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Pujadas : le présentateur et la source qui ne savait rien (fable)

par Jacques-Olivier Teyssier,

David Pujadas nous a offert une piètre image du service public lors du 20 heures de France 2, le 3 février. [1] Une petite enquête, réalisée par Arrêt sur Images (France 5), sur l’utilisation, lors de ce journal, d’une citation d’un député UMP, nous donne l’occasion d’admirer David Pujadas dans ses œuvres.

« Alain Juppé est donc sur le départ. C’est le député UMP Patrick Olier qui l’a indiqué et c’est aussi le sentiment de tous ceux qui l’ont approché aujourd’hui. » France 2, 3 février 2004. David Pujadas vient d’ouvrir le journal de 20 heures. Quelques jours plus tard, Arrêt sur Images, sur France 5 [2] revient sur l’erreur commise par France 2 le 3 février en annonçant le soi-disant « retrait » d’Alain Juppé. Ce sera l’occasion d’essayer de comprendre ce qui a poussé France 2 à citer un député peu connu du grand public.

Tout est parti d’une dépêche AFP du 3 février, à 15h19 : « Patrick Ollier (UMP), président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, a confié mardi qu’il pensait qu’Alain Juppé était "sur le départ". "Actuellement, il est sur le départ (…) Il y a plusieurs façons de partir, vous savez," a ajouté M. Ollier dans les couloirs de l’Assemblée , en soulignant toutefois ne pas disposer d’informations. [3] (…) »

Voyons, grâce à Maïa Neskovic (MN), collaboratrice d’Arrêt sur Images, et Daniel Schneidermann (DS), l’utilisation de cette source au 20 heures de France 2 par David Pujadas (DP) :

- MN : « Quand vous dites que le départ n’a pas été évoqué, euh c’est pas tout à fait vrai parce qu’on l’a entendu, vous dites "Alain Juppé est sur le départ. C’est ce qu’en tout cas ce qu’indique" … »

- DP « Oui parce que là, y’a des guillemets. »

- DS « A l’antenne c’est compliqué les guillemets. »

- DP « Oui enfin quand vous dites "Alain Juppé est sur le départ, c’est ce qu’indique Patrick Ollier", euh pardon les guillemets, ils y sont. »

David Pujadas invente donc les guillemets sonores. Il aurait pu s’éviter cette peine en disant : « Patrick Ollier indique, je cite : "Alain Juppé est sur le départ". » avec même une « fin de citation » pour les puristes.

Mais laissons les guillemets pour essayer de comprendre comment D. Pujadas en est venu à citer les propos du député. Extraits :

- MN (rappelons que D. Pujadas est en face de M. Neskovic et qu’il ne dément pas) : « Un journaliste de France 2 attrape Patrick Ollier dans les couloirs de l’Assemblée et lui demande de confirmer ses propos devant la caméra. Ollier refuse et dément même avoir jamais dit ça à la journaliste de l’AFP que j’ai par ailleurs contactée et qui m’a confirmé qu’il lui avait bien dit ça. Bref le journaliste de France 2 informe de ce refus son supérieur direct c’est-à-dire Jean-Baptiste Predali qui est donc le rédacteur en chef adjoint du service politique - c’est bien ça ? - qui lui-même prévient à son tour le rédacteur en chef du 20 heures à savoir Pascal Guimier. Alors petit problème c’est que l’info apparemment s’est perdue en cours de route puisque Pascal Guimier m’a fait dire par l’intermédiaire de son assistante qu’il n’avait jamais été prévenu d’un quelconque démenti. Alors je sais pas ce qu’il en était pour vous. Est-ce que vous étiez au courant ou pas ?  »

- DP : « Ah ben moi c’est évident que si je dit "Patrick Ollier indique : "Alain Juppé est sur le départ" c’est que le démenti n’e m’est pas parvenu sinon je ne le dirais pas. »

Deux points sur cet échange :

1. Bon c’est sûr, on imagine mal David Pujadas répondre à M. Neskovic : « Oui j’étais au courant qu’il avait démenti. Mais comme ça étoffait bien la thèse du départ, j’ai quand même décidé de le citer. » Et même si l’on veux bien croire D. Pujadas, on reste perplexe devant un tel dysfonctionnement au sein de la rédaction.

2. Avez-vous remarqué que cette fois, spontanément, dans le fil de la conversation, D. Pujadas inverse l’ordre ? Il ne dit pas, comme lors du 20 heures : « Alain Juppé est donc sur le départ. C’est le député UMP Patrick Olier qui l’a indiqué  » mais comme nous le suggérions plus haut : « Patrick Ollier indique : "Alain Juppé est sur le départ" ». Evidemment c’est sans doute moins accrocheur pour ouvrir un journal mais ça limite les risques de confusion…


A un autre moment, cet échange :

- DP : « Ollier moi c’est le seul que je cite à l’antenne parce qu’il a parlé publiquement. Nos sources c’est pas Patrick Ollier. Pardon.  »

- DS : « Est-ce que vous savez qu’il ne sait rien ? Quand vous le citez à l’antenne est-ce que vous savez qu’il ne sait rien et qu’il est hors du cercle ? »

- DP : « Moi écoutez quand quelqu’un fait une déclaration publique après je cherche pas à savoir comment il l’a su, machin. Voilà c’est quelqu’un du même parti qu’Alain Juppé, il fait une déclaration publique, je cite sa déclaration. Nous nos sources on s’assure qu’elle nous dise qu’elles savent. Voilà. »


Oui mais voilà, la déclaration publique émane de quelqu’un qui a signalé « ne pas disposer d’informations », qui a démenti et qui a refusé de s’exprimer à l’antenne. Et que fait David Pujadas ? Il ouvre le journal sur les déclarations de ce monsieur. S’il les autres sources de France 2 sont si sûres, pourquoi ouvrir le journal sur la « déclaration » de Patrick Ollier ?

La morale de cette pauvre histoire c’est que David Pujadas avait bien besoin de vacances…


 
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Notes

[2Cette émission du 8 février est un grand cru. On y a vu Daniel Schneidermann interviewer David Pujadas avec pugnacité. Cette parenthèse a sans doute fait prendre conscience à ses téléspectateurs de ce que pourrait être une vraie émission qui décortiquerait, chaque semaine, la fabrique de l’information. Mais (il fallait bien qu’il y ait un « mais »), dans la même émission, le traitement du rapport Hutton sur la BBC est, quant à lui, plus contestable.

[3C’est moi qui souligne

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