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Lire : 100 ans de journalisme. Une histoire du Syndicat national des journalistes (1918-2018), de Christian Delporte

par Jean Pérès, Maxime Friot,

À l’occasion du centenaire de la création du SNJ, qui est célébré cette année par diverses manifestations, l’historien des médias Christian Delporte [1] publie 100 ans de journalisme. Une histoire du Syndicat national des journalistes (1918-2018) aux éditions du Nouveau Monde. Réalisé en partenariat avec le SNJ, l’ouvrage a fait l’objet d’une fort belle édition en papier glacé [2], abondamment illustrée de photos d’archives et dessins humoristiques. Christian Delporte entremêle l’histoire du Syndicat national des journalistes (Syndicat des journalistes jusqu’en 1928) avec celle du journalisme, et retrace les combats menés par le syndicat : celui pour faire reconnaître le journalisme comme profession (statut, carte professionnelle), et celui, inlassable, pour l’amélioration des conditions de travail.

L’ouvrage est organisé par sujets associés à la chronologie, ce qui permet une lecture facile et instructive. Loin d’en résumer la richesse, les aperçus qui suivent se contentent d’en souligner quelques aspects.



« Un journaliste digne de ce nom »

Créé le 10 mars 1918, le SNJ fut un des premiers syndicats issus de la loi de 1884 sur les syndicats professionnels. Suscité, selon l’auteur, par l’industrialisation de la presse du début du vingtième siècle et par le discrédit qui frappe la profession de journaliste au sortir de la guerre [3], il s’envisage dans un premier temps comme une sorte d’ordre professionnel, insistant sur les devoirs des journalistes plus que sur leurs droits : « Pour lui, les devoirs individuels précèdent les droits collectifs : la conformité aux premiers justifie les seconds » [4].

D’où la déclaration du syndicat du 12 juillet 1918 : « Un journaliste digne de ce nom », indiquant des devoirs qu’il doit remplir. « Le texte, qui comporte dix points, présente une série de principes de conduite individuelle qui reposent sur la responsabilité, la probité, la loyauté et la soumission aux pairs dans les affaires d’honneur. » [5] ; par exemple, [un journaliste digne de ce nom] « ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées », ou encore « ne commet aucun plagiat ». Première charte avant la lettre des journalistes en Europe, elle est révisée et complétée en 1938 puis en 2011, date à laquelle elle devient « Charte d’éthique professionnelle des journalistes ». Ses principaux énoncés ont traversé le siècle sans changement notable.

C’est sous la houlette de Georges Bourdon, figure tutélaire du SNJ, que s’instaure par la suite, à partir des années trente, dans le récit circonstancié de Christian Delporte, la reconnaissance professionnelle des journalistes et leur statut de salariés. Diverses dispositions favorables aux journalistes sont acquises par des accords collectifs avec les patrons de presse, dispositions qui structurent progressivement leur statut salarial : droit au repos compensateur, caisses de retraites, hausse des salaires, droit à l’abattement fiscal de 30 %, au demi-tarif dans les trains.

Mais face à l’intransigeance patronale, c’est la loi du 29 mars 1935 qui cristallisera ces acquis et les complètera dans un véritable statut de la profession : « Le statut est un immense bond en avant, et les journalistes, longtemps oubliés par le droit social, bénéficient désormais d’avantages exemplaires au regard de la société française » [6].

Ainsi est créée la Commission de la carte de presse qui désigne les journalistes professionnels ; la clause de conscience est reconnue ; les congés payés annuels passent à un mois (en 1936, les autres travailleurs n’obtiendront que deux semaines !) et en 1937, une première convention collective est signée. C’est l’heure de gloire du SNJ : « En mars 1938, les vingt ans du syndicat sont fêtés en grande pompe au pavillon Dauphine du bois de Boulogne, en présence du président Albert Lebrun » [7]. En 1949, le statut est accordé aux journalistes de la radio et de la télévision, mais il faudra attendre 1974 pour qu’il soit accordé aux pigistes.


