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Paris-Normandie, quotidien préfectoral ? (suite)

Dans un article publié le 6 août 2008, nous nous interrogions : « Paris Normandie, quotidien préfectoral ? ». En effet le quotidien régional, en position de monopole, avait reproduit, in extenso, un communiqué de la préfecture de Seine-Maritime avertissant le public de la fermeture des guichets d’accueil du public tous les après-midi du 7 juillet au 29 août 2008, sans la moindre information sur les raisons de cette fermeture.

Coïncidence ? A la suite de notre article, Paris Normandie a publié, le 11 août, un article annoncé en « une » sous le titre « Longues files d’attente à la préfecture » et délicatement titré en page 3 : « Un été en préfecture… ». Après un silence de cinq semaines Paris Normandie a trouvé enfin le temps de dépêcher un journaliste pour « enquêter ». Mais pour dire quoi ?

Les usagers attendent leur tour …

L’article commence par une description de l’attente au service des permis de conduire et à celui des cartes grises.

Du côté des permis de conduire, la situation ne semble pas excellente. « Préfecture de Seine-Martime, à Rouen 10h30. Vous prenez un ticket. vous apprenez qu’il y a 31 personnes avant vous dans la file d’attente «  permis de conduire ». Vous vous asseyez, inquiet. » Témoignage : « “Ça fait une heure que je patiente”, jure Sarah, venue renouveler son permis abîmé. “Il y a encore cinq personnes avant moi, je vais craquer” .  » Mais, précise le quotidien un peu plus loin, « elle n’est pas la plus à plaindre. »

Du côté des cartes grises, c’est pire : « Le service le plus engorgé reste celui des cartes grises, avec une attente qui dépasse souvent l’heure et demie . Tous les guichets sont ouverts mais la foule trop nombreuse. » Nouveau témoigange : « Marc, venu avec ses deux enfants de 5 et 7 ans, s’amuse du “parcours du combattant” qu’il vient de vivre, sourire aux lèvres et précieux sésame à la main : " j’ai rarement vu autant de monde, c’est presque plus simple d’acheter la voiture. Heureusement l’accueil est bon. En fait, ça ne marche pas si mal pour un mois d’août... ” » [1].

Témoignage opportun puisqu’il permet d’enchaîner ainsi : « Un avis que partage, évidemment, Claude Morel, secrétaire général de la préfecture de Seine-Maritime. »

Les lecteurs attendent des explications

C’est à lui et à lui seul qu’est délégué le soin d’expliquer en ces termes … pourquoi tout va presque si bien : « Nous avons tenté une nouvelle expérience. Pendant cet été, nous n’ouvrons que de 9 heures à 12 heures contre 15 heures 45 normalement. Et pour la première fois, tous les guichets fonctionnent en même temps[...]avec ce système, les agents peuvent continuer à traiter les dossiers l’après midi. Et donc, pas de retard accumulé malgré les départs en vacances. » Et l’auteur de l’article d’accompagner ce discours préfectoral : «  Selon lui , cette innovation apaise l’atmosphère. Le public, devant cette armée d’agents à leurs postes, patiente plus volontiers, même s’ils attendent un peu plus longtemps. »

Sans poser ni se poser de question ? Pas totalement, puisque l’enquêteur enchaîne : « A la question d’éventuels vacataires il [le secrétaire général de la préfecture] sourit ». Et le journaliste de se borner à rapporter cette souriante explication : « Notre enveloppe budgétaire est restreinte, comme partout ».

Et c’est tout… Quelles sont les raisons de ces restrictions budgétaires ? N’ont-elles vraiment aucun rapport avec la politique gouvernementale de réduction massive d’agents publics (comme nous l’expliquions dans notre article précédent) ? Paris Normandie ne juge utile ni de soulever la question ni de contacter les trois organisations syndicales de la préfecture (CFDT, FO et Sud Intérieur), qui lui auraient sans doute fourni des informations précises et proposé un autre point de vue que celui du secrétaire général de la préfecture [2].

Paris Normandie n’explique pas, mais apaise… Le dernier paragraphe commence de façon plutôt inquiétante : « A midi, les policiers, inflexibles, ferment les portes et confient qu’une centaine de personnes attendaient depuis 8 heures 30 . Désormais, ils empêchent les retardataires de rentrer. A l’intérieur, la préfecture commence à se vider mais les derniers ne sortiront que vers 13 h. » Enfin, la dernière phrase rassure : « Dans la journée, près de 500 personnes auront été reçues, dans le bruit, mais sans fureur. » Ouf !

Paris Normandie n’explique pas, mais communique… Une rapide description des conséquences de la réduction des effectifs, sans explication de ses causes, assortie des propos lénifiants du secrétaire général de la préfecture… et, pour finir, un « encart » intitulé « Repères » qui relaie l’information préfectorale : « « L’attente au guichet n’est pas une fatalité. Un nouveau conducteur peut ainsi recevoir son permis chez lui. L’obtention d’une nouvelle carte grise, ou le signalement d’un changement d’adresse, peut également se faire par courrier. La préfecture, qui souhaite développer ce système, informe sur son site : http://www.haute-normandie.pref.gouv.fr. » [3]. Les sites des organisations syndicales n’ont pas eu droit à ce traitement de faveur...



