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Lu, vu, entendu : Informations en solde

Les boîtes noires et les dessous chics du Monde - Des islamo-gauchistes infiltrés à Marianne - Josyane Savigneau et son boss - Jean-Michel Aphatie, publicitaire - Canal + recrute.

 Boîtes noires : Le Monde les a trouvées, puis perdues, puis…

L’information en temps réel ne cesse de faire des victimes. La première d’entre elles ? L’information.

Nous avions relevé les patientes recherches de David Pujadas, qui voulait connaître les causes de l’accident de l’AF447 avant même qu’existent des indices sérieux (lire : « L’avion disparu, l’expert et le journaliste »).

C’est maintenant au tour du Monde de se précipiter et d’annoncer, à 6h52, le 23 juin, que les boîtes noires ont été retrouvées. Avant de s’interroger, à 11h50 – à la suite d’un communiqué du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) –, sur l’existence de cette prétendue découverte qui sera peut-être confirmée… quand elle aura lieu, si elle a lieu.

Seulement voilà, l’url de l’article, qui n’a pas changé, a conservé l’information péremptoire de 6h52.

Rumeur du matin, démenti de la mi-journée, information du soir ?

 Venezuela : Les dessous chics du Monde 2

Enfin une enquête sociale sur la situation au Venezuela ! Dans l’édition du 29 mai (diffusée le 30), Le Monde 2 propose un photoreportage (complété par un bref article). L’ensemble est intitulé : « Les dessous chics de la révolution bolivarienne ». De quels dessous chics s’agit-il ?

Si l’on en croit Marie Delcas (correspondante du Monde à Bogota), « Cette richesse qui dérange » (titre de l’article) n’est pas celle de l’oligarchie vénézuélienne dont tout le monde, apparemment, s’arrangerait, mais celle des « bolibourgeois » : « Dix ans de révolution bolivarienne ont vu l’ascension d’une nouvelle caste au Venezuela. Petits patrons et grands entrepreneurs, intermédiaires financiers et hauts fonctionnaires, les bolibourgeois ont fait fortune à l’ombre du pétro-Etat immensément riche [...] Les bolibourgeois ont depuis belle lurette envahi les clubs sélects, les grands hôtels, les terrains de golf et les beaux quartiers  ».


Faut-il s’en réjouir ou le déplorer ? Le Monde 2 semble suggérer que les nouveaux riches ont bien le droit de s’enrichir : « L’élite traditionnelle vénézuélienne s’en offusque, oubliant un peu vite qu’elle est elle-même fille du pétrole. Et que certains de ses illustres représentants s’accommodent fort bien de la révolution bolivarienne. C’est le cas de la famille Cisneros, qui a fait fortune dans les médias et la telenovela ». La bourgeoisie vénézuélienne d’ancien régime, mais qui continue à prospérer sous le nouveau, est délicatement désignée comme une « élite traditionnelle ». Et l’article la réprimande de ne pas accepter de faire un peu de place aux « nouveaux riches » : une nouvelle « élite » qui n’a apparemment pas remplacé la précédente puisque « Plus que substitution d’élites, il y a juxtaposition ».

Quoi qu’il en soit, l’émergence et la vie des « bolibourgeois » méritaient bien un reportage photographique, présenté ainsi : « En dix ans de présidence Chavez, une classe de nouveaux riches a émergé au Venezuela, grâce à la manne pétrolière. La photographe Sandra Rocha a saisi le luxe tapageur de leurs soirées mondaines. Un aspect peu connu de la "révolution bolivarienne" ».

Que Le Monde 2 s’inquiète ou s’indigne du « luxe tapageur » peut prêter à sourire, quand on sait à quel point cet hebdomadaire magnifie le luxe : ce luxe que les photographies de Sandra Rochas exposent (sur papier glacé…), non sans complaisance. Mais à première vue, les « dessous chics de la révolution bolivarienne » ressemblent à s’y méprendre aux soirées ordinaires de la haute bourgeoisie traditionnelle.

Car entre la « substitution » et la « juxtaposition » des élites, le « portfolio » qui illustre l’article choisit... la confusion la plus complète.

La première photo, par exemple, a été prise lors d’une « Réception au siège de la chaîne de télévision privée Venevision, propriété de l’entrepreneur Gustavo Cisneros, le roi de la telenovela, troisième fortune d’Amérique latine », dont l’article de Marie Delcas nous avait dit qu’il est une figure emblématique des « illustres représentants » de « l’élite traditionnelle », qui « s’accommodent fort bien de la révolution bolivarienne »… dans la mesure où ils peuvent poursuivre leurs affaires et ne disposent pas des moyens de s’opposer frontalement au régime, comme le fit – fâcheuse omission du Monde 2 – Gustavo Cisneros. Se serait-il définitivement assagi ? [1].

