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Marie Claire féminise les Afghanes

par Véronique Maurin,

Quand, après les horreurs talibanes, les Afghanes quittent leur burka, leur « beauté » se dévoile. Oui mais quelle beauté ? Pour Marie Claire, comme pour les grandes marques de l’industrie cosmétique, une beauté ne peut pas être naturelle. Elle se doit d’être re-féminisée !

Dans le dernier Marie Claire (janvier 2004), un reportage sur l’Afghanistan est intitulé « La beauté dévoilée ». Aujourd’hui à Kaboul, apprend-on dans cet article, neuf femmes sur dix portent encore la burka. Le problème est que, lorsqu’elles osent prendre le risque de se dévoiler, les Afghanes, privées de (journaux) féminins aussi tendance que Marie Claire, ignorent qu’aujourd’hui pour être une « vraie » femme, il faut absolument être re-féminisée ! A coups de chirurgie esthétique et de produits de beauté.

Ainsi Marie Claire nous apprend qu’une école d’esthétique s’est créée à l’abri du Ministère de la Condition féminine : « Les élèves apprennent à faire des coupes, application de fond de teint et épilation de sourcil ». Seulement voilà : « les Afghanes qui privilégient le naturel, refusent encore la pose de faux cils, de faux ongles ou de mèches » [1]. Privilégier le naturel ! Alors que les féminins occidentaux, tous les féminins, s’acharnent à imposer aux femmes du monde entier les mêmes normes de féminité ! Quel sacrilège !

Mais, se réjouit Marie Claire, cette école afghane, crée à l’initiative d’une ONG, forme des esthéticiennes. Et pas n’importe quelle école : « Une conseillère new yorkaise en produits de beauté a participé activement à la création de l’école. Et les grands noms de l’industrie cosmétique aux USA ont également participé à l’aventure. Estée Lauder, Clairol, Revlon et Mac, entre autres ont fourni des produits, mis en place le programme des cours et fait un don de 400.000 $  » !

Alors, un grand merci à ces grandes marques qui investissent pour apprendre aux Afghanes qu’une beauté dévoilée ne peut pas être naturelle !

Ces femmes sortent à peine de vingt ans de guerre, de six ans de terreur sous les talibans et la plupart d’entre elles sont analphabètes (à 90%), elles demandent d’abord et avant tout à sortir de la misère, à s’éduquer, à travailler. Elles n’ont pas demandé à être initiées aux mystères des produits de beauté. Au contraire, elles rêvent de beauté naturelle. Alors pourquoi ces marques de produits de beauté ont-elles dépensé une petite fortune pour cette école ? Pour aider les Afghanes ou pour leur forcer la main ?

Libérées de leur burka, les afghanes vont-elles finir par accepter de se plier aux lois des industriels de la beauté occidentale ? Vont-elles finir par céder devant les mirages, les coûts et les mille et une contraintes d’une beauté normée ?

Avec un beau cynisme, sous couvert d’aide et de libération des afghanes, les marques de beauté US viennent tout simplement de prendre position et d’investir sur un marché potentiel et peut-être prometteur à long terme ! Un risque calculé qui leur permet surtout de prendre une longueur d’avance sur leurs concurrents français et européens !

Avec sa « beauté dévoilée », le dernier numéro de Marie Claire révèle ainsi ce que dissimule à peine la campagne contre le voile islamique du magazine Elle, son concurrent et néanmoins ami (Hachette-Filipacchi-Médias est partenaire à 42 % dans le groupe Marie Claire) : pour les « féminins haut-de-gamme » l’accès à la liberté des femmes se doit toujours de coïncider avec la promotion des grandes marques de l’industrie cosmétique. Des marques qui nourrissent et font vivre tous ces journaux féminins.

Véronique Maurin

 
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Notes

[1Souligné par moi.

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