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Lu, vu, entendu : « Un peu ou beaucoup trop »

par Un collectif d’Acrimed,

Est-ce la saison qui veut ça ?

  Trop tard ? – Nuit de la Saint-Sylvestre, épilogue [1]

Le 6 janvier, David Pujadas se mue en fin limier dans le journal de 20h de France 2, pour revenir tardivement sur la « nuit calme » du réveillon.. Les incendies de voiture sont le troisième titre de la soirée, avec ce commentaire tonitruant du présentateur : «  Cette délinquance dont plus personne ne parle  ». « Le phénomène se banalise, continue-t-il, notre enquête dans un instant ». Entre-temps, ce ne sont pas loin de huit minutes (!) du journal qui sont consacrées à la météo neigeuse en guise de principale information nationale de la journée, enchaînant banalités et anecdotes. Puis David Pujadas reprend son costume improbable de briseur d’interdits : « On en vient à ce chiffre qui ressemble à un tabou. Il y a quelques années, on s’étonnait, on s’indignait lorsque des voitures étaient brûlées à l’occasion de la Saint-Sylvestre ; eh bien aujourd’hui, dans l’indifférence générale , plus de 1100 véhicules ont été incendiés en ce 1er janvier, 40000 au total durant l’année 2009. Le phénomène perdure et se banalise ».

Les journalistes qui ont préparé « l’enquête » qui suit, d’une durée d’environ deux minutes, se sont visiblement efforcés de ne pas se contenter d’un traitement purement spectaculaire. On peut y noter un effort pour donner du sens et prendre du recul, compensant un peu l’annonce précédente. D’un côté, en évoquant « une façon d’exister pour des populations qui se sentent exclues », avant de donner la parole à un sociologue présenté comme un « spécialiste », Michel Wieviorka, dans un extrait qui tente de donner un sens social au phénomène. De l’autre, en signalant que la Grande-Bretagne est aussi touchée par le phénomène, cependant présenté comme moins important et surtout tendanciellement déclinant. Hélas, cette comparaison est seulement effleurée, et de plus, elle dément au moins en partie l’affirmation ironique par laquelle avait débuté le reportage (« Au menu du Nouvel An, une spécialité bien française : la voiture brûlée »).

 Trop heureux – Ça baisse !

Dans le journal télévisé de M6 du 14 janvier 2010, la présentatrice, Claire Barsacq, annonce, tableau à l’appui et sourire aux lèvres : «  le chiffre du jour, moins 1%  : ce qui correspond à la baisse de la délinquance en 2009. Un chiffre annoncé par le Ministère de l’intérieur ce matin, qui cache des disparités importantes car les cambriolages ont augmenté de plus de 8% et les violences aux personnes de 2,8% ; les atteintes aux biens enregistrent en revanche une baisse de 0,7% ».

Plutôt que de répéter les communiqués du Ministère de l’Intérieur, et de choisir comme « chiffre du jour » celui qu’il cherche à mettre en valeur, n’aurait-il pas été judicieux, par exemple, de traduire ces pourcentages en valeur absolue ? Cela aurait permis de mieux mesurer l’impact d’une telle baisse, au lieu de contribuer à… « cacher des disparités importantes ».

 Trop ministériel ? Le Monde soutient (encore) la LRU

… dans un article d’information

Le 1er janvier, Le Monde est revenu sur la mise en place de la LRU sous le titre « En un an, plus de la moitié des universités sont passées à l’autonomie », qui mêle habilement information et prise de position. Extraits (c’est nous qui soulignons) :

« […] Le passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE) autorise les établissements à gérer leur masse salariale aussi bien que leurs ressources humaines. Une révolution culturelle en marche depuis janvier 2009, date à laquelle une première vague d’établissements s’est lancée, rejointe aujourd’hui par 33 nouvelles venues. […]

Plutôt que de négocier leurs postes avec le ministère, ils [les présidents d’université, ndlr] peuvent
recruter eux-mêmes. La commission de spécialistes, qui se réunissait à dates fixes, a donc laissé place à
un comité de sélection qui offre bien plus de souplesse.

De même, les rémunérations à offrir aux enseignants peuvent
sortir du carcan de la traditionnelle grille des salaires. "Ce qui permet déjà à certains d’aller chercher des enseignants très pointus à l’étranger, se réjouit Lionel Collet. Même si tout ne change pas en un jour." Ou d’améliorer le quotidien des personnels. »

Ou encore… de précariser un peu plus un milieu qui l’est déjà beaucoup.

