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Pendant ce temps-là, chez Alain Finkielkraut…

par Martin Coutellier ,

Recevant Éric Zemmour et Alain Duhamel dans son émission sur France Culture, Alain Finkielkraut a voulu répondre d’emblée aux critiques formulées après l’annonce de ce casting. Comme souvent, ses arguments révèlent une vision très particulière de la réalité.

L’émission « Répliques », du 10 janvier 2015 s’est ouverte sur ces mots de l’animateur-producteur Alain Finkielkraut :

La France n’est pas seulement le pays de Voltaire, c’est aussi celui de Robespierre. Et ses intellectuels ont une propension funeste à considérer la politique comme la guerre de l’humanité avec ses ennemis. Après une brève accalmie de disputes civilisées dans les dernières décennies du 20ème siècle, l’antiracisme idéologique a pris le relais du communisme, et depuis le début du nouveau siècle les listes noires se sont mises à refleurir dans les journaux. Éric Zemmour a le privilège de figurer sur toutes. Depuis la parution du Suicide français, il est même le most wanted, le plus rance, le plus nauséabond des réactionnaires, voire des néofascistes.

S’en est suivi la lecture d’un courrier adressé au médiateur de France Culture, se plaignant de l’invitation d’Éric Zemmour dans une émission « déjà scandaleusement raciste », et annonçant le lancement d’une pétition réclamant la démission d’Alain Finkielkraut, qui reprenait ensuite : « Par démission, sans doute ces auditeurs entendaient-ils renvoi, car évidemment, je n’ai nulle intention de me faire mon propre épurateur, ni de me résigner à ce que sur les sujets dits "chauds ", comme la question palestinienne ou l’identité de la France, les débats que j’organise soient désormais les étreintes amoureuses du même avec le même. J’ai donc invité Éric Zemmour et Alain Duhamel. »

Par charité (et par lassitude), nous passerons sur la boursouflure du discours, sur la vacuité totale de l’idée d’une continuité entre communisme et « antiracisme idéologique », et sur l’argumentaire qui, faisant mine de répondre à une critique (ici la diffusion d’idées jugées racistes), dérive en fait sur une toute autre question (ici la possibilité d’organiser des débats où des avis différents se confrontent).

En revanche, difficile de ne pas réagir à l’idée que pour éviter les échanges « du même avec le même », Alain Finkielkraut a décidé d’inviter Éric Zemmour et Alain Duhamel. Certes, ces deux éditorialistes ne défendent pas des points de vue identiques, et ne sont pas « les mêmes ». Mais rappelons rapidement le degré d’omniprésence médiatique des deux invités, en nous limitant aux semaines qui ont précédé l’émission. Les comptages ne sont probablement pas exhaustifs.

Outre sa présence quotidienne sur RTL comme chroniqueur dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel, et sa chronique hebdomadaire dans Libération, on a pu lire des interviews d’Alain Duhamel sur Atlantico (22/11/2014) et L’Opinion (18/12/14), le voir sur France 2 à deux reprises (« Ce soir ou jamais » le 08/11/2014 et « Un soir à la tour Eiffel » le 10/12/2014) et sur France 5 (« C’est à vous » le 05/01/2015). Éric Zemmour a quant à lui largement justifié l’appellation de most wanted, le plus recherché, mais plutôt au sens du caviar que de Jesse James : en plus de sa chronique bihebdomadaire sur RTL, et de son émission hebdomadaire sur Paris Première [1], il a également été invité, entre autres, sur RMC (« Les grandes gueules », 15/12/2014), RTL (« Le face à face », 12/12/2014), Canal Plus (« Le grand journal », 01/12/2014), LCI (« L’interview », 24/11/2014) et France 3 (« Soir 3 » le 14/11/2014).

Quitte à dessiller Alain Finkielkraut, il faut bien se rendre à l’évidence : recevoir Éric Zemmour et Alain Duhamel, c’est incontestablement organiser l’habituel débat du même (que d’habitude) avec le même (que d’habitude). Si, dans les derniers jours, on a pu voir et entendre des choses inhabituelles, il en est une qui visiblement ne change pas : la réalité ne pénètre pas le studio où Alain Finkielkraut papote.

Martin Coutellier

 
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Notes

[1On pouvait également le voir tous les vendredis sur iTélé jusqu’au 19 décembre et son éviction de l’émission « Ça se dispute ».

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