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Lire : Traité de la ponctuation française, de Jacques Drillon

par Arnaud Rindel,

Jacques Drillon, Traité de la ponctuation française, Editions Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1991.

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Voici un manuel fort utile, qui devrait probablement constituer l’un des ouvrages de référence pour tout observateur rigoureux (pléonasme, il va sans dire...) des médias.

Nul doute que notre site pourrait d’ailleurs constituer un cas d’étude intéressant dans ce domaine, mais peut-être pas pour servir de modèle... Confessons le, dans notre travail - encore largement « artisanal » - nous ne pouvons pas toujours consacrer autant de temps que nous le souhaiterions à la relecture et à la correction des fautes de frappe, d’orthographe, de mise en page et de ponctuation.

Un défaut que ne nous pardonnerait probablement pas l’auteur de ce Traité de la ponctuation française. Car pour Jacques Drillon la ponctuation n’est pas une affaire anodine. « On sait le soin qu’apportent les diplomates à la rédaction de traités... Une virgule mal placée, et c’est une frontière qui déménage... » (p.55)
Il en va de même pour le domaine des idées où, pour l’auteur, la fluidité de la ponctuation est irrémédiablement liée à celle de la pensée. « Bien écrire consiste, avant toute autre opération, à ordonner sa pensée et sa phrase » (p.72). A l’inverse, « faute de technique, l’écrivain ne produira pas de clarté » (p.148).

Faute avouée est, dit-on, à moitié pardonnée. Après une première partie traitant de l’historique de la ponctuation, l’observateur des médias pénitent se fera donc un devoir de consulter - ou relire - avec profit la seconde partie consacrée aux usages des différents signes de ponctuation : point, virgule, point-virgule, parenthèses, etc.
Il y trouvera également les indications indispensables pour continuer de produire des comptes-rendus toujours aussi méthodiques et rigoureux, mais qui soient désormais pourvus d’une ponctuation irréprochable. Notamment les règles de présentation d’une citation (voir en annexe ci-dessous) et des références bibliographiques.

Il n’est pas exclu que le lecteur reçoive, au passage, une petite leçon... d’observation des médias.

Exemple :

(Les passages soulignés le sont par nous.)

« Le Journalisme fait grand usage de phrases courtes dépourvues de verbe, auxquelles le point donne un caractère affirmatif, pour ne dire pas péremptoire. Les journaux les plus sobres ne sont pas exempts de telles surenchères, du moins dans ce qu’on nomme en jargon de métier les “chapeaux”. [...] si la publicité et les genres qui s’y rattachent - le “chapeau” est bien une réclame pour le “papier” - usent si largement du point, c’est avant tout qu’il est un signe positif. La phrase est terminée, la cause entendue, la vérité dégagée. Le fait est certain. [...]
Lorsqu’il est employé après des phrases brèves et affirmatives [...], il acquiert même un pouvoir exclamatif. [Drillon cite l’exemple d’un “chapeau” sur le compositeur Hugo Wolf] Sur le point d’exclamation il a l’avantage de ne point exprimer ouvertement l’étonnement, l’admiration, l’incrédulité. [...] Les points sont ressentis par le lecteur comme une invitation à s’émerveiller. Les remplacer par des points d’exclamation équivaudrait à une offre de communion, de partage. Le journaliste s’étonnerait, et communiquerait sa surprise [...]
Quelle maladresse ! Le journaliste découvrirait Hugo Wolf en même temps que le lecteur... Au lieu de quoi il doit donner l’impression de savoir avant lui, et de le mener par la main sur le chemin de la connaissance. C’est ainsi qu’il pose ses phrases comme des objets “admirables”, au sens classique du terme, et jouit de l’effet produit. [...]
Est-ce là une réclame irrésistible ? Pas toujours ; mais elle se pose comme telle. Le journaliste ne va pas vers le lecteur : il fait en sorte que le lecteur vienne à lui. [...]
Nous voyons que ce procédé a pour moteur la distance que l’auteur met entre le lecteur et lui. [...] Le point, plus encore que la brièveté de la phrase qui détermine sa présence, est le signe du fait accompli ; il est la marque de l’irréversible, de ce qui ne mérite plus d’attention [ou de ce qui ne mérite plus de discussion, a-t-on envie d’ajouter]. Camus l’emploie pour suggérer l’indifférence, tandis que le “chapeau” de journaliste élabore sa tactique de séduction sur cette indifférence même, sur cet éloignement - que le lecteur, machinalement, cherche à réduire, comme on fait une fracture. » (pp.131-133)

Ou comment le style journalistique produit de la légitimité...

A.R.
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Annexe : Règles de présentation d’une citation.

(Les exemples cités plus bas ne figurent pas dans l’ouvrage de Jacques Drillon)

- une citation est encadrée par des guillemets. « Les plus usuels sont les guillemets français («  ») » (p.313). « On ouvre les guillemets ; on commence la citation par une majuscule ; on la clôt par un point ; on ferme les guillemets » (p.315).

- Faut-il composer les guillemets dans le même caractère que la phrase qu’ils encadrent (ici, en italique) ? L’attitude la plus logique pour Drillon est au contraire de les composer dans le même caractère que celui du texte général, puisqu’ils « appartiennent au discours général de l’auteur, non à la partie entre guillemets » (p.325).

