Accueil > Critiques > (...) > Nouveau gouvernement, nouvelles mobilisations (2012-2017)

Lettre ouverte aux professionnels de l’information (CGT Cheminots)

Nous publions ci-dessous une lettre ouverte de Gilbert Garrel, Secrétaire Général de la Fédération CGT des cheminots, adressée aux professionnels de l’information. L’auteur revient notamment sur le lamentable traitement médiatique de la récente grève à la SNCF, sur lequel nous avons également eu l’occasion de nous exprimer (Acrimed).

Montreuil, le 30 juin 2014

Mesdames, Messieurs,

Un mouvement social très fortement médiatisé a eu lieu à la SNCF en ce mois de juin 2014. Cette action de grève reconductible a subi une couverture journalistique par l’ensemble des organes de presse qui me conduise très modestement à vous faire cette adresse qui sera ouverte à la population cheminote.

Nous avons eu l’impression que cette grève surprenait tout le monde. Je me dois donc de rappeler un processus. Depuis novembre 2011, les syndicats de notre Fédération ont lancé, sur l’ensemble du territoire, des « Etats Généraux du Service Public SNCF ». Ces initiatives qui ont associé les usagers, les élus locaux, les directions territoriales de la SNCF et de RFF ont reçu un accueil intéressant des presses locales. Cet engagement militant a permis de faire émerger la nécessité d’une réforme de notre système ferroviaire public pour répondre aux besoins de la Nation sur les plans économique, social et environnemental.

Lorsque le gouvernement Ayrault fut mis en place au printemps 2012, les organisations syndicales ont interpelé unitairement le nouveau Ministre Délégué aux Transports. Ce dernier a profité de la célébration des 75 ans de la SNCF, en octobre 2012, pour faire un discours volontariste préfigurant la construction d’une réforme allant dans le sens de nos attentes. La CGT a donné une appréciation positive de ce discours, avec un bémol, les questions de la dette et du financement du réseau n’étaient pas abordées et il était très orienté transport de voyageurs alors que le report modal du transport de marchandises de la route vers des modes alternatifs et plus propres dans le cadre d’un service d’intérêt général aurait dû trouver une place importante au regard des enjeux.

Le gouvernement a ensuite engagé un travail d’élaboration d’un projet de loi sous la responsabilité d’un ancien Ministre, Jean-Louis Bianco. La CGT, comme les autres organisations syndicales, s’est impliquée dans ce travail. La CGT a même bâti un projet complet, « la voie du service public SNCF », intégrant quatre volets : la structuration, le traitement financier de la réforme, les questions sociales et le fret, tout en prenant garde d’être en conformité avec la réglementation française et européenne, ce qui lui donnait toute légitimité dans le débat.

Lorsque les grandes lignes du projet de loi gouvernemental furent connues, les quatre organisations syndicales représentatives à la SNCF ont fait valoir la déception et le mécontentement des cheminots par une action de grève le 13 juin 2013. En effet, nous étions très éloignés des annonces faites un an plus tôt. Cette action fut très suivie et déjà la Direction de la SNCF publiait des chiffres de grévistes erronés (34%) alors que plus d’un cheminot sur deux avait cessé le travail.

Le projet de loi fut présenté en conseil des Ministres en octobre 2013. La CFDT, sur des choix politiques qui lui appartiennent, a décidé de sortir de l’unité syndicale. Malgré cela, le 12 décembre 2013, les cheminots étaient une nouvelle fois en grève à l’appel des 3 autres organisations syndicales avec un niveau de participation égal à celui du 13 juin.

C’est à partir de là qu’une plateforme unitaire CGT, UNSA, SUD-Rail fut construite pour porter les exigences des cheminots. L’ensemble des parties prenantes avait connaissance de cette plateforme revendicative.

Le Gouvernement, soucieux de la montée du mécontentement, a reporté à plusieurs reprises l’inscription de ce projet de loi dans l’agenda parlementaire. Puis il a été décidé de l’inscrire dans le cadre d’une procédure d’urgence au mois de juin 2014.

Les organisations syndicales partageant les propositions alternatives ont donc décidé d’une manifestation nationale le 22 mai 2014, et cette mobilisation, qui n’a pas pénalisé les usagers, fut présentée au gouvernement et la Direction de l’entreprise comme un dernier avertissement avant durcissement de l’action faute d’être entendus.