Or c’est une réception du même Cisneros qui, évoquée dans la légende d’une autre photo « Deux anciennes Miss Venezuela participent à une réception du baron des médias Gustavo Cisneros, organisateur officiel du concours ». Est-ce lui sur l’image ? Mystère, puisqu’on lui a coupé la tête… En tout cas, cette réception ne semble pas spécialement « bolibourgeoise ». Pas plus que le mariage d’un opposant notoire immortalisé par le dernier cliché du photoreportage. Comme l’indique la légende : « Yon Goicoechea (ici lors de son mariage, dans un hôtel luxueux de la capitale) s’est fait connaître lors du mouvement étudiant de décembre 2007 pour la démocratie. Cette révolte a fait échouer la réforme constitutionnelle qui devait donner à Hugo Chavez le droit de se représenter indéfiniment à l’élection présidentielle, ce qu’il a fini par faire voter cette année ».

Et entre Cisneros et Goicoechea, qu’il faudrait donc considérer comme deux « bolibourgeois », s’égrènent les photos représentant la « jeunesse dorée » de la capitale, un « mariage très huppé au Country Club de Caracas, le refuge verdoyant des millionnaires vénézuéliens », « cercle excessivement fermé »… qui s’ouvre peut-être à certains membres de la bolibourgoisie mais qu’il est pour le moins audacieux de présenter comme un haut lieu de la « révolution bolivarienne ». En réalité seule une légende, sur les sept photographies que compte le portfolio, évoque explicitement la bolibourgeoisie : « Luxe ostentatoire : la “bolibourgeoisie” (la bourgeoisie bolivarienne) avec son train de vie tapageur dérange dans un pays aux fortes inégalités ». Evidemment, difficile de faire la différence, sur le cliché, avec le train de vie tapageur de « l’élite traditionnelle vénézuélienne » qui ne dérange personne dans un pays aux fortes inégalités.

Qu’a-t-on appris sur la « bolibourgeoisie » ? Rien que l’on ne puisse savoir déjà de la bourgeoisie traditionnelle. Mais les photos sont si belles…

 Iran : Marianne infiltrée par les « officines islamo-gauchistes »

Le 15 juin au matin, le site de Marianne publiait un article raillant « l’ethnocentrisme naïf » des médias français dans le traitement de la crise iranienne, et défendant – sans contester la fraude – l’idée selon laquelle la victoire d’Ahmadinejad, dont il note le « populisme », est compréhensible dans ce « pays en souffrance qui vit comme une humiliation permanente les leçons de morale venue d’Europe et d’Amérique, désormais si bien incarnées par l’interventionnisme croissant de l’Otan ».

Il n’en fallait pas davantage pour faire sortir de leurs gonds Maurice Szafran et Martine Gozlan, qui censurent aussitôt l’article et s’adressent directement à leurs lecteurs pour expliquer ce geste bien légitime :

A nos lecteurs.
La colère. C’est ce que nous avons ressenti en découvrant lundi 15 juin sur le site de Marianne2.fr les élucubrations sur l’extraordinaire révolution qui se produit depuis une semaine en Iran. Ces tirades ridicules et invraisemblables sur un Ahmadinejad transformé en champion de l’anti-impérialisme – dans le plus pur style de la propagande du ministère de la Guidance islamique ou des officines islamo-gauchistes moribondes – constituent évidemment la négation de ce que Marianne a toujours défendu. Immédiatement remplacé par des analyses sensées et un éditorial du service Monde de notre journal (intitulé « le sang de la liberté » et en hommage au courage du peuple de Téhéran insurgé), ce texte absurde a troublé de nombreux internautes.
C’est pourquoi nous rappelons avec force que l’un des combats d’idées les plus ardents de Marianne a été, est et restera la dénonciation inlassable de la collusion entre l’islamisme et le gauchisme dévoyé qui s’en est fait depuis tant d’années le fourrier zélé. […] Ce défi permanent, longtemps si solitaire, demeure ancré en nous.

Maurice Szafran (directeur de Marianne) et Martine Gozlan (rédactrice en chef du service monde de Marianne, spécialiste de l’Iran et de l’Islam).

Reste à expliquer comment le ministère de la Guidance islamique a pu publier sa propagande directement sur marianne2.fr… Et pourquoi, malgré la vigilance de son directeur, tant « d’analyses sensées » de Marianne nous feraient presque regretter ce « texte absurde ».

 Culture : Josyane Savigneau et « l’homme qu’elle aimait » tout haut

Le samedi 20 juin 2009, l’émission « Jeux d’épreuves », diffusée chaque semaine de 17 heures à 17h55 sur France Culture, consacre l’une de ses séquences au livre qu’Eric Fottorino, patron du Monde, a dédié à la mémoire de son père : L’homme qui m’aimait tout bas [2]. Jusque-là rien à dire, surtout quand on n’a pas lu ce livre. Et aucune raison de douter de ses qualités.

