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Loi de modernisation du secteur de la presse : petits et grands méfaits du « pragmatisme »

par Henri Maler,

« Ni immobilisme, ni grand soir mais pragmatisme pour accompagner la modernisation de la presse », peut-on lire dans l’exposé de la proposition de loi de modernisation du secteur de la presse telle qu’elle a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 septembre 2014. Au nom du « pragmatisme », une loi fourre-tout qui mêle le pire et l’insuffisant.



Au moment où nous écrivons elle a été amendée et adoptée par le Sénat le 5 février 2015. Elle doit être examinée par la « commission mixte paritaire » ; cet article sera peut-être modifié en conséquence.

Pragmatisme (1) : sur l’AFP (articles 11 à 13)

Indubitablement, c’est sur l’AFP que le pragmatisme du pire menace de provoquer les pires ravages : c’est pourquoi nous y reviendrons dans un article distinct.


Pragmatisme (2) : sur la distribution de la presse (articles 1 à 10)

L’ « exposé des motifs » de la proposition déposée à l’Assemblée Nationale est apparemment sans appel :

Le secteur de la distribution de la presse papier est le premier fragilisé par le recul de la vente au numéro. Le système coopératif de distribution de la presse, qui assure la diffusion au numéro, est un pilier fondamental de l’information pluraliste dans notre pays. Il connaît aujourd’hui, à tous ses niveaux, une crise de structure qui fragilise les messageries, les dépositaires et les diffuseurs et, partant, la capacité de nos concitoyens à accéder facilement, sur l’ensemble du territoire, à l’ensemble de la presse.

La principale société coopérative de presse, Presstalis, est engagée dans une restructuration d’ampleur indispensable à sa pérennité. Les dépositaires se réorganisent également, dans des conditions souvent complexes. Enfin, les diffuseurs voient leur activité fragilisée, d’où la fermeture de nombreux points de vente : leur nombre en France est ainsi passé de 29 749 fin 2008 à 26 816 à fin 2013.

Et le même exposé des motifs rappelle les « acquis de la "loi Bichet" » (« principe de libre diffusion des titres, égalité de traitement, caractère coopératif ») et se prévaut de leur respect pour proposer des « évolutions ».

Or, pour ne pas avoir à supporter les conséquences du principe de solidarité, nombre de publications parmi les plus profitables et les mieux aidées sont diffusée par les Messageries lyonnaises de presse (MLP). Dans le même temps, l’État a consacré des sommes faramineuses pour éviter l’effondrement de Presstalis (ex-NMPP) qui assume, entre autres, toutes les conséquences du principe de solidarité.

S’ouvrait alors un choix qui aurait réclamé un peu moins de « pragmatisme » : ou bien préparer la fusion des MLP et de Presstalis, ou bien exclure des aides à la presse les publications qui se soustraient à la solidarité.

La loi opte pour un bricolage d’obligations et de réformettes bureaucratiques dont on s’épargnera, dans cet article, d’analyser les détails.


Pragmatisme (3) : sur le statut d’entreprise citoyenne de presse d’information (article 14)

L’article 14 de la loi prévoit qu’une « entreprise éditant une ou plusieurs publications de presse ou services de presse en ligne peut adopter le statut d’entreprise citoyenne de presse d’information ».

Ce statut a toutes les apparences du statut d’entreprise de presse à but non lucratif que nous revendiquons de longue date. Mais… Mais il y a plusieurs « mais »…

 Une première condition est mise à l’adoption de ce statut : « L’objet social d’une entreprise citoyenne de presse d’information est d’éditer une ou plusieurs publications de presse ou services de presse en ligne consacrés pour une large part à l’information politique et générale au sens de l’article 39 bis A du code général des impôts ».

Avec ce timide pas en avant, la loi s’en tient à une définition à la fois restrictive et floue de « l’information politique et générale » qu’un peu de « pragmatisme » supplémentaire aurait dû, ou bien élargir à toutes le formes de presse (tant il est invraisemblable que des médias lucratif renoncent à redistribuer des profits sous forme de dividendes), ou bien préciser (pour inclure à la fois la presse associative et la presse thématique d’information citoyenne) le code général des impôts.

