Jacques Chirac à Chambon sur Lignon « semble n’avoir été entendu que par la minorité agissante et nazifiante décidée à semer le désordre, le trouble et à défier notre pays ». Pour la LICRA encore, « Le temps est venu de la mobilisation de tout le pays pour affronter ceux qui menacent la paix civile en commettant des actes antisémites barbares. ». Pour la LICRA enfin, « Seule la sanction exemplaire et sans faiblesse par la justice républicaine peut avoir valeur dissuasive, préventive et pédagogique » (AFP, 11.07.2004, 13h03).

Selon M. Goasguen, député UMP du 16e arrondissement, « Le mélange d’anticapitalisme et d’antisémitisme rappelle furieusement un passé tragique et honteux de la France » (AFP, 11.07.2004, 14h18), qui appelle les médias et les politiques à « modérer les discours sur Israël ».
Comme nous l’avons vu, d’après l’AFP, « la faible proportion d’interpellations suivant les agressions antisémites ne permet pas de tirer des conclusions générales sur les profils de leurs auteurs » (AFP, 11.07.2004, 19h34). Pourtant Roger Cukierman, tout en « se défendant de stigmatiser une communauté » précise : « Je constate que dans les agressions antisémites qui ont été causées ces derniers temps il y a beaucoup de jeunes beurs, mais il n’y a pas qu’eux c’est évident ». Et comme les beurs sont tous musulmans (c’est tout aussi “évident”...), il souhaite que « les imans des cités où il y a des agresseurs “fassent parvenir la bonne parole” » (RTL, repris par l’AFP - 11.07.2004, 15h50 - et également rapporté par le Figaro du 12)

De tels propos légitiment ceux des journalistes qui se gardent généralement de prendre leurs distances, jusqu’au moment où ....


Le vent tourne...


Quand les doutes deviennent publics, les politiques se raccrochent, mais difficilement, au principe de réalité.


« J’ai trouvé face à moi une jeune femme effectivement très traumatisée pour toutes les raisons qu’elle expose, et elle m’a paru sincère donc je pense qu’il faut effectivement attendre les résultats de l’enquête », déclare alors Nicole Guedj sur France 2. Une caméra de France 2 saisit un aparté au cours duquel Jean-Paul Huchon glisse discrètement à l’oreille de Nicole Guedj, « J’espère qu’il n’y a pas de loup sur cette affaire ». Une petite phrase qui sera ensuite abondamment diffusée.

Au JT de 20 de France 2, du lundi 12 juillet, alors que les journalistes incitent désormais à la prudence, Dominique Strauss-Kahn, se distingue par cette leçon de sagesse :

« Si c’est un coup monté, évidemment ça serait critiquable en tant que coup monté, mais ça changerait rien au fait que c’est la dixième ou la vingtième des agressions de ce genre. Même si celle-ci se révélait après coup, on en sait rien pour le moment, ne pas s’être exactement passée comme on vous le raconte, ce qui est sûr c’est qu’il y en a eu 20 avant ! ».

Pourtant, depuis la vieille, la prétendue passivité des passagers est, entre autres, un élément tellement inhabituel, justement, que de très nombreux témoins l’ont relevée.
Mais M. Strauss Kahn inaugure là une démarche qui va être celle de la majorité des politiques : si cette agression est une fable, ce n’est pas grave...

Jean-Paul Huchon (le 14.07.2004, sur France Inter à 13h) : « Qu’est-ce qui est important dans tout ça : c’est que... il y a en Ile-de-France 4 fois plus d’agressions antisémites que l’année dernière pendant 6 mois. Et donc ça veut qu’il y a un phénomène qui ne peut pas se poursuivre. Ou en tout cas, sinon nous allons en quelques sorte rouler à l’abîme et retrouver les années noires que nous avons connu, de ce point de vue là, en France peut-être plus qu’ailleurs partout en Europe. »

On se doute que, confortés par tant de désinvolture (du point de vue même d’une lutte conséquente contre le racisme et l’antisémitisme), nombre de responsables des médias seront alors tentés de tirer un bilan très critique de leurs fautes professionnelles... et politiques !

Arnaud Rindel

 
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Notes

[1France 5, 20.06.2004 - Arrêt sur images : « victimes et caméras »

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