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Paroles de grévistes à Radio France

par Michel Ducrot,

Alors que le conflit social à Radio France entre dans sa quatrième semaine, Acrimed, qui a tenu à marquer sa solidarité avec les grévistes, a suivi les discussions qui agitent les différents corps de métiers visés par les plans d’économie des comptables qui les gouvernent.

Rencontres avec les auditeurs

Notons tout d’abord que les grévistes ne se contentent pas de discuter entre eux, comme lors de l’Assemblée générale à laquelle nous avons assisté mardi dernier (7 avril), et dont nous rendons compte ci-après. Dès qu’ils en ont l’occasion, ils s’efforcent d’échanger avec leurs auditeurs, d’autant plus demandeurs d’informations qu’ils en sont sevrés sur « leurs » radios qui – lorsqu’elles émettent – ont tendance à donner plus facilement la parole à Mathieu Gallet et ses adjoints qu’aux grévistes.

Une première rencontre, sous la forme d’une soirée de soutien, a ainsi eu lieu le 27 mars à La Parole Errante, à Montreuil, à l’initiative d’un collectif de salariés de Radio France, Le Meilleur des Ondes, qui met en ligne les sons de la grève. Ce fut l’occasion, pour les salariés, de rappeler dans quel contexte général ils se battent et d’expliquer aux auditeurs en quoi ils sont, eux-aussi, concernés par la lutte pour une radio de service public de qualité.

Lors d’un autre rendez-vous, le samedi 4 avril après-midi, au Grand Parquet (près de la place Stalingrad, à Paris), les grévistes ont répondu aux questions des auditeurs. Nous avons pris quelques notes à l’occasion de cette rencontre.

Parmi les témoignages des participants à la lutte, un membre d’un des deux orchestres de Radio France (qu’il était question, à ce moment là, de fusionner. Aujourd’hui, il s’agit de les « redimensionner ») a rappelé qu’à la BBC il y avait cinq orchestres et que les orchestres de Radio France ne pouvaient répondre qu’à un quart des demandes pédagogiques. Autrement dit, « il y a du boulot et des missions à remplir ». Une fusion des orchestres n’aurait, pour ce musicien, pas de sens.

Une productrice a parlé de « verticalité », qui semble être une question au cœur de leurs débats. « Je suis productrice à Radio France, pas à France Culture. Le rattachement à France Culture que l’on veut nous imposer, ce serait une perte de liberté. Il faudrait faire en un temps donné ce que nous faisons aujourd’hui en prenant le temps nécessaire. La qualité, c’est du temps. Ils voudraient que l’on fasse des choses belles plus rapidement ».

Elle est reprise par une de ses collègues : « faire des choses belles, c’est un héritage. Je ne suis pas sûre qu’ils voudraient qu’on fasse des choses belles. Ils voudraient que l’on fasse simplement de la radio. Ce sont des comptables. Mathieu Gallet n’aime pas la radio ».

Un ingénieur du son a déploré que les métiers de techniciens soient dévalorisés et que « les prises de son de France Musique », reconnues pour leur excellence dans le monde entier d’après lui, ne soient bientôt plus qu’un lointain souvenir : « le danger, c’est la fusion des métiers. Le réalisateur devra faire également le boulot du technicien ».

Les journalistes, nous a-t-on expliqué, ont, à de très rares exceptions près, simplement fait grève une journée (à l’initiative du SNJ) suite au rapport provocateur (« idéologique », a dit un intervenant) de la Cour des Comptes préconisant une fusion des rédactions.

À noter que pendant cette réunion avec les auditeurs, BFM TV a demandé par téléphone si elle pouvait faire un reportage sur place. Proposition mise au vote et qui a été refusée à la majorité.

La réunion s’est achevée en rappelant les prochains rendez-vous, notamment ceux du mardi 7 avril avec, pour commencer, l’AG matinale au studio 105, suivie à 14h d’un rassemblement devant la Maison de la Radio pour partir en cortège déposer la motion de défiance envers Mathieu Gallet au CSA (Tour Mirabeau, 39/43 Quai André Citroën, Paris 15e), puis à 17 h 00 d’un rassemblement des auditeurs et des salariés au Ministère de la Culture, au Palais Royal, pour la défense de la radio de service public.


L’assemblée générale du 7 avril

L’Assemblée générale du 7 avril a montré une unité peu commune au moment du vote de la poursuite de la grève. Pas un vote contre, pas une abstention parmi les 400 et quelques participants tassés dans le studio 105.
L’unanimité du vote n’empêche cependant pas la diversité des approches, comme nous le montrent ces échanges, que nous a rapportés la petite souris qui s’est glissée pour nous dans l’assemblée. Vu la facilité avec laquelle les caméras extérieures pouvaient opérer, nous ne croyons pas trahir quelque secret en vous en livrant quelques extraits destinés à montrer les préoccupations des grévistes. Morceaux choisis :

 Un gréviste : on s’est penché sur les effectifs. Il y a dans la maison 4600 équivalents temps plein et 198 cadres de direction, soit un directeur pour 22 employés. C’est peut-être de ce côté là qu’il y aurait des économies à faire ?