Sébastien Le Foll conclut son intervention et Josyane Savigneau s’apprête à prendre la parole. On écoute cet enchaînement, et le début du propos de l’ancienne directrice du Monde des Livres, connue pour ses complaisances et ses détestations.

http://www.acrimed.org/IMG/mp3/JosyaneSavigneau.mp3

Vous avez bien entendu (sans quelques unes des interruptions de l’animateur) :

- Joseph Macé-Scarron (animateur de l’émission) : « Josyane Savigneau, vous êtes journaliste au Monde. »

- Josyane Savigneau : « Voilà. Alors, il faut que je lève une ambiguïté tout de suite. Toutes mes paroles pourraient être suspectes. Alors, je ne vais pas me faire plus courageuse que je ne suis. Si je n’avais pas aimé ce livre, je n’aurais pas osé venir le dire ici. Mais je vous aurais dit simplement : “Je ne vais pas participer à cette émission”. Parce que je ne me vois pas en train dire… Je ne suis pas courageuse à ce point-là… Enfin, il ne faut pas non plus… J’ai été très touchée par ce livre, c’est pour ça que je voulais en parler aussi, malgré tout ça, en effet… »

Résumons : Josyane Savigneau explique que si elle n’avait pas aimé l’ouvrage de son patron, elle ne serait pas venue en parler… Mais puisqu’elle l’a aimé, pourquoi se gêner ?

 Démocratie : Jean-Michel Aphatie, avocat de la publicité

Commentant une chronique de Daniel Schneidermann consacrée à France Inter et parue dans Libération du 8 juin 2009, dans laquelle ce dernier avait évoqué la « gangrène publicitaire », Jean-Michel Aphatie se lance dans une plaidoirie hors du commun :

« Un média comme RTL se finance exclusivement par la publicité. Évacuons l’apport économique pour la société, acquittement de l’impôt, distribution de pouvoir d’achat, etc. »

[Oui évacuons cet argument tiré par les cheveux, et évitons également toute réflexion sur la publicité en tant que telle…]

« Concentrons-nous sur l’espace professionnel ainsi construit et consacré, pour une part, à la vie démocratique de la Nation. A plusieurs reprises dans la journée matin, midi et soir, dans les journaux du week-end, dans des émissions spécialisées, la parole est donnée aux acteurs de la société, responsables politiques ou syndicaux, chefs d’entreprise, intellectuels, artistes. »

[Les ouvriers, employés, agriculteurs ne sont pas conviés. Pas très « démocratique »…]

Et d’en déduire : « Ainsi, la publicité permet d’organiser et de nourrir le débat démocratique. En ce sens, RTL comme d’autres organes de presse remplissent une mission de service public, y participe. Simplement cette action, au lieu d’être financée par l’impôt, est financée par la publicité. Pourquoi donc la qualifier de ”gangrène” [comme le fait Schneidermann] ? La traiter comme une maladie ? » (RTL, blog, 12.6.09).

Il fallait oser mettre sur le même plan recettes fiscales et recettes publicitaires. Il fallait oser faire le raccourci entre la publicité et le débat démocratique, et même le « service public » ! Mais Aphatie ose tout, et, comme dirait Michel Audiard, « c’est à ça qu’on le reconnaît ».

 Et pour finir…
- Canal+ recrute

On a reçu ça, qui nous était directement adressé par courrier électronique :


Bonjour , je recherche pour les émissions de la rentrée prochaine sur CANAL + : des nouveaux chroniqueurs/chroniqueuses (18/30 ans) jolie sourire , agréable , bonne tenue générale très à l’aise à l’oral , confiant , bonne répartie. Il ou elle écrira ses propres textes. Expérience minimum en TV ou radio ou école de journalisme obligatoire Casting début Mai 2009. Envoyer photo récente + cv
(une petite démo d’une minute maximum peut être un + !) à : xxx@yyy.zzz


Nous avons alors demandé à notre aimable correspondante (xxx@yyy.zzz )


Bonjour,
Est-ce que les messieurs chauves ventripotents ou femmes ridées de plus de 30 ans, mais sachant de quoi ils parlent, peuvent postuler ?

Et nous avons été rassurés par cette réponse :


From : xxx@yyy.zzz
To : acrimed-contact
Sent : Tuesday, April 07, 2009 11:30 PM
Subject : Re : casting présentateurs/trices CANAL +

Bonjour,

oui.

Bien à vous ,

XXX

Ouf !

 
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Notes

[1Rappelons que Gustavo Cisneros a soutenu le coup d’Etat de 2002. Chavez avait déclaré à son propos : « le jour viendra où nous aurons une équipe de juges qui n’aura pas peur et qui agira en accord avec la Constitution et mettra en prison ces chefs de la mafia comme Gustavo Cisneros ». Cisneros, dont on pourra lire une biographie détaillée, rédigée par Richard Goot et publiée ici même en « tribune » sous le titre « Gustavo Cisneros, le Murdoch du Venezuela ».

[2Gallimard, avril 2009.

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