Annexe : Le 11 août, TF1 se rend aussi à la préfecture de Seine-Maritime

Le 11 août, le JT de 13 heures de TF1 propose un reportage sur le même sujet que le site de la chaîne titre ainsi : « Administration : Permis ou carte grise, en été, c’est parfois la galère » et le présentateur « lance ainsi : « Au mois d’août, c’est l’embouteillage aux guichets des administrations. Beaucoup de fonctionnaires en vacances ne sont pas remplacés. Axelle Cariou Nicolas Hesse ont pu le constater à la préfecture de Rouen en Seine-Maritime. » Place au reportage ….

Journaliste : « Se plonger dans un livre, lire quelques SMS [on voit deux exemples à l’image], tout est bon pour tromper l’ennui . Dans les préfectures, beaucoup profitent des vacances d’été et du temps disponible pour effectuer leurs démarches. Au guichet des cartes grises et des permis de conduire, c’est l’embouteillage.  »

- Témoignage 1 : « Ca fait déjà plus d’une heure que j’attends, quand on voit les chiffres défiler qu’on voit qu’y a plus d’une centaine de numéros à attendre, c’est vrai que c’est très long »
- Témoignage 2 : « A mon avis, y a pas assez de personnes, voilà, pour faire les cartes grises et, en plus, ils ne sont ouverts que le matin, pendant les vacances, et c’est galère. »
- Témoignage 3 : « J’ai cru que pendant les vacances, ça allait être moins long, j’crois que c’est à moi, mais c’est encore pire . »


Journaliste : « Si la situation est très tendue cette année, c’est que, par souci d’économies , l’Etat a refusé l’embauche de vacataires. Pour garantir un accueil optimal la Préfecture a dû se résigner à fermer l’accès au public l’après-midi. Mot d’ordre : ne pas se déplacer pour rien. »

Le Secrétaire Général de la préfecture, Claude Morel : « On peut demander par correspondance sa nouvelle carte crise ou son nouveau permis de conduire en envoyant un dossier, en envoyant la partie haute de la carte grise et en envoyant une enveloppe affranchie à 50 grammes. Il faut aller voir sur le site du ministère[ de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales] ou des préfectures, pour savoir comment faire. »

On voit alors un agent avec un usager. L’agent : « Je vais prendre la carte grise s’il vous plaît, le certificat de cession. »

Journaliste : «  Les files d’attente pourraient se prolonger bien après l’été , la réforme du système d’immatriculation, en vigueur le 1er janvier 2009, va obliger de nombreux agents à se former, ils ne seront pas derrière leur guichet. Ce petit bruit [le son qui annonce en même temps que l’affichage du numéro suivant sur un panneau lumineux, que l’usager suivant peut venir au guichet] va mettre bien des nerfs à vif . »

Dans sa conclusion, le journaliste suggère de manière lapidaire, donc là encore sans en expliquer les causes, une évolution qui n’est pas mentionnée par Paris Normandie  : la modification de la procédure d’immatriculation des véhicules, et ses conséquences, [4]qui sera confiée, progressivement, à partir du 1er janvier 2009 pour les véhicules neufs, et du 1er mars 2009 pour les véhicules d’occasion, principalement aux professionnels de l’automobile, les préfectures voyant leur rôle marginalisé [5].


Le traitement presque, identique à celui de Paris Normandie et pour les mêmes raisons déjà évoquées. Il est d’ailleurs vraisemblable que les journalistes de TF1, eux aussi pressés par le temps, ont parcouru attentivement l’article du quotidien avant de se lancer dans leur « enquête » qui dure quand-même...une minute trente et une secondes ! Mais la copie n’est-elle pas devenue une règle de base du journalisme comme le rappelle Gilles Balbastre, ancien correspondant de France 2 dans le Nord dans son livre Journalistes au quotidien : « La multiplication des prestations à l’antenne sur une période très courte contraint à s’informer de moins en moins et à recopier de plus en plus. » [6].

 
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Notes

[1Si aucune remarque désobligeante à l’endroit des fonctionnaires, ne sort ni de la bouche des usagers ni de la plume du journaliste (qui précise même que « les fonctionnaires s’activent, mais le temps passe. »), on ne peut s’empêcher de noter la récurrente référence aux longs délais d’attente qui sont rarement mentionnés quand il est question des entreprises privées recevant des clients…

[2Les syndicats CFDT et Sud Intérieur ont diffusé le 15 juin dernier des tracts auprès des agents, dénonçant la fermeture de l’après-midi en la reliant à la politique de réductions des effectifs.

[3Dans le reportage diffusé sur TF1 le même jour aux 13 heures, c’est le secrétaire général lui-même qui évoque ce scénario. Voir annexe.

[4Michèle Alliot-Marie l’a fait pour lui devant l’Assemblée nationale le 30 juin, lors de la discussion sur la loi du 1er août 2008 portant règlement des comptes et rapport de gestion pour l’année 2007 : « Je partage entièrement votre analyse sur les bénéfices du nouveau système d’immatriculation des véhicules [S’adressant à Marc Le Fur, rapporteur spécial de la commission des finances.] pour les usagers mais aussi pour l’administration : la mutualisation et l’industrialisation de tâches à faible valeur ajoutée permettra d’économiser 600 emplois sur cinq ans et de donner aux personnels la possibilité d’accéder par la formation permanente à des emplois plus intéressants. ».

[6Cité par Serge Halimi dans [« L’insécurité des Médias », article paru dans La Machine à Punir, éditions L’esprit frappeur, 2004].

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