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Campagne contre un journaliste de "The Independent"

"Pourquoi John Malkovich veut-il me tuer ?"

par Robert Fisk,

A quelques exceptions près, la plupart des médias et des journalistes ne semblent pas s’inquiéter outre mesure - du moins publiquement - des menaces que font peser sur la liberté de la presse les accusations et les menaces qui, sous couvert de dénoncer l’antisémitisme, visent des journalistes qui, comme Daniel Mermet ou Robert Fisk, critiquent sans complaisance la politique de l’Etat d’Israël.

Comme ils ne semblent pas s’inquiéter de la banalisation de l’antisémitisme qui est la conséquence de l’amalgame entre une haine intolérable (l’antisémitisme) et une critique légitime.

Pour cette raison, la campagne contre Robert Fisk et, en particulier, les menaces de mort proférées par l’acteur américain John Malkovich mériteraient des réactions plus nombreuses que le communiqué de Reporters sans frontières [1] et la réplique de Robert Fisk lui-même...

Sources : Point d’information Palestine [2]. Textes reproduits avec l’autorisation des auteurs.

Réplique de Robert Fisk
" Pourquoi John Malkovich veut-il me tuer ? "

In The Independent (quotidien britannique) du mardi 14 mai 2002. Traduit de l’anglais par Monique Barillot

Ca s’est d’abord installé comme un filet, un goutte à goutte continuel de courrier haineux qui arrivait une fois par semaine pour me punir d’avoir fait un rapport sur le meurtre d’un Libanais innocent par des attaques aériennes israéliennes ou suggérant que les Arabes - aussi bien que les Israéliens - voulaient la paix au Moyen-Orient.

Cela commença à changer vers la fin des années 90.

Un exemple typique est la lettre qui est arrivée après que j’ai écrit avoir vu de mes propres yeux en 1996 les artilleurs israéliens abattre 108 réfugiés ayant trouvé abri dans le camp de l’ONU installé dans la ville libanaise de Qana. Ca commençait ainsi : " Je n’aime ni n’admire les antisémites. Hitler en fut un des plus célèbre dans l’histoire récente. " Et encore, par comparaison avec l’avalanche de lettres haineuses, menaçantes et de déclarations ouvertement violentes que les journalistes reçoivent aujourd’hui, c’était relativement doux.

Car Internet semble avoir conduit ceux qui n’aiment pas entendre dire la vérité à propos du Moyen-Orient à se retrouver dans une communauté de haine, envoyant des lettres venimeuses non seulement à moi, mais à n’importe quel journaliste qui ose critiquer Israël - ou la politique américaine- dans le Moyen-Orient.

On trouvait toujours, dans le passé, une limite à l’expression de cette haine. Les lettres étaient signées avec l’adresse de l’auteur. Dans le cas contraire, elles étaient si mal écrites qu’elles en étaient illisibles. Ce n’est plus ainsi désormais. En 26 ans au Moyen-Orient, je n’ai jamais lu autant de messages vils et intimidants qui me soient adressés. Beaucoup exigent maintenant ma mort. Et la semaine dernière, l’acteur de Hollywood John Malkovich est allé jusqu’à dire à l’"Union Cambridge" qu’il voudrait me tuer.

Comment, me suis-je demandé- a-t-il pu en venir là ?

Lentement mais sûrement, la haine grandit, conduisant aux menaces mortelles, repoussant graduellement les murs de la convenance et la légalité jusqu’à ce qu’un journaliste puisse être injurié, sa famille diffamée, qu’il soit maltraité par une foule en colère, raillé et insulté dans les pages d’un journal américain, que sa vie même soit dévalorisée et menacée par un acteur qui - sans même dire pourquoi - annonce qu’il veut me tuer.

Pour la plupart, ces actes répugnants sont le fait d’hommes et les femmes qui prétendent défendre Israël, bien que je doive dire que je n’ai jamais dans ma vie reçu une lettre grossière ou insultante en provenance d’Israël. Les Israéliens expriment parfois leur critique de mes articles - et parfois leur éloge - mais ils ne se sont jamais laissés conduire à la saleté et aux obscénités que je reçois maintenant.

" Ta mère était la fille d’Eichmann ", trouve-t-on dans un des plus récent de ces messages. Ma mère Peggy, qui est morte après une longue bataille avec la maladie de Parkinson, il y a trois ans et demi, était en fait technicien-opérateur radio pour la RAF sur les Spitfires au coeur des combats de Grande-Bretagne en 1940.

Les événements du 11 septembre ont chauffé la haine au rouge

Ce jour-là, dans un avion de ligne qui effectuait son vol de retour en provenance d’Amérique, haut sur l’Atlantique, j’ai écrit un article pour The Indépendent, soulignant que l’on tenterait, dans les jours suivants, d’empêcher quiconque de demander pourquoi de tels crimes contre l’humanité avaient pu arriver à New York et à Washington

En dictant mon article par le téléphone satellite de l’avion, je parlais de l’histoire de la supercherie du Moyen-Orient, de la montée de la colère arabe, et de la mort de milliers d’enfants iraquiens à cause des sanctions des USA, de l’occupation continue de la terre palestinienne de Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël avec le soutien américain. Je ne blâmais pas Israël. Je suggérais que Oussama Ben Laden était responsable.

