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Contre-réformes et mobilisations de 2003

Mobilisations : Jean-Marc Sylvestre siffle la fin de la récré

par Henri Maler,

TF1, 3 juin 2003 à 13h. Jean-Pierre Pernaut officie. Après la météo, les conséquences de l’orage à Trouville, puis les effets des grèves sur les usagers, suivis d’une rapide revue des manifestations, et de deux « témoignages » de grévistes de la SNCF (dont les régimes spéciaux sont « payés par les contribuables » - à la différence de la privatisation de TF1…).

Quand intervient cet intermède …

Un intermède offert par TF1 au gouvernement.

Jean- Pierre Pernaut : « Dans un instant, on parlera de l’éducation qui est en grève aujourd’hui. Mais d’abord, Jean-Marc Sylvestre, un point sur cette mobilisation, apparemment moins forte que le 13 mai. Est-ce qu’on peut parler d’un baroud d’honneur face à un gouvernement qui, c’est clair, ne reviendra pas en arrière ? »

Jean-Marc Sylvestre : « On peut dire ça, oui. Mais il faudra attendre quand même la fin de l’après-midi pour mesurer l’ampleur exacte de toutes ces manifestations aujourd’hui, leur impact. Mais on ne peut pas dire que ces mouvements de grève vont remettre en cause le processus de réforme. Vous le disiez : ni le Parlement, ni le gouvernement ne peuvent reculer.

Pourquoi ?

D’abord parce que l’opinion publique a parfaitement conscience de la nécessité de ces réformes. Ca fait des années et des années que les rapports s’accumulent pour le lui expliquer.

Ensuite parce que les mouvements ont, je crois, perdu un peu de leur légitimité. On l’a vu : la grève d’aujourd’hui est essentiellement conduite par des personnels de la SNCF et de la RATP qui ne sont pas directement touchés. Dans ces conditions, les usagers n’acceptent pas d’être pris en otage (sic).

Enfin, on sent bien qu’il n’y a pas de vrai contre-projet, pas d’alternative cohérente à cette réforme. Les leaders syndicaux eux-mêmes sont embarrassés. Ils sont tiraillés par des courants internes avec de grandes organisations syndicales comme la CFDT et la CGC qui ont signé le projet de réforme.

Ajoutons à cela que les mouvements n’ont pas trouvé de relais politique au Parlement, notamment dans l’opposition socialiste, y compris d’ailleurs sur le dossier de l’Education.

Maintenant, il ne faut pas négliger les grèves qui traduisent un malaise, une vraie inquiétude notamment sur la situation économique.

Ce qui doit rendre ce gouvernement encore plus prudent sur le chantier des autres réformes. Il doit en effet s’attaquer à la formation et l’Education, la réforme de l’Etat, le nombre de fonctionnaires.

Et puis l’Assurance maladie. Normalement, c’est pour la rentrée. Ca passera pas facile (sic). »

Rideau !

On pourrait s’abstenir de commenter. Mais comment résister à la tentation ?


Ecoutez la petite musique de la propagande

Jean-Pierre Pernaut en ouverture

«  Dans un instant, on parlera de l’éducation qui est en grève aujourd’hui. Mais d’abord, Jean-Marc Sylvestre, un point sur cette mobilisation (…) »

Ainsi on fait le point sur la mobilisation avant de parler de la grève des enseignants. Curieux cet ordre et cette dissociation qui ressemble à celle que le gouvernement tente d’opérer. Mais bon !

«  Mais d’abord, Jean-Marc Sylvestre, un point sur cette mobilisation, apparemment moins forte que le 13 mai.  »

« Le point » est « apparemment » fait dans la question elle-même. Surtout si l’on omet de mentionner les manifestations du 25 mai. Mais bon !

«  Est-ce qu’on peut parler d’un baroud d’honneur face à un gouvernement qui, c’est clair, ne reviendra pas en arrière ?  ». Premier constat prescriptif formulé sous forme d’une question qui ressemble à s’y méprendre à la réponse. Ecoutons Jean-Marc Sylvestre :

« On peut dire ça, oui. Mais il faudra attendre quand même la fin de l’après-midi pour mesurer l’ampleur exacte de toutes ces manifestations aujourd’hui, leur impact. Mais on ne peut pas dire que ces mouvements de grève vont remettre en cause le processus de réforme. Vous le disiez : ni le Parlement, ni le gouvernement ne peuvent reculer. Pourquoi ? »

Il faut attendre la fin de l’après-midi pour mesurer l’impact de grèves dont « on » (qui ?) ne peut pas dire …, car « ni le Parlement, ni le gouvernement ne peuvent reculer  ». Ne peuvent pas ? C’est pas possible ou c’est pas permis ? En tout cas nous allons savoir « Pourquoi »

« D’abord parce que l’opinion publique a parfaitement conscience de la nécessité é de ces réformes. Ca fait des années et des années que les rapports s’accumulent pour le lui expliquer. ».

