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Mario Monti, sauveur de l’Europe et idole des médias

par Frédéric Lemaire,

En annonçant le 9 décembre sa démission prochaine de la présidence du Conseil italien, et la tenue d’élections anticipées dans les semaines suivantes, Mario Monti a suscité une vague de stupeur dans la presse. Il est rare qu’une telle péripétie de la vie politique d’un pays européen accapare autant l’attention des médias... Mais il est vrai qu’il ne s’agit pas ici de n’importe quel premier ministre. Ex-conseiller international de Goldman Sachs et ex-commissaire européen, ayant pris les rênes du pays sans élection, Mario Monti n’avait-il pas réussi, avec son « gouvernement d’experts », à sortir l’Europe de la crise en permettant à l’Italie de retrouver la confiance des marchés ? Retour sur les hommages unanimes de la presse à « Super Mario ».

L’inquiétude des banquiers

« Le départ de Mario Monti inquiète l’Europe » titre l’article du Monde. « L’Europe » ? Mais quelle « Europe » ? À lire l’article, qui rapporte exclusivement les propos de conseillers financiers et de responsables européens, elle se résume aux institutions et dirigeants de l’UE et aux marchés. Pour eux, comme le rapporte Le Monde, « Super Mario » était devenu « incontournable », lui qui avait formé son « gouvernement de techniciens » avec la « bénédiction des Européens ».

Le Monde semble partager la haute estime des « Européens » pour Monti. N’a-t-il pas évité le « naufrage » de l’Italie, contribué à « stabiliser la zone euro », et à « redonner un peu de confiance aux marchés » ? Certes, ses réformes ont un coût, et « cette politique a pour effet d’aggraver la situation économique du pays. » Mais puisque c’est le prix à payer pour rassurer les marchés !

Désormais, le départ de Monti menace « de remettre les feux aux poudres », et Le Monde évoque « l’inquiétude ambiante » : « les marchés se montraient particulièrement nerveux, lundi matin. » Plus que le départ de Monti, c’est d’ailleurs la perspective d’une échéance électorale qui semble cristalliser l’inquiétude de « l’Europe » : « la zone euro craint, en cas de crise politique prolongée en Italie, d’affronter de nouvelles turbulences ».

Le Monde n’est pas un cas isolé : la presse se fait unanimement l’écho… des préoccupations des banquiers. Ainsi Le Figaro publie un article au titre original (« Le départ de Mario Monti inquiète les Européens »). Mais « les Européens » du Figaro modèrent toutefois les inquiétudes des « Européens » du Monde, puisque « les investisseurs sont convaincus que le réalisme prévaudra en Italie », et qu’une analyste de la banque américaine Morgan Stanley nous confie que « la seule chose que nous attendions encore de Mario Monti cette année, c’est le vote du budget, qui passera ». Quant aux autres « Européens » – exclusivement allemands à l’exception du Président du Conseil européen –, s’ils « s’inquiétaient depuis plusieurs mois de l’instant (…) où la politique et le jeu électoral reprendraient leurs droits dans la Botte », ils s’accordent à considérer qu’« il n’y a pas d’alternative à ce que fait M. Monti ».

Des élections… mais « pas d’alternative »

« Pas d’alternative », c’est aussi le mot d’ordre du Nouvel Observateur, qui fait de Monti un super héros : « super technicien, qui a surpris l’Europe pour son sérieux, son sens de la diplomatie et sa conception intransigeante de l’exercice du pouvoir ». Le «  vainqueur du "spread" et champion de la rigueur » aurait selon l’hebdomadaire le choix entre la présidence de la République, ou les élections – qu’il gagnerait sans problème. En effet, « les Italiens semblent actuellement vaccinés contre le virus illusionniste et populiste, et devraient donc donner la préférence à leur Père Fouettard qui les a sauvés du désastre économique ». Ne se poserait pour lui, selon le Nouvel Obs, qu’une question : « vaut-il mieux gouverner avec la droite ou avec la gauche ? » Drôle de conception de la démocratie…

