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Il faut restaurer le service public ! (4) - Suite du dossier de Politis

" On va vers un démantèlement de l’audiovisuel public "

Entretien avec Aline Pailler
par Aline Pailler, Marie-Edith Alouf,

Pour Aline Pailler (ex-députée européenne, journaliste-productrice à France Culture), le service public audiovisuel souffre de n’être pas pensé politiquement.

Politis  : Quelques mois après la grève, qui avait agité Radio-France cet hiver, comment voyez-vous la situation ?

Aline Pailler : Je constate que nous avions malheureusement raison sur plusieurs points. Nous avions peur que l’application des 35 heures n’aille dans le sens d’un projet de démantèlement de l’audiovisuel public. De fait, on se retrouve avec un manque criant de personnel et des conditions de travail, notamment pour les producteurs, de plus en plus difficiles. Certains métiers vont disparaître ou devenir polyvalents, pour pallier le manque d’effectifs dû aux 35 heures, ce qui, évidemment, aura des conséquences sur la qualité et l’originalité des programmes. Prenez le cas de Yann Paranthoën [artiste du son, producteur des produisait les Ateliers de création radiophonique, ndlr]. Son parcours et ses créations sont typiquement emblématiques du service public mais il n’y a pas de relève car il n’a pu former personne. On va perdre de formidables compétences techniques. Des studios d’enregistrement de dramatiques, avec des bruiteurs, où on faisait des choses extraordinaires, ont été laissés à l’abandon pendant des années avant d’être transformés en cellules de montage où l’on travaille seul sur un ordinateur ! C’est un gâchis énorme. Et non seulement des compétences se perdent, mais les formations aux nouveaux outils, comme le numérique, ne sont même pas assurées. On va prendre des jeunes qui sortent d’écoles, qu’on va payer des clopinettes, avec des statuts misérables. Et ceux qui pourraient faire la transition avec eux, pour penser la matière, seront ringardisés et mis sur le bord de la route.
Je vois se profiler la perte de chaînes comme France-Culture et France-Musique, ou l’externalisation de la production, comme ce fut le cas à la télévision avec la " casse " de la SFP. On demandera à des producteurs vedettes d’avoir leur propre boîte et d’amener des émissions clé en main, avec obligation de rentabilité. On nous dit déjà que nous, producteurs, sommes des " clients " de Radio-France. Nous sommes assimilés à des indépendants à qui on demande de fournir des émissions élaborées, réfléchies avec des moyens dérisoires. C’est une radio de diffusion de flux qui est en fait l’horizon de ces bouleversements.
On sent bien que les directeurs de chaînes, Laure Adler comme Jean-Luc Hees, sont gênés aux entournures. Ils sont partagés entre leurs vrais goûts pour ce métier et ce manque criant de projets au-dessus d’eux. La tutelle ne joue pas un rôle politique (au sens noble) comme elle le devrait, mais un rôle purement technocratique. Quel projet a-t-elle pour l’audiovisuel public ? Pour Radio-France  ? Pour une chaîne culturelle, musicale, d’information ? A ces questions-là, aucune réponse !
Le constat peut-il s’étendre à l’ensemble du service public audiovisuel ?
Il est en effet globalement marqué par une absence de cohérence, de projet réel, de pensée. A l’arrivée, cela ne peut que se traduire par une baisse de qualité, d’exigence, de liberté, d’ouverture. Bientôt vont arriver les chaînes du numérique hertzien et une difficulté se pose pour l’audiovisuel public. Comment va-t-il entrer dans les nouvelles technologies si son idée n’est pas d’y être " pour y être " mais d’y être pour représenter une différence ? Et non seulement on ne réfléchit pas aux contenus mais on ne réfléchit pas aux pratiques. Le temps d’écoute dont disposent les gens n’est pas extensible à l’infini. Comment vont se comporter auditeurs et téléspectateurs (que je me refuse à appeler consommateurs - ce en quoi on veut les transformer) ? Comment vont-ils circuler là-dedans ? Cette télé, dans certains cas, on leur propose même de la faire. Cela me conviendrait si on donnait toutes les clés. Mais j’ai plutôt l’impression que c’est une illusion de liberté, une fausse ouverture à l’autre. Tout ce qui est au coeur de notre société doit être pensé politiquement, c’est-à-dire par ceux qui sont garants du bien public et avec les citoyens, les professionnels, les intellectuels.
La question du contenu des chaînes de service public, de leur sens, n’est pas dissociable de celle du financement. De fait, je pense qu’il est à réformer. Pendant longtemps j’ai été contre l’idée : " au service public, financement public, au service privé, financement privé ". On se retrouverait avec un service public tronqué, un RMI de service public. Pour moraliser la chose, le mieux serait de supprimer toute présence de la publicité sur les chaînes publiques et de prélever une taxe sur les revenus de la publicité sur les chaînes privées, afin de nourrir la production du service public et la presse écrite. Et, parallèlement, augmenter la redevance.
Ces idées ont déjà été exprimées, notamment il y a douze ans, par un groupe constitué de Pierre Bourdieu, Max Gallo, Claude Marti, Jean Martin, Christian Pierret et Ange Casta. On se demande si elles pourront exister, elles entraîneraient tant de bouleversements... C’est trop de bouleversements si on a des gouvernements frileux et convaincus par des orientations libérales. Cela peut exister avec des gouvernements qui ont une ambition sociale, progressiste et qui ont le courage de faire une chose qui n’est absolument pas impossible, des simulations l’ont déjà montré. Le problème, j’en suis convaincue, est seulement politique. Quand on peut faire reculer l’Ami ou Seattle, on peut bien décider de la manière avec laquelle agir vis-à-vis des capitaux des publicistes.

Propos recueillis par Marie-Edith Alouf

 
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