Par exemple en adoptant un amendement s’inspirant de la proposition du Spiil : « Sont considérés comme relevant de l’information politique et citoyenne les publications imprimées et services en ligne qui ont pour objet principal d’apporter sur l’actualité politique et citoyenne (socio-économique, sociétale, culturelle, scientifique ou professionnelle) des informations et des commentaires tendant à enrichir le savoir des citoyens, et par là même à éclairer leur jugement ».

De surcroît, ce statut devrait exclure les entreprises de presse appartenant à des groupes multimédias privés et inclure explicitement la presse éditée par des associations.

Enfin, la reconnaissance de ce statut devrait être assortie d’une réorientation des aides à la presse privilégiant la presse sans but lucratif. Mais ce serait sans doute beaucoup trop demander.

 La deuxième condition n’est pas moins approximative. Elle indique : « Pour la gestion de l’entreprise citoyenne de presse d’information, une fraction au moins égale à 20 % des bénéfices de l’exercice, est affectée à la constitution d’une réserve statutaire obligatoire consacrée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise et une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices de l’exercice est affectée au report bénéficiaire et à la réserve obligatoire ».

Étrange arithmétique qui n’indique pas explicitement que les bénéfices ne peuvent en aucun cas être distribués aux propriétaires et actionnaires sous forme de dividendes !


Pragmatisme (4) : sur l’« amendement Charb »

Un article 15 bis prévoit une « une réduction d’impôt sur le revenu égale à 30 % des versements effectués jusqu’au 31 décembre 2018 au titre de souscriptions en numéraire réalisées au capital de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun et définies au I de l’article 39 bis A. » Autrement dit, aux entreprises à but lucratif. Mais aussi une réduction d’impôt portée à « 50 % lorsque la société bénéficiaire de la souscription a le statut d’entreprise solidaire de presse d’information au sens de l’article 2-1 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse. » Le flou, pas très artistique, qui entoure l’article du Code des impôts discuté ci-dessus entoure donc également cette précision. Mais…

Mais un amendement – dit « amendement Charb », puisqu’il s’inspire d’une disposition qu’il avait lui-même proposée – été adopté par le Sénat.

Celui-ci modifie l’article 200 du Code général des impôts qui détaille quels sont les destinataires de dons et versements qui « ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66 % de leur montant les sommes prises dans la limite de 20 % du revenu imposable ».

À la liste jusqu’alors en vigueur, il ajoute les dons et versements effectués par les contribuables au profit « d’associations exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse, par la prise de participations minoritaires, l’octroi de subventions ou encore de prêts bonifiés à des entreprises de presse au sens de l’article de l’article 39 bis A ».

Tel qu’il est rédigé (si nous le comprenons bien, ce qui n’est pas certain), l’amendement laisse dans l’ombre l’identité des associations bénéficiaires qui semblent n’être définies que par une liste particulière et limitative d’« actions concrètes en faveur du pluralisme » (participations minoritaires, octroi de subventions, prêts bonifiés). Dans tous les cas les dons et versements directement effectués en faveur de médias associatifs semblent exclus.

De surcroît, on comprend mal si ces actions concernent ou non exclusivement les « entreprises de presse au sens de l’article de l’article 39 bis A ». Or l’article 39 bis A mentionne exclusivement « les entreprises exploitant soit un journal quotidien, soit une publication de périodicité au maximum mensuelle consacrée pour une large part à l’information politique et générale, soit un service de presse en ligne reconnu ». Ainsi, non seulement la définition restrictive et floue de « l’information politique et générale » est reconduite (voir plus haut), mais la périodicité exigée est encore plus restrictive.

Conséquence dans tous les cas : en l’absence de précisions à la fois sur leur statut et sur la nature spécifique des dons et versements dont ils pourraient bénéficier, la plupart des médias associatifs sont (ou menacent d’être) exclus du bénéfice de cet amendement.


***



Il est peu probable que les dispositions les plus inacceptables soient annulées et que les insuffisances les plus notables soient toutes compensées. Mais peut-être n’est-il pas trop tard pour que les médias associatifs ne soient pas à ce point négligés. Qui peut penser en effet qu’un « service public de l’information et de la culture », tel que nous le proposons, puisse exister sans leur essentielle contribution ?

Henri Maler

 
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