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Promotion matinale et enterrement vespéral d’un sondage sur « l’après–DSK »

par Olivier Poche,

France Inter, après avoir brillamment participé à la diffusion massive de bavardages dès l’annonce de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, s’est associé au Monde et à France 2 pour commander à Ipsos un sondage sur « l’impact » de cet annoncé « séisme politique ». Impact mesuré à travers... un énième sondage d’intentions de vote, publié le jeudi 19 mai 2011. Le matin même, Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos, vient en commenter les résultats dans la matinale. Un sondage encensé le matin… et enterré le soir.

Sondomanie

Par un heureux hasard, le sondage et le sondologue sont introduits par un hommage aux sondages, troussé par Thomas Legrand, en charge de « l’édito politique ». Intitulé, ce matin-là, « L’intérêt des sondages », il commence par évacuer toute critique des sondages, en disqualifiant ceux – certains – qui ont osé en émettre une. Ainsi :
– Patrick Boyer : « Vous évoquez ce matin l’importance des sondages dans cette pré-campagne. »
– Thomas Legrand : « Oui, les sondages, vous savez, cet affreux système qui décide tout seul à la place des peuples, cet instrument manipulé par une petite caste de décideurs, ces sondages que les Le Pen ont tant fustigé, sauf depuis qu’ils mettent la candidate du FN possiblement au second tour… »

En guise d’argument, donc, une caricature grimaçante qui place toutes les critiques sous le parrainage des Le Pen. Il suffit alors de reproduire cinq fois cette caricature, en changeant simplement de personnage. François Bayrou, Ségolène Royal, « la gauche en général », Nicolas Sarkozy, et même « les commentateurs de la politique » qui se plairaient « à railler les erreurs et à dénoncer les effets pervers mais qui en font la “une” de leurs journaux », tous sont ainsi renvoyés à leur mauvaise foi : « Ces sondages honnis et si détestables… Eh bien, nous, auditeurs lecteurs et commentateurs, nous, citoyens et électeurs, finalement on se rue dessus. Nous sommes bien tous (un peu) hypocrites ! »

Patrick Cohen d’enchaîner : « Et on va se ruer sur ce sondage commandé pour France Inter, Le Monde et France 2, un sondage Ipsos-Logica Business Consulting. » Mais à France Inter, avant de se ruer sur un sondage qu’on a commandé, on en fait l’éloge. Sans hypocrisie.

« Et c’est un sondage très intéressant », poursuit Legrand, qui pourfend les « idées reçues » en s’appuyant sur une analyse qui montre une solide maîtrise du dossier : « En réalité, et contrairement à une idée reçue, les sondages d’intentions de vote sont assez instructifs. Il faut les différencier des sondages thématiques, liés à l’actualité, dont les réponses chiffrées dépendent largement du libellé de la question. [...] S’agissant des sondages d’intentions de vote, la question est généralement plus neutre : “Si l’élection avait lieu dimanche, quel serait le candidat pour lequel il y a le plus de chance que vous votiez ?” » Peu importe si cette question est aussi vaine – parce que l’élection n’a pas lieu dimanche – qu’orientée – parce qu’elle polarise l’attention médiatique sur des scores et non sur des projets. Elle est, dans sa formulation, « plus neutre » : c’est bien là l’essentiel !

L’éloge se clôt par trois arguments décisifs.
– D’abord, « les résultats, bien sûr, sont une photo d’un moment précis, pas une projection. » Mais ils prétendent photographier... une « projection », précisément, ou une anticipation. Il faut reconnaître que l’exercice est difficile !
– Ensuite – osons tout : « L’intérêt de ces sondages réside justement dans ce en quoi ils sont le plus critiqués : leur répétition. C’est l’évolution des courbes sur plusieurs sondages, dans le temps, qui traduisent des dynamiques et nous renseigne le mieux, plus que le niveau du moment de chaque candidat. » Comme si ce n’était pas précisément le prétendu « niveau du moment » qui était l’objet de toutes les attentions... Comme si « l’intérêt de ces sondages » ne dépendait pas d’abord de leur fiabilité. A partir de quelle fréquence la « répétition » d’un sondage sans valeur lui confère-t-elle de « l’intérêt » ?
– Enfin, troisième argument : « Ces informations sont aussi des outils, pas forcément honteux, pour les électeurs notamment des primaires socialistes ou écologistes. » « Des « outils » ? Mais pour quoi faire ? Pour se prononcer en fonction des chances attribuées aux candidats, et non de leurs projets ? Des outils « aussi ». Mais encore ? Rien du tout, puisqu’on retourne pour finir au point de départ : « Finalement, ce mélange, apparemment incohérent, de critique et d’intérêt pour les sondages traduit bien l’ambivalence entre le stratège et le partisan qui sommeille en tout citoyen qui s’intéresse à ce que tous le monde aime détester ou déteste aimer… la politique. » La politique ? Mais quelle politique ? Celle qui est mise en forme, en mots et en images, à grand renforts de sondages, dans les principaux médias, comme France Inter, Le Monde et France 2.