Mais les courriers électroniques qui affluèrent à The Indépendent, les quelques jours qui suivirent, furent incendiaires.

Les attaques contre l’Amérique avaient pour cause " la haine personnifiée " ou plus précisément la façon obsessive et déshumanisée avec laquelle Fisk et Ben Laden avaient pu diffuser leur propagande, disait une lettre d’un Professeur, Judea Pearl, d’UCLA. J’étais, déclarait-il, un " cracheur de venin " et un " colporteur de haine " professionnel.

Une autre lettre, signée Ellen Popper, annonçait que j’étais " de mèche avec le super terroriste " Ben Laden. Mark Guon me qualifia de " complètement cinglé ". J’étais " psychotique ", selon Lillie et Barry Weiss. Brandon Heller de San Diego me fit savoir : " vous soutenez finalement le diable lui-même ".

Et cela empira

Sur une radio irlandaise, un professeur de Harward, rendu furieux par ma question sur les atrocités du 11 septembre, me traita de " menteur ", d’ " individu dangereux " et déclara que cet " anti-américanisme " - quel qu’il soit - était la même chose que l’anti-sémitisme. Non seulement c’était pervers de suggérer que quiconque puisse avoir eu une raison, même avec l’esprit dérangé, pour commettre cette tuerie massive. Et bien plus, cela conduisait à penser qu’il devait y avoir des raisons. Critiquer les Etats-Unis, cela revenait à être un ennemi des juifs, un raciste, un nazi.

Et cela continua

Début décembre, je fus presque tué par une foule de réfugiés afghans rendus fous de rage par la tuerie récente de leurs proches par des attaques aériennes de B-52 américains. J’écrivis un article sur mon agression, ajoutant que je ne pouvais pas blâmer mes attaquants, qui avaient cruellement souffert, que j’aurais fait la même chose. Les injures qui suivirent furent sans fin.

Dans le Wall Street Journal, Mark Steyn écrivit un article avec pour gros titre " le multi-culturaliste " - moi - " a eu ce qu’il méritait. "

Le site web de The Indépendent reçut des courriers suggérant que j’étais pédophile. Parmi plusieurs cartes de noël vicieuses, l’une portait la légende des douze jours de Noël et la note suivante à l’intérieur : " Robert Fiske (sic) - Seigneur Rire-Gras du Moyen-Orient et chef de file de la propagande anti-sémite et profaciste islamophile. "

Depuis l’offensive d’Ariel Sharon en Cisjordanie, provoquée par les terribles suicides à la bombe de palestiniens, un nouveau thème a émergé. Les journalistes qui critiquent Israël sont accusés d’inciter les anti-sémites à brûler les synagogues.

Mieux, ce n’est pas la brutalité d’Israël et l’occupation qui incitent ces gens écœurants et cruels à attaquer les institutions les synagogues et les cimetières juifs. Ce sont nous, les journalistes les responsables. Presque quiconque se permettant de critique la politique US ou israélienne est maintenant dans la ligne de mire. Mon propre collègue Phil Reeves est l’un de ceux-la. Deux journalistes de la BCC en Israël aussi, ainsi que Suzanne Goldenberg du Guardian.

Prenez le cas de Jennifer Loewenstein, militante des droits de l’homme à Gaza, qui est juive elle-même, et qui a écrit une condamnation de ceux qui prétendent que les Palestiniens sacrifient délibérément leurs enfants. Elle reçut rapidement le courrier électronique suivant : " Salope. Je peux te renifler depuis Afar. Tu es une putain et tu as du sang arabe. Ta mère est une putain d’arabe. Au moins, pour l’amour de Dieu, change ton putain de nom. Ben Aviram. "

Est-ce que ce genre d’ordure a un effet sur les autres ? Je crains que oui. Quelques jours seulement après que Malkovich ait déclaré vouloir me descendre, un site web reprenait les paroles de l’acteur. Le site comportait une animation avec mon visage recevant un violent coup de poing et en sous-titre : " Je comprends qu’ils me battent pour faire sortir la merde. "

C’est ainsi qu’une remarque répugnante faite par un acteur à l’Union Cambridge a mené à un site web suggérant que bien d’autres encore désirent aussi me tuer. Malkovich n’a pas été mis en cause par la police. Il pourrait, je suppose, se voir refuser tout nouveau visa pour la Grande-Bretagne avant qu’il ne s’explique ou fasse des excuses pour ses viles remarques. Mais le mal est fait. En tant que journalistes, nos vies sont maintenant exposées aux agresseurs de l’Internet. Si nous voulons une vie calme, nous devrons juste nous ranger, arrêtez de critiquer Israël ou l’Amérique. Ou arrêter tout simplement d’écrire.

 
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Notes

[1Sur le site de RSF, le communiqué (Note d’Acrimed).

[2Sources :
Point d’information Palestine n°201 du 17/06/2002 . Newsletter privée réalisée par l’AMFP - BP 33 - 13191 Marseille France. Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr. L’AMFP Marseille est une section de l’Association France-Palestine Solidarité. (Note d’Acrimed).

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