Plus de 20 000 manifestants à Paris le 22 mai 2014, chiffre jamais contesté, même par la Préfecture, sur une population de 155 000 salariés. C’est énorme, et pourtant, ce fut le black-out médiatique. Pas un mot n’est paru dans la majeure partie des médias sur cette mobilisation qui était pourtant précédée d’une conférence de presse.

Pourquoi ? Vous êtes les seuls à connaître la réponse à cette question. Par contre, nul ne pouvait être surpris de la grève qui a suivi.

Puis est venu le temps de l’action où la CGT et SUD-Rail furent lâchées par l’UNSA, déposant seule un préavis pour la semaine suivante. Qui s’est interrogé sur cette stratégie ? Personne à priori.

A l’issue des négociations avec le Secrétaire d’Etat aux Transports, la CGT, qui a tenu toute sa place dans les débats, a livré de façon transparente les propositions faites à ses syndiqués et aux cheminots dans l’action. Au regard de l’écart considérable entre les propositions gouvernementales et le contenu de la plateforme unitaire, il était évident que ce document n’était pas de nature à satisfaire les cheminots en grève. Néanmoins, très peu de journalistes ne se sont demandés pourquoi l’UNSA, cosignataire de la plateforme, se satisfaisait de ce texte.

Pourquoi aucun journaliste n’a signalé que le pacte dit de « modernisation » signé entre le gouvernement, la CFDT et l’UNSA n’avait aucune valeur ? Pourtant, il ne s’agissait pas d’un accord d’entreprise. Mais il ne s’agissait pas non plus d’un accord de fin de conflit puisque les signataires n’étaient pas dans l’appel à la grève.

A partir de ce moment-là, ce fut une déferlante médiatique où les grands organismes de presse se sont désintéressés du fond de cette action pour entrer dans une campagne de stigmatisation et de diffamation envers les cheminots en grève et les organisations syndicales les représentant. Pourquoi ?

Il est utile de rappeler quelques éléments de cette campagne.

Nous avons entendu que 700 000 lycéens étaient en difficulté pour passer l’épreuve du bac. Savez-vous combien de candidats utilisent le train pour se rendre dans les centres d’examen ? A peine 8% selon les sources de l’éducation nationale.

Nous avons entendu et lu qu’à peine 14% (voire moins) des cheminots étaient en grève. Pourtant, le trafic était fortement perturbé et sachez qu’à eux seuls, les contrôleurs et les conducteurs représentent plus que 14% des effectifs, que les ateliers du matériel étaient quasiment tous en grève, que de nombreux chantiers de l’équipement étaient arrêtés, que dans les gares ce sont des agents d’encadrement venus d’autres services ou d’autres sites, et même de filiales de la SNCF, qui assuraient l’accueil, la tenue des guichets et des postes d’aiguillages, etc.

Sachez aussi que les assemblées générales étaient plus conséquentes le lundi 19 juin que la semaine précédente et que la Direction de la SNCF a refusé de donner aux organisations syndicales les chiffres de grévistes, ce qui est une première. Comment se fait-il que des journalistes, des professionnels de l’information, aient relayé ces données ridiculement falsifiées de la Direction de la SNCF sans aucune vérification.

Vous avez communiqué des chiffres de pertes de la SNCF sur les seules annonces faites par son Président, sans aucun contrôle sur ce sujet également, passant d’un jour à l’autre de 80 à 190 Millions d’Euros sans aucune explication. Si vous voulez faire du travail d’investigation, renseignez-vous sur certaines gabegies financières qui ont lieu à la SNCF.

L’association avec IBM sur les systèmes d’information en lien avec le rachat de la logistique d’IBM par GEODIS (filiale de la SNCF), le déménagement du siège de la SNCF à Saint Denis pour créer un campus comme la DB et les locaux de Mouchotte vidés puis réoccupés par des services de la SNCF car non vendus, pour ne citer que ces deux exemples, qui ont coûté énormément plus que la grève avec la bénédiction de l’Etat, et surtout sans aucun commentaire journalistique.

Vous êtes allés jusqu’à citer les problèmes de certains agriculteurs ou industriels pour acheminer leurs produits, alors que la SNCF les rejette tous les jours vers la route ou vers des opérateurs privés et ses filiales (eux n’étaient pas en grève) pour se débarrasser de l’activité Fret dans l’EPIC SNCF.