Et le quotidien vespéral de poursuivre : « Derrière cette évolution de gestion, c’est la "performance", chère à la ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, qui est recherchée. » Et si « très peu d’universités de sciences humaines sont pour
l’instant passées aux RCE »
, Le Monde les met en garde : « Il leur reste jusqu’au 1er janvier 2012 pour s’y préparer. Deux ans pour que, selon l’expression de Valérie Pécresse, "l’expérience donne envie aux autres" ».

 Trop libéral ? Le Monde défend Renault contre l’État rapace

C’est Marianne 2 qui le signale. Le Monde a publié le 14 janvier un article étonnamment complaisant à l’égard de la politique industrielle de Renault, alors même qu’une polémique enfle autour de la délocalisation en Turquie d’une partie de la production de la prochaine Clio, au grand dam de l’État qui pourtant « est venu au secours de Renault sous la forme d’un prêt bonifié de 3 milliards d’euros », indique le quotidien du soir. L’Élysée a même convoqué Carlos Goshn, patron de Renault, pour le réprimander à ce sujet. Mais Le Monde écrit : « Cette polémique prend des accents étranges dans la mesure où les déclarations ne correspondent pas toujours aux faits. D’abord, la Clio est déjà largement produite en Turquie. N’en déplaise au gouvernement, en 2009, 179 500 exemplaires sont sortis des chaînes de Bursa contre 140 000 de celles de Flins (Clio II et III). Le "made in Turquie" n’est donc pas une crainte, mais déjà une réalité. Ensuite, il n’est pas question pour le constructeur de transférer l’activité d’une usine française vers un site étranger, c’est-à-dire de délocaliser proprement dit. Renault, comme d’autres constructeurs, est amené à repenser régulièrement la ventilation de sa production en fonction de l’évolution de sa gamme. »

Marianne 2 note : « Circulez, il n’y a rien à voir, et surtout pas une "délocalisation". Si l’on suit l’article, l’État n’est pas dans son rôle. Ila déjà deux administrateurs, et c’est bien assez, et s’il veut aider Renault à ne pas envoyer sa production hors de l’Hexagone, il devrait commencer par baisser les taxes et impôts. » Et de s’étonner : « Notre confrère a oublié deux précisions d’importance : le président actuel du conseil de surveillance du Monde s’appelle Louis Schweitzer, et il était encore il y a peu, le président du groupe Renault ! Il devait d’ailleurs sa place au fait d’avoir longtemps occupé des places éminentes dans l’appareil d’Etat, y compris comme directeur de cabinet du ministre de l’Industrie Laurent Fabius, et donc exercé la tutelle de Renault dans les années 80 ! Et c’est encore lui qui avait conduit la privatisation de l’ex-Régie… »

Pour faire taire tout soupçon de complaisance ou d’influence, que pouvait faire Le Monde ? Signaler lui-même la liaison possible. Il ne l’a pas fait. Négligence ?

 Trop patronal – Journalisme ou courtage ?

La nouvelle offensive contre les retraites devrait recevoir le soutien massif des médias dominants, qui d’ores et déjà ne mettent en avant qu’une solution à ce problème : le recul de l’âge légal de départ à la retraite.

Le sondage du JDD du 10 janvier est éclairant à ce sujet. Encore une fois, la question de l’augmentation des cotisations patronales ne figure pas au rang des questions posées, pas plus que l’élargissement de l’assiette de ces cotisations ou la prise en compte d’années qui ne le sont pas aujourd’hui (les années d’études, par exemple). Autant de dispositions qui rendraient inutile le recul de l’âge légal de départ à la retraite. Ayant écarté a priori toutes les propositions alternatives, le JDD, sans surprise, peut trancher, en « Une » : « Les Français prêts à travailler plus longtemps » (lire l’article ici.).

Un vrai miracle, c’est exactement le vœu du patronat, dont certains des membres les plus influents puissants possèdent des... médias, à l’image d’Arnaud Lagardère, « frère » de Nicolas Sarkozy, qui possède entre autres… le JDD !

Bien évidemment, trois syndicalistes, Jean-Claude Mailly (FO), François Chérèque (CFDT) et Eric Aubin (CGT) sont convoqués pour commenter le sondage fait par l’IFOP, dont la propriétaire n’est autre que… la présidente du Medef. Une façon de le légitimer en quelque sorte.

Le détail des résultats ici, en fichier .pdf.

 Trop indépendant ? Les DNA entre indignation et connivence

Les DNA dénoncent leur propriétaire… Le blog « La feuille de chou note » : « Il est de notoriété publique que les Dernières Nouvelles d’Alsace, du groupe EBRA, appartiennent au Crédit Mutuel. Or, chose rarissime, le journal publie un long article dans lequel la banque est vivement prise à partie. » Le 17 janvier en effet, il a donné la parole au maire de Pfefferhouse et à une famille que le Crédit Mutuel menace d’expulser de son logement suite à des difficultés passagères pour rembourser le prêt contracté avec la banque, et alors qu’elle est solvable. La Feuille de chou reproduit en intégralité cet article sur son site.

