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Tribune

Morts libyennes, silence médiatique

Nous publions, sous forme de tribune [1], un article paru le 18 août sur le site de « Fairness & Accuracy in Reporting » (Fair) (Acrimed).

Les médias dominants ont souvent profité des allégations libyennes au sujet des victimes civiles des bombardements de l’Otan pour tourner en dérision la vaine propagande du régime de Kadhafi [2].

Mais les nouvelles allégations dramatiques selon lesquelles de dizaines de civils ont été tués à Majer suite aux frappes aériennes de l’Otan du 8 août ont été suivies d’un silence quasi total des médias.

Selon des officiels libyens, 85 civils ont été tués à Majer, une ville au sud de Zliten, où il y a fréquemment des heurts et des frappes aériennes de l’Otan. Il n’y a aucune raison pour laquelle les journalistes devraient prendre cette affirmation pour argent comptant. Mais les rapports convergent pour dire qu’il s’est passé quelque chose de grave.

Selon l’Agence France presse (09/08/2011), « des reporters sont allés aux funérailles des victimes et ont vu 28 corps enterrés dans le cimetière local... Et 30 corps leur ont été montrés à la morgue de l’hôpital – dont deux enfants et une femme – ainsi que d’autres corps complètement déchiquetés ».

Le compte-rendu de l’AFP incluait les dénégations de l’Otan, dont un porte-parole affirmait que la cible « était évidemment une installation militaire ».

Un correspondant de Reuters (09/08/2011) « a dénombré 20 sacs mortuaires dans une pièce, certains empilés les uns sur les autres... Au total, les reporters ont vu environ 30 corps à l’hôpital de Zlitan. » Le New York Times (10/08/2011) a publié un article de 170 mots à partir de la dépêche de Reuters qui indiquait : « On n’a pas trouvé de traces d’armes dans les fermes, mais il n’y avait pas de corps non plus. Et pas plus de sang ».

Amnesty International a appelé une enquête de ses vœux, ce qui qui a conduit le présentateur de CNN, John King, à déclarer (11/08/2011) : « Amnesty International réclame une enquête à l’Otan pour déterminer si une frappe perpétrée lundi sur les forces de Mouammar Kadhafi a tué 85 civils libyens, dont 33 enfants. L’Otan déclare n’avoir aucune preuve de victime civile à ce stade. »

Une recherche dans la base de données Nexis portant sur la couverture de cet événement aux États-Unis donne très peu de résultats en dehors de ce bref commentaire. Mais ce n’est pas parce qu’aucun reporter n’était présent. Le correspondant de CNN, Ivan Watson, a couvert des funérailles collectives après les frappes. Mais son compte rendu n’a été diffusé que sur l’antenne de CNN International (10/08/2011). Watson y expliquait qu’il était allé voir « 3 ou 4 maisons qui ont été démolies par des sortes de missiles provenant du ciel. »

Il ajoute : « On nous a aussi montré une morgue où se trouvaient les corps d’au moins 25 personnes. La plupart semblaient être des hommes. Il y avait aussi des femmes et des enfants parmi ces cadavres. »

Watson [3] dit aussi qu’il était « impossible, de là où nous étions, de confirmer que 85 personnes avaient été tuées, mais il semble qu’au moins quelques femmes et quelques enfants comptaient parmi les personnes tuées par cette frappe. »

Le reportage de Watson sur CNN.com (10/08/11) comprenait une interview d’un libyen qui affirmait que 9 membres de sa famille, dont sa fille de 2 ans, avait été tués dans l’attaque. Watson avait aussi interviewé un homme qui enterrait sa fille.

Il est curieux que le reportage de Watson ait été proposé à l’audience internationale de CNN, mais pas diffusé aux spectateurs américains.

Mais Watson est bien apparu sur CNN quelques jours plus tôt, en plein cœur d’une autre frappe de l’Otan à Zliten. L’objectif de ce reportage (05/08/2011) était de suggérer que les affirmations officielles de morts civiles étaient douteuses. Dans ce reportage, Watson disait que lors d’une visite dans une école de droit qui avait été attaquée par les forces de l’Otan, il avait trouvé « ce qui semble être les uniformes d’ici, ces pantalons vert olive. Et puis nous avons des boîtes ici dont tout nous indique qu’elles ont bien pu contenir des munitions. »

Les reportages visant à discréditer les revendications libyennes de victimes civiles ont été une constante de la guerre jusqu’ici – comme le prouvent des titres comme « Le gouvernement libyen est incapable d’apporter la preuve que l’Otan ait fait des victimes civiles » (Washington Post, 06/06/2011). Et « La Libye fait tourner sa machine de propagande » (New York Times, 07/06/2011).

Est-ce que les médias ignorent Majer parce qu’il ne s’agit que d’une énième tentative maladroite de propagande libyenne ? Ou bien est-ce parce que cet événement pourrait contredire le matraquage médiatique selon lequel les civils libyens ne meurent pas dans les frappes aériennes de l’Otan ? Quoi qu’il en soit, les médias dominants qui ont montré tant de zèle à démythifier les affirmations libyennes de victimes civiles devraient enquêter sur ce qui s’est passé à Majer. Sur le site web de la BBC, le reporter Matthew Price a fait cet effort en publiant un article titré « Que s’est-il vraiment passé à Zliten ? » (11/08/2011). Il en faudrait davantage.

Traduction : Dominique Muselet et Armando Padovani.

Original consultable sur le site de Fair.

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’Association Acrimed, mais seulement leurs auteurs.

[2Fair, 09/06/11.

[3Reportage de Watson sur CNN international.

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