Un SNJ indépendant

La question de l’indépendance est constante dans l’histoire du SNJ. Dès le début se pose la question des rapports avec la CGT et son syndicat du livre, dont certains membres du SNJ envient l’efficacité dans les négociations. L’adhésion du SNJ à la CGT est même mise aux voix à plusieurs reprises au cours de son histoire, et à chaque fois repoussée, souvent de peu. En 1937, en plein Front populaire, les membres du SNJ favorables à l’adhésion, bien que minoritaires, fondent le SNJ-CGT (tout en restant au SNJ qui acceptait la double appartenance). À la fin de la guerre (1944), Eugène Morel, figure historique du SNJ, reconstitue le SNJ-CGT qui est rejoint en 1946 par les membres du SNJ d’avant-guerre. Pas pour longtemps : en 1948, année où la CGT se scinde en CGT et CGT-FO qui reproche à la CGT sa soumission au Parti communiste, le SNJ reprend son indépendance. Bien que majoritaire dans la profession, le SNJ, conscient, selon Christian Delporte, d’être de trop peu de poids pour les grandes négociations, se rapproche alors d’autres syndicats indépendants qui formeront d’abord un groupement, le G10, puis, avec les divers syndicats Sud (issus, quant à eux, d’une scission de la Cfdt), l’Union syndicale solidaires, dont le SNJ fait toujours partie.


Quelques enjeux sensibles

100 ans de journalisme est aussi l’occasion pour l’historien de se focaliser sur certains enjeux au cours desquels le SNJ est intervenu avec vigueur pour défendre les intérêts des journalistes. Par exemple celui des « relations entre les reporters et la police » :

Les tensions sont particulièrement vives au moment des manifestations violentes des ligues, au début des années 1930. Les journalistes envoyés sur le terrain sont régulièrement bousculés par les forces de l’ordre. Lors de l’émeute du 6 février 1934, plusieurs photographes, cinéastes, reporters sont victimes de violences policières : l’un deux, Jean Vertex, gravement blessé, perd un œil. Le SNJ s’indigne, exige réparation et, symboliquement, crée fin 1934 un « prix Vertex » pour les journalistes victimes dans leur travail de la violence des forces de l’ordre. (pp. 39-40)

Une photographie – éloquente – de 1980 vient illustrer la récurrence de ce phénomène :

Le 11 juin, les journalistes décident de marquer leur indignation [contre les violences policières à leur encontre - ndlr] de manière spectaculaire. Dans la cour de l’Elysée, 52 photographes forment une double haie à la sortie du conseil des ministres. Bras croisés, ils ont symboliquement déposé leurs appareils au sol. (pp. 103-104)

Christian Delporte revient également sur certains moments conflictuels, comme en mai 1968, où de nombreux journalistes de l’ORTF font grève… et sont l’objet de représailles : « 31 journalistes de l’actualité télévisée et 22 de leurs confrères de l’actualité parlée sont licenciés. Plusieurs journalistes sont mis en “congé spécial” ou à la retraite. Une trentaine de pigistes sont interdits de séjour à l’ORTF » [8].

Sont aussi évoqués : la concentration des médias, la réforme de l’audiovisuel public, le secret des sources, et bien d’autres sujets, comme, par exemple, celui de la déontologie :

Les dérives du journalisme embarqué que révèle la première guerre du Golfe (1990-1991), la cascade des « dérapages » qui suivent et portent atteinte à l’image de la profession (de la fausse interview de Castro à la couverture des violences à Vaulx-en-Velin) confortent le syndicat dans sa volonté de consolider les règles collectives. […] Lors de son congrès de mars 2011, [le SNJ] adopte une version actualisée de la charte de 1918, déjà révisée en 1938. Le syndicat étoffe le texte, ajoutant notamment un long préambule de principes généraux, où il est notamment souligné que « la sécurité matérielle et morale est la base de l’indépendance du journaliste ».

Et Christian Delporte d’ajouter : « Ainsi, à l’avant-dernier article qui mentionnait qu’un “journaliste digne de ce nom […] garde le secret professionnel”, le SNJ ajoute : “Et protège les sources de ses informations” ; un enjeu particulièrement sensible aujourd’hui. » [9]


Maxime Friot et Jean Pérès

 
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Notes

[1Directeur de la revue Le temps des médias, Christian Delporte a notamment co-écrit avec Fabrice d’Almeida Histoire des médias en France, de la grande guerre à nos jours publié par Flammarion en 2010.

[2Format 32 × 24, 160 pages, 29 euros.

[3La grande majorité des journaux avaient accompagné avec zèle la propagande de guerre et la censure.

[4p. 20.

[5p. 28.

[6p. 54.

[7p. 59.

[8p. 95.

[9pp. 141-142.

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