…mais encensent leur patron. Le même jour, le même journal publie pourtant un article dithyrambique à propos du dernier livre de son président et responsable de la rédaction, Gérard de Lignac, La mondialisation / Pour une juste concurrence. C’est Dominique Jung, rédacteur en chef, qui se charge de l’éloge, comme le note là encore La Feuille de chou qui s’en amuse.

 Trop compliqué ? La Terre se réchauffe, l’océan refroidit…

… et le niveau monte sur RTL

Entendu à l’émission « On refait le monde » le 8 janvier. Alexis Brezet, rédacteur en chef du Figaro, plaisante sur l’épisode neigeux :

- Bernard Poirette : « Vive la nature, Alexis Brezet »
- Alexis Brezet : « Heureusement qu’on est en pleine période de réchauffement climatique  »
- Bernard Poirette : « Oui alors ça a fait ricaner toute la journée à la rédaction : "ah ah ah c’est le réchauffement"  »
[…Brouhaha…]
- Ghislaine Ottenheimer : « Vous connaissez l’explication du froid qu’il y a aujourd’hui ? »
- Alexis Brezet : « Le froid prouve le réchauffement et le chaud prouve le réchauffement…  »
- Ghislaine Ottenheimer : « Mais pas du tout ! »
- Alexis Brezet : « Plus y fait froid plus y fait chaud, plus y fait froid, plus y fait chaud ! »
- Ghislaine Ottenheimer : « Mais non ! Plus la glace fond, plus l’océan Atlantique refroidit, notamment le Gulf Stream, qui réchauffait… on a un climat océanique… Vous n’écoutez même pas l’explication !  »

En effet, dans l’émission « On refait le monde » sur RTL, tout le monde parle et personne n’écoute…

 Trop discret – Rue89 et la mort de Daniel Bensaïd

« Fallait-il faire de ce "débat" le premier titre de Rue89, le 20 janvier 2009 ? »

Oui, pour appâter le client.

 Trop savant – France Soir contre « l’horreur communiste »

Le 22 décembre dernier dans France Soir, Alexandre del Valle, essayiste on ne peut plus droitier [2] et collaborateur régulier du journal, profite de l’ouverture du procès de trois chefs khmers rouges au Cambodge pour se livrer à une diatribe anti-communiste, amalgamant communisme et nazisme, communisme et génocide, Marx et antisémitisme, totalitarisme et démocraties à majorité socialiste d’Amérique latine... En voici les meilleurs passages (les termes en gras sont soulignés par nous) :

« Jusqu’à maintenant, l’horreur communiste a été blanchie par le fait que l’ex-URSS contribua à la défaite du nazisme, et était présente à Yalta et à Nuremberg aux côtés des Alliés. Pour beaucoup, le communisme, moins monstrueux que le nazisme, aurait « mal appliqué » les idéaux égalitaires des philosophes communistes Marx et Engels.

Cette impunité négociée en 1945 par Staline, ennemi-allié des démocraties, permit de minimiser – avec la caution d’intellectuels communistes souvent français et formés comme Pol Pot à Paris – l’horreur des dictatures rouges d’hier (URSS, Albanie sous Enver Hodja…) et d’aujourd’hui (Chine, Cuba, Corée du Nord, qui menace son voisin sud-coréen par des essais nucléaires). Ces dictatures sont liées par des échanges politico-économiques et militaires, et une solidarité au sein de l’ONU pour échapper aux sanctions internationales.

En fait, le communisme d’Etat ou terroriste (Farc colombiennes) demeure l’idéologie au nom de laquelle on tue et persécute le plus, à égalité [sic] avec les régimes génocidaires et/ou islamiques alliés, comme le Soudan ou l’Iran. Le communisme, par nature totalitaire et violent, est fondé sur la lutte des classes, la création d’un homme nouveau, l’élimination de l’« homme ancien » puis la « dictature du prolétariat ».

Aucun des régimes s’en réclamant n’a réalisé le paradis terrestre promis autrement que par les massacres, la ruine économique, la misère sociale et morale, les privations de biens et de libertés, et le désespoir des survivants. On continue d’expliquer qu’il serait moins totalitaire que le nazisme car ni antisémite ni raciste.

Or les écrits de Marx sont une des sources de l’antisémitisme moderne (Sur la question juive), et le génocide par lequel Pol Pot et les siens exterminèrent les Cambodgiens « impurs » d’origine vietnamienne (Khmers Hanoi) ou musulmane (Cham) dément cette thèse.