 Un musicien : dans le plan Gallet, il est question de faire des concerts plus ciblés. On sait ce que ça veut dire. Ça veut dire moins de concerts.
Mathieu Gallet voudrait que France Musique se recentre sur le classique et le Jazz. Autrement dit, que nous soyons en concurrence directe avec Radio Classique, sans en avoir les moyens. Ça ne peut pas marcher. L’ADN de France Musique, c’est « toutes les musiques » : musique médiévale, chanson, musique du monde, etc. On ne peut pas se contenter du Grand répertoire. Gallet voudrait que nous participions davantage aux échanges entre radios européennes. Mais l’UER (Union européenne de radio-télévision) n’est pas une fin en soi. Surtout si nous ne sommes pas fournisseur et nous contentons de piocher dans les programmes des autres. La web radio, pourquoi pas, mais ça doit être en plus, pas à la place de ce que nous faisons actuellement.

Une large part de l’AG a consisté à discuter du bien fondé d’aller le lendemain à la réunion du CCE (Comité central d’entreprise).

 Un gréviste : discuter avec Gallet ? Niet. On veut un médiateur.

 Un gréviste : pourquoi aller dans ces instances puisque nous ne considérons plus les responsables comme des interlocuteurs ? C’est contradictoire. On ne peut pas réclamer un médiateur et aller causer avec Gallet.

 Un gréviste : on irait simplement pour aller chercher un pré-projet ? On ne siège pas dans un CCE quand on a voté la défiance. Si on ne monte pas d’un degré, à quoi on sert ?

 Réponse d’un militant syndical : le CCE, c’est une instance représentative. L’idée n’est pas de discréditer une instance représentative, surtout au moment où le gouvernement, avec la loi Macron, s’attaque à la représentation des salariés et aux syndicats à l’intérieur des l’entreprises.

 Un gréviste : il faut être dans les instances et continuer à discuter. On a une instance qui peut dire à M. Gallet ce que les salariés pensent. Je laisse à l’intersyndicale le soin de la stratégie (l’Assemblée générale ne trouvera rien à redire à cela).

 Un autre militant syndical : sur le CCE, l’essentiel est d’obtenir une médiation. Ne tuons pas les instances qui sont menacées par ailleurs.

 Un agent de sécurité : on nous a retiré la partie la plus noble de notre travail, l’accueil, au profit d’une société extérieure. Nous aimerions que soit votée une motion de défiance contre nos responsables.

 Un gréviste : je propose la rédaction d’une lettre ouverte au gouvernement. Et la création d’une association des Amis de Radio France.

 Une gréviste : je ne comprends pas pourquoi nous ne proposons pas à nos rédactions de faire des sujets sur tout ce qui part à vau-l’eau dans l’entreprise et qui a coûté un demi-milliard ? On a toutes les données, on connait tous les dysfonctionnements. Il faudrait informer les gens. Communiquer davantage.

 Réponse d’une productrice : mais enfin, comment peut-on être aussi naïf ? Tu crois que les journalistes vont passer ça à l’antenne ? Pourquoi, à ton avis, les journalistes ne le font pas en ce moment ? Tout ce que tu dis, les journalistes le savent. Cohen est venu. Il a les infos. Les journalistes ont les infos. Si on veut que ça soit dit, il va falloir la prendre, la parole…

 Une gréviste : je me pose la question : pourquoi ne parle-t-on plus de ces putains de travaux qui ont triplé ? Pourquoi ne demande-t-on pas à ce que ces travaux s’arrêtent ?

 Un gréviste : nous sommes 500 aujourd’hui en AG. Il faudrait faire un communiqué pour dire la réalité du mouvement de grève.

 Un gréviste : pour pouvoir continuer le mouvement, il faut le renforcer. La ministre a tordu le bras à Gallet sur les orchestres. Il a renoncé à en supprimer un. Mais quand on tire la couverture d’un côté, le risque, c’est qu’un autre se retrouve à poil. C’est bien contre les suppressions d’emplois qu’il faut se battre.

 Un gréviste : la pétition « convergence des luttes » a recueilli 21.000 signatures. Et nous avons 75.000 € dans la caisse de grève.

 Une comédienne, membre de la CIP-IDF (Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France) : la convergence des luttes, c’est important. Il y a une grève générale le 9 avril prochain. C’est l’occasion de discuter, d’aller dans la manif, d’informer sur votre lutte et aussi d’entendre la voix des autres.

 Un gréviste : il faut lire le rapport de la Cour des comptes. Les attaques contre nos métiers sont d’une violence inouïe.

Sur ce, la grève est reconduite à l’unanimité des 500 participants.
Dans l’après-midi, les grévistes ont pris connaissance de la nouvelle mouture du projet Gallet, qui ne change fondamentalement pas grand chose. Ils réclament plus que jamais la nomination d’un médiateur.

Michel Ducrot

 
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