C’est aussi le scénario retenu par Libération  : Monti a toutes ses chances car il est « très populaire »… avec 43 % d’opinions favorables ! Un score important selon l’article compte tenu de « la sévère cure de rigueur imposée à son pays ». Dès lors, il pourrait rempiler « afin de rassurer les partenaires européens et les marchés ». Pour Libération, cet « européen convaincu », catholique pratiquant, est plus populaire dans l’électorat de centre-gauche et chez les intellectuels, malgré la politique de rigueur et son passage par Goldman Sachs. Une sympathie semble-t-il partagée par Libération, qui applaudit ses « réformes d’envergure », « importantes », sur les retraites ou la libéralisation du marché du travail qui ont permis de « rétablir la crédibilité internationale de l’Italie ».

Libération apprécie aussi le talent de briseur de tabous de Monti : « Pour imposer ses réformes et la rigueur budgétaire, Mario Monti eut l’intelligence de s’en prendre aux tabous de la gauche, en imposant un report à 66 ans de l’âge du départ à la retraite. » Un bilan flatteur que résume un professeur d’histoire économique : « En un an, il a fait davantage que tous les gouvernements italiens depuis 2000. » Et lorsque, dans un second article, Libération évoque très brièvement un bilan moins reluisant, marqué par l’approfondissement de la crise sociale et économique, et l’explosion de la pauvreté et du chômage avec la récession, le quotidien s’abstient d’établir un lien de causalité entre ce désastre social et les politiques « rassurantes » aux yeux des marchés… Mieux, le titre de l’article, pour le moins ambigu («  Malgré des réformes d’envergure, le gouvernement d’experts de Monti n’a pas su enrayer la pauvreté »), suggère même que c’est en dépit des efforts du gouvernement que la situation sociale s’est dégradée…

***

De « sommets de la dernière chance » en « plans de sauvetage » récurrents, le traitement médiatique de la crise européenne a parfois des airs de feuilleton, avec ses acteurs fétiches. Il y a la chancelière allemande, bien sûr, érigée en figure de proue de l’Europe, de la rigueur et de l’orthodoxie budgétaire – et du fameux « modèle allemand » ; ou encore Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, chouchou du Monde, et accessoirement ex-vice-président de la branche européenne de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, un homme compétent, donc [1].

Mario Monti, qui allie à la fois les qualités de la première et les compétences du second, en termes d’expérience dans la finance privée internationale et au sein des institutions européennes, de convictions économiques et de politique budgétaire, ne pouvait que bénéficier des mêmes appréciations louangeuses. En fait, l’absence d’analyses critiques du bilan de Monti – que d’autres « Européens », non cités, jugent à bien des égards calamiteux – est tout simplement assourdissante. La récession, le chômage qui frappent l’Italie de plein fouet sont à peine évoqués – comme s’il s’agissait d’un problème annexe. Les articles semblent écrits depuis une autre planète, uniquement peuplée de banquiers et de dirigeants européens, où l’on n’envisage aucune d’alternative, ou presque : le prochain chef du gouvernement sera Mario Monti… ou fera du Mario Monti. Puisque ce sont les marchés qui le disent…

Mais qui sont, au juste, les juges légitimes de l’action du gouvernement italien ? Les marchés, ou bien le peuple italien ? Pour la presse, la réponse est toute trouvée. La misère et la crise sociale sont tout au plus le prix nécessaire à payer pour permettre de conjurer la crise… jusqu’au prochain sommet. Dès lors, la perspective d’élections démocratiques apparaît au mieux comme une formalité, au pire comme une menace : celle d’un rejet – populiste, forcément – de ce gouvernement « de techniciens » au bilan tellement flatteur. C’est qu’en matière européenne, comme en d’autres, les présupposés des grands médias, garants autoproclamés de la démocratie, sont parfois fort peu démocratiques.

Frédéric Lemaire (avec Blaise Magnin)

 
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Notes

[1Lire notre article récent consacré aux injonctions libérales et germanophiles du Monde.

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