De toute façon, exterminer au nom de la lutte des classes n’est pas plus justifiable qu’au nom de la lutte des races. Si le XXIe siècle veut tirer les leçons du XXe, et si l’on veut endiguer les dernières dictatures rouges et autres régimes « socialistes » pour l’heure moins criminels (Venezuela, Bolivie, Equateur…), mais adeptes des mêmes haines de classe et déterminés à créer l’homme nouveau, une condamnation historique et universelle, comme pour le nazisme, un « Nuremberg du communisme », serait opportun. Le Cambodge a lancé le processus. »

 Trop loin ? (1) Séisme : Bernard Guetta recolonise Haïti

Haïti, colonie française, devient indépendante en 1804. Puis, durant près de deux siècles le pays a connu une grande instabilité politique, alternant république et dictature, démocratie et coup d’état. De 1963 à 1986, les Etats-Unis ont soutenu les dictateurs Papa Doc et Bébé Doc.

14 janvier 2010, sur France Inter : Question de Bernard Guetta à Raoul Peck, réalisateur Haitien et ancien ministre de la culture de la république d’Haïti : « Est-ce que toutes ces informations, ce tableau général du drame que vit votre pays, n’implique pas que au-delà même que l’organisation des secours dans les jours et les semaines qui viennent, votre pays doit maintenant être pris en main par la communauté internationale, par d’autres pays pendant plusieurs années  ? »

Le lendemain 15 janvier, dans sa chronique matinale, il continue : « Il faudrait organiser, planifier, « prioriser », comme on dit, mais qui doit le faire ? (…) Les grandes puissances, alors, les Etats-Unis et l’Union européenne ? Oui , bien sûr , mais qui, précisément ? L’Amérique ou l’Europe ? Le voisin ou le vieux continent d’où l’Espagne et la France étaient parti coloniser cette île ? »

 Trop loin ? (2) Les Antilles : Poids mort ou cause perdue ?

On continue à « refaire le monde » sur RTL : même émission du 8 janvier, quelques instants plus tard. Les experts du jour se penchent sur le mouvement social en Guadeloupe. Pour lancer le débat, le présentateur en définit le cadre :

- Bernard Poirette : « [après avoir annoncé une manifestation, et « une nouvelle grève générale pour le 20 janvier »] Alors, bon… on a oublié, parce qu’effectivement, c’est loin, c’est les Antilles, c’était y’a douze mois, on sait pas très bien comment s’est terminé le précédent conflit, on sait pas très bien pourquoi celui-là redémarre, mais est-ce que… c’est cause perdue , finalement, Alexis Brezet, est-ce que c’est définitivement un poids mort de la République , les Antilles, et notamment la Guadeloupe ? »

Faut-il décoloniser les Antilles ?

 Trop « nétophobe » [3] ? Charlie Hebdo parle du Web

Au rayon des croisades du moment, la lutte contre Internet, ce repaire de pédo-nazis-terroristes et ce royaume de la rumeur [4]. Charlie Hebdo, qu’on croyait soigné de sa paranoïa anti-web depuis le départ de Philippe Val pour France-Inter, en remet une couche, à l’occasion de la sortie en kiosques d’un magazine spécial édité par Mediapart sur l’identité nationale :

Le blogueur Guy Birenbaum, qui signale la chose sur LePost.fr, commente : « Je ne sais pas qui est l’auteur de cette "brève" lapidaire et anonyme. Au passage on goûtera que cette saillie ne soit pas signée, puisque l’anonymat est justement l’argument massue des ennemis du Net ! »

 Trop netophile ? Pourquoi L’Express ne parle pas de Loppsi 2

C’est Numérama qui le signale : face au peu d’intérêt des médias dominants pour le projet de loi Loppsi 2 (dont nous avons fourni une analyse ici), un internaute a interpellé via Twitter les responsables des rédactions des principaux médias généralistes nationaux sur ce silence. Seul Eric Mettout, rédacteur en chef du site Internet de l’Express, lui a répondu, par un énigmatique : « Pas un papier sur Hadopi non plus... Sujets trop geeks  ». La défense des libertés publiques sur le web, « sujet trop geek » pour mériter qu’on en parle dans un média généraliste, et qui plus est sur son site Internet ?

Depuis, Eric Mettout a précisé sa pensée, dans un billet qui vaut le détour. Détour que nous ferons peut-être un jour prochain…

 
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Notes

[2Sa biographie sur Wikipédia permet de s’en rendre compte.

[3Ce terme est emprunté à Guy Birenbaum.

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