Mesdames, Messieurs, pourquoi, à partir du dimanche 15 juin avez-vous basculé à l’unisson dans la désinformation et les attaques au niveau du caniveau pour salir l’image des cheminots inscrits dans cette action de grève comme celle des organisations syndicales les représentant, et surtout la CGT ?

Pourquoi vous êtes-vous lancés dans une campagne de ragots, de rumeurs et calomnies pour détourner le public du sujet de fond. Nous avons tout lu et entendu.

Des divergences seraient nées entre la CGT confédérale et la Fédération des Cheminots. Sur quelles bases pouvez-vous affirmer cela ? Aucune, si ce n’est l’interprétation ou la manipulation de propos sortis de leur contexte.

Vous avez prétendu que la Direction Fédérale serait dépassée par sa base ? Je peux vous affirmer que, pour un dirigeant de la CGT, voir et vérifier une telle cohésion avec les militants et les syndiqués est un vrai bonheur dont nul ne pourra me priver.

Certains d’entre vous sont même allés jusqu’à faire de la politique-fiction pour lancer quelques suspicions, essayant certainement de semer le trouble au sein de notre organisation. Mais sachez que lorsqu’on travaille de manière démocratique en associant l’ensemble du corps militant à l’information et aux décisions, rien ne peut nous ébranler.

Pourquoi avez-vous été si gentils avec les « bonnets rouges » qui ont réalisé des exactions importantes dans la quasi-indifférence alors que lorsque des cheminots faisaient brûler deux palettes sur un piquet de grève, ce non-évènement prenait des proportions incroyables ? L’Etat verse à ce jour 800 millions d’Euros par an au consortium Eco-Mouv alors que l’Eco Taxe Poids Lourds n’existe pas, et personne ne s’en offusque. Il faut dire que des grosses entreprises en profitent, comme la SNCF qui a des parts dans cette affaire.

Pourquoi ne pas dire, comme nous le réclamions, qu’il y aurait eu possibilité de retarder l’examen du projet de loi et prolonger la discussion à partir de nos propositions ? Mais le gouvernement a préféré différé l’examen d’une loi en cours sur la famille pour passer en urgence la loi portant réforme du système ferroviaire. Aucun commentaire sur cette stratégie. Faisons, nous aussi, de la politique fiction. Le Président de la République et son Premier Ministre préfèrent-ils sanctionner les cheminots qui ont pourtant contribué à leur élection plutôt que d’affronter les forces réactionnaires de ce pays contre le mariage pour tous, l’avortement, la PMA ou l’ABCD de l’égalité ?

Mesdames, Messieurs, nous pouvons ne pas être d’accord et un dossier comme celui-ci mérite débats et controverses. Mais il est scandaleux de voir comment il a été traité. C’est la démocratie qui est en danger par de telles attitudes.

Le projet de loi gouvernemental vise à détruire un grand service public national en déstructurant une grande entreprise publique, c’est un élément qu’il fallait mettre en débat. Comme pour la réforme pénitentiaire en cours de discussion ou la réforme des rythmes scolaires avec ses conséquences sur le budget des municipalités pour les activités périscolaires, celle du système ferroviaire n’est pas financée et la France entière va en subir d’énormes préjudices, voilà un sujet qui méritait d’être porté à la réflexion.
Mesdames et Messieurs, ce sont des éléments que je tenais à vous soumettre à la sortie de cet épisode social qui a marqué notre pays. Il est important de mesurer que, sans la mobilisation des cheminots, cette loi structurante pour la France, aurait pu passer en catimini à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Nous avons au moins le mérite d’avoir fait en sorte que plus personne n’ignore les faits.

Sachez que le vote de cette loi n’est qu’un début de notre combat, sa mise en oeuvre et ses conséquences sociales et sociétales seront une autre phase. Les cheminots, avec la CGT et certainement d’autres organisations, seront toujours là pour combattre les choix politiques contraires à l’intérêt de la population et des salariés.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire. Vous êtes autorisés à publier totalement ou partiellement le contenu de ce texte.

Je vous prie d’agréer mes salutations les plus respectueuses.

Gilbert Garrel
Secrétaire Général
Fédération CGT des cheminots.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une