- « Lorsqu’on cite au deuxième degré - citation dans la citation - on change de guillemets. [...] Les guillemets du deuxième degré sont dits “anglais” (“ ”) ceux du troisième sont des apostrophes (‘ ’). »

Exemple : Dans son livre Les nouveaux chiens de garde (Editions Liber/Raisons d’agir, 1997), Serge Halimi évoque la profession de journaliste, « un sacerdoce que les Américains ont ramassé en une formule : “réconforter ceux qui vivent dans l’affliction et affliger ceux qui vivent dans le confort » (p.9).

- « Si l’on désire ne pas citer intégralement un texte, on marquera la coupe effectuée par un point de suspension encadré par des crochets [...] qui sont le signe d’une intervention extérieure, et non des parenthèses, qui sont en propre à l’auteur. » (p.276-277)

Exemple n°1 : Dans son dossier « La presse à euros », PLPL cite ce propos de Jean-Marie Colombani, directeur de la publication du Monde : « Impossible de réguler, contrôler ou discipliner la presse du dehors sans remettre en cause ce qui fonde le principe même de la liberté d’expression [...]. Chaque rédaction doit défendre elle-même l’éthique de son métier, la garantir, la réguler. » (PLPL n°22, décembre 2004)
(Cette ponctuation signifie que c’est moi qui coupe une partie de la citation de PLPL.)

Exemple n°2 : Dans son dossier « La presse à euros », PLPL cite ce propos de Jean-Marie Colombani, directeur de la publication du Monde : « Impossible de réguler, contrôler ou discipliner la presse du dehors sans remettre en cause ce qui fonde le principe même de la liberté d’expression (...). Chaque rédaction doit défendre elle-même l’éthique de son métier, la garantir, la réguler. » (PLPL n°22, décembre 2004)
(Cette ponctuation signifie à l’inverse que je cite exactement les propos du journal, et que c’est PLPL qui a coupé une partie des propos de Jean-Marie Colombani.)

- « les crochets doivent respecter scrupuleusement la ponctuation originale et se placer exactement à l’endroit de la partie retranchée : ni trop tôt ni trop tard. » (p.284)

Exemple : Dans son ouvrage Sociologie du journalisme (La découverte, 2001), Erik Neveu évoque la « professionnalisation des sources » (la partie que l’on souhaite couper est indiquée en gras) : « Plus de 40000 attaché(e)s de presse opèrent en France, chiffre supérieur à celui des journalistes, et qui n’inclut pas la population des “dircoms” (Walter, 1995) ou celle des spécialistes du lobbying. Formés dans des écoles spécialisées, venant aussi du journalisme, ces professionnels de la communication disposent d’une connaissance des méthodes de travail des journalistes assez précise pour pouvoir anticiper sur leurs contraintes et attentes. » (p.55)

La coupe sera donc indiquée comme suit (avant le point) :

« Plus de 40000 attaché(e)s de presse opèrent en France [...]. Formés dans des écoles spécialisées, venant aussi du journalisme, ces professionnels de la communication disposent d’une connaissance des méthodes de travail des journalistes assez précise pour pouvoir anticiper sur leurs contraintes et attentes. »

et non de cette façon :

« Plus de 40000 attaché(e)s de presse opèrent en France. [...] Formés dans des écoles spécialisées, venant aussi du journalisme, ces professionnels de la communication disposent d’une connaissance des méthodes de travail des journalistes assez précise pour pouvoir anticiper sur leurs contraintes et attentes. »

- « la suppression du passage peut être accompagnée d’une explication de l’éditeur, d’un résumé, d’un commentaire », toujours entre crochets. « On voit ainsi que deux paires de crochets peuvent s’enchaîner » (p.285).

Exemple : Dans Sur la télévision (Liber/Raisons d’agir, 1996) - transcription revue et corrigée de deux émissions diffusées sur la chaîne "Paris Première" dans le cadre d’une série de cours du collège de France -, Pierre Bourdieu s’interroge sur la nécessité pour un intellectuel d’apparaître à la télévision : « Je crois qu’il est important d’aller parler à la télévision mais sous certaines conditions. [...] [Bourdieu évoque les conditions exceptionnelles dont il bénéficie pour ce programme] Mais, dira-t-on, pourquoi, dans les conditions ordinaires accepte-t-on malgré tout de participer à des émissions de télévision ? [...] en acceptant de participer sans s’inquiéter de savoir si l’on pourra dire quelque chose, on trahit très clairement qu’on n’est pas là pour dire quelque chose, mais pour de tout autres raisons, notamment pour se faire voir et être vu » (pp.10-11).

- « Lorsqu’il cite un texte, l’éditeur peut être amené, pour respecter la concordance des temps, ou les règles du discours indirect, à modifier l’énoncé exact du texte cité. Les termes qu’il introduit en lieu et place des originaux seront encadrés par des crochets. » (p. 285)

Exemple : On accuse souvent Chomsky, Bourdieu et Halimi d’être « obsédé[s] par le fantasme des manipulations » et de « ne [connaître] qu’une philosophie : le soupçon » (Alain Minc).

 
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