Impossible de reculer, « parce que » l’opinion publique « a parfaitement conscience de … ». Cette liaison n’ayant aucun sens, la seule solution est de rétablir la phrase pour qu’elle en ait un. Il faut donc comprendre : « le gouvernement n’a pas à céder puisque… ». Puisque quoi ? Puisque « l’opinion publique a parfaitement conscience de la nécessité de ces réformes ». Quelles réformes ? Evidemment celles qui sont imposées par le gouvernement et sa majorité.

Quant à l’opinion publique, elle a bon dos : Sylvestre parle en son nom sans la consulter et après en avoir exclu… les grévistes et les manifestants. Mais le comble est ailleurs : c’est que "les rapports" que l’opinion connaît à peine l’ont convaincue. Pauvre Sylvestre : il confond les rapports avec leurs laudateurs/vulgarisateurs dont il fait partie, et l’opinion publique avec son auditoire idéal.

Mais si le gouvernement « ne peut pas reculer », c’est pour une autre raison.

Ensuite parce que les mouvements ont, je crois, perdu un peu de leur légitimité. On l’a vu : la grève d’aujourd’hui sont essentiellement conduite par des personnels de la SNCF et de la RATP qui ne sont pas directement touchés. Dans ces conditions, les usagers n’acceptent pas d’être pris en otage.

Prenant ses désirs pour la réalité dans l’espoir que la réalité se conforme à ses désirs, Sylvestre, après avoir fait parler l’opinion publique par sa bouche, offre sa voix aux usagers. Et ce sont les usagers qui frappent d’illégitimité « les mouvements » ! Et c’est parce que ces derniers auraient «  perdu un peu de leur légitimité  » que le gouvernement ne peut pas céder. C’est dire que tant qu’ils étaient légitimes, selon Sylvestre, le gouvernement pouvait reculer. C’est maintenant qu’il ne peut plus, pleurniche Sylvestre…

Vient alors le coup de grâce :

« Enfin, on sent bien qu’il n’y a pas de vrai contre-projet, pas d’alternative cohérente à cette réforme. Les leaders syndicaux eux-mêmes sont embarrassés. Ils sont tiraillés par des courants internes, avec de grandes organisations syndicales comme la CFDT et la CGC qui ont signé le projet de réforme.  » [1]

Ce que le gouvernement répète depuis le début - y a pas d’alternative - Sylvestre ne l’aurait compris - senti - qu’à la fin ? Qui peut le croire ?

Récapitulation. Pour rétablir un minimum de cohérence logique, une seule solution : remplacer « le gouvernement ne peut pas reculer », par « ne doit pas reculer ». C’est vrai : cela ressemble alors à un éditorial du Figaro. Mais pourquoi avoir tenté de le dissimuler ?

Le porteur d’eau du gouvernement parle donc à sa place... et verse alors une larme de droite sur l’opposition de gauche :

« Ajoutons à cela que les mouvements n’ont pas trouvé de relais politique au Parlement, notamment dans l’opposition socialiste, y compris d’ailleurs sur le dossier de l’Education. »

Le Parlement n’a pas encore commencé le débat sur les contre-réformes. Mais qu’importe ! Il faut « ajouter ». A quoi ? Si le gouvernement ne peut pas reculer, c’est parce que l’opposition ne s’oppose pas assez ?

La bouillie est devenue totalement indigeste. Mais une larme supplémentaire devrait la liquéfier :

«  Maintenant, il ne faut pas négliger les grèves qui traduisent un malaise, une vraie inquiétude notamment sur la situation économique.  »

Evidemment, l’oracle a découvert que les grèves « traduisent » autre chose que ce qui les motive, et qui est suffisamment flou pour que la compassion se noie dans le brouillard.

C’est que sa sollicitude, Sylvestre la réserve au gouvernement et à la politique qu’il « doit » conduire, mais prudemment :

«  Ce qui doit rendre ce gouvernement encore plus prudent sur le chantier des autres réformes. Il doit en effet s’attaquer à la formation et l’Education, la réforme de l’Etat, le nombre de fonctionnaires. Et puis l’Assurance maladie. Normalement, c’est pour la rentrée. Ca passera pas facile (sic). »

De source bien informée, on murmure que Raffarin en entendant cet éloge sirupeux de sa fermeté a été pris d’un bâillement…

 
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Notes

[1A l’occasion des élections prud’hommales du 11 décembre 2002, les syndicats de salariés ont obtenu :
CGT : 32,1% des suffrages exprimés ;
CFDT : 25, 2% ;
FO : 18,3% ;
CFTC : 9,7% ;
CFE-CGC : 7% ;
UNSA : 5% ;
Union syndicale Groupe des Dix Solidaires : 1,5%.
Mais la participation des salariés n’a atteint que 32,66 % des inscrits (Note d’Acrimed).

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