Sondologie

Deuxième étape, Brice Teinturier est invité à commenter son sondage pendant les dix premières minutes d’« Inter-activ’ » – normalement dévolues aux auditeurs, exclus pour cause de résultats « exclusifs ». Et Patrick Cohen est raccord : ils sont particulièrement « intéressants » : « Ce qui est intéressant dans votre démarche c’est que vous avez réalisé un sondage la semaine dernière [...] et une nouvelle vague d’enquête [...] dans la journée d’hier, donc après le scandale DSK. » Il est plus que probable que France Inter, Le Monde et France 2, après le déclenchement de « l’affaire », flairant l’aubaine et le sondage... « intéressant », ont commandé une deuxième vague. Deux fois zéro font toujours zéro, mais qu’importe, Brice Teinturier, du simple fait de cette répétition, se targue d’avoir suivi « un protocole assez rigoureux ». Pour quels résultats ?

Comme on peut s’y attendre, ça décoiffe, foi de Brice Teinturier : « Contrairement à certaines allégations, y a absolument pas, ni de bouleversement majeur, ni d’effondrement du PS. » C’est l’avantage du bruit médiatique : un bavardage chasse l’autre, un sondage aussitôt oublié vient corriger les « allégations » sans fondement de la veille. Et tout le monde est content. Pour mémoire, voici donc les deux autres « enseignements » scientifiques et « rigoureux » qu’on peut tirer de ce sondage : « Le deuxième enseignement, c’est qu’on a plutôt un tassement du FN [qui] ne profite pas de l’affaire DSK. » Et le troisième : « Tout se passe, semble-t-il, comme si les Français avaient été un peu choqués par cette affaire… et qu’ils se tournaient davantage vers les personnalités modérées que vers des personnalités qui apparaissent comme dans l’excès ou aux extrêmes. »

Un sondage prétendant sonder, trois jours après les « faits », l’impact d’un « scandale » dont on ne sait pas encore en quoi il consiste exactement sur des intentions de vote un an avant l’élection ? Un peu de vent ajouté au grand courant d’air parfois franchement nauséabond qui a envahi l’espace médiatique depuis une semaine.

Harakiri

Quant aux sondages, si l’on n’est pas pleinement convaincu par « l’édito politique » de Thomas Legrand, on pourra se reporter à la rubrique que nous leur consacrons. Et sur ce sondage, nous laisserons le dernier mot, une fois n’est pas coutume, à Brice Teinturier. On pouvait en effet le retrouver le même jour, un peu plus tard, dans « Europe 1 soir ». Nicolas Poincaré, qui n’a pas commandé le « premier sondage présidentiel depuis l’affaire DSK » mais se sent obligé d’en parler, invite le directeur général d’Ipsos à le commenter pendant 6 min 30 s. Et réserve une dernière remarque pour la dernière minute de l’interview :
– Nicolas Poincaré : « Un tout dernier mot [...] : la presse américaine ne commente jamais un sondage sans rappeler qu’il y a une marge d’erreur de plus ou moins 3 %. Et là quand on regarde les chiffres malgré tout, si on applique ces règles américaines, on pourrait presque dire tout et son contraire [...] »
– Brice Teinturier : « Vous avez raison de le souligner, d’autant que, aussi loin du scrutin et avec des certitudes de choix que nous avons posées qui figurent dans les résultats [1], on voit bien on est encore loin de quelque chose évidemment qui serait définitif. »

Evidemment !

 
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Notes

[1Effectivement, dans les résultats complets il est précisé que seuls 47 % des sondés ont émis un choix définitif. Des chiffres qui n’ont jamais été cités à l’antenne.

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