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TRIBUNE

Les médias et le sida : espoirs en France, boycott aux Etats-Unis ?

par David Larousserie,

Nous publions ici une tribune que nous a envoyée un correspondant sur un « dommage collatéral » plutôt lamentable de la francophobie de nombre de médias américains (Acrimed).

A l’ère des communications instantanées, quel temps faut-il à une information pour franchir l’Atlantique ? Une éternité ! Par exemple, les médias américains n’ont guère relayé l’information largement commentée chez nous la semaine dernière : la découverte d’un vaccin thérapeutique prometteur contre le sida (Le Monde, Libé, Le Figaro...). Pour l’annoncer, les chercheurs français s’étaient même déplacés en terres hostiles, à Boston, lors du 10e congrès sur les rétrovirus et les maladies opportunes (AFP, 12/02/03 13h51). Mais de "la bonne nouvelle du congrès" (Libé 13/02/2003) qu’ils apportaient, nulle trace chez nos alliés.

Pourtant rien ne laissait présager un tel mutisme. Le jour où les Français exposaient leurs travaux à la conférence, l’agence Associated Press titrait : "Promising New AIDS Drugs on the Horizon". Hélas, seule une molécule américaine parmi les seize "dans le tuyau" avait retenu l’attention de l’agence. Le même jour, le Washington Post évoquait les études sur la possibilité d’arrêt des tri-thérapies. En plein dans le mille, car les équipes de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) démontrent justement que leurs patients ont cessé pendant plusieurs mois leur lourd traitement. Pas de chance encore, l’article oublie cette étude et en cite d’autres, en Thaïlande, en Espagne et, bien sûr, aux Etats-Unis. Suprême affront, AP évoque également une campagne d’essais en Ouganda.

Puis le désintérêt poursuit nos chercheurs. En même temps qu’eux, à la conférence, un chercheur de Boston annonce... un échec d’essais menés sur trois singes. Entre la réussite des "singes capitulards amateurs de fromage", comme la Natural Review a qualifié les Français à propos de la crise irakienne, et l’échec des trois macaques américains, les médias ont donc choisi l’échec (CNN, 12/02/2003).

Le lendemain, c’est le « french kiss » qui est fatal aux « french doctors » : des Allemands révèlent que les amoureux s’embrassent la tête penchée à droite plutôt qu’à gauche. Les dépêches pleuvent.
Vendredi, ça y est. Enfin, le Washington Post titre "Virus May Block HIV’s Destructive Power". Méprise, il s’agit toujours de travaux américains repris également par le New York Times et USA Today. A part ça, l’Amérique à la tête ailleurs : trois malades après vaccination contre la variole.

Le week-end passe et nouvel espoir... toujours pas français ! Une ex-start-up de biotechnologie alliée à la compagnie GlaxoSmithKline annonce des essais prometteurs. Notre bonne vieille ANRS ne pouvait pas lutter.

Heureusement, les Français sont débrouillards. Ils jettent dans la bataille leur dernier fleuron pharmaceutique, Aventis-Pasteur et, surtout... des enfants ! En effet, la nouvelle est bien sortie, cachée à la fin d’une dépêche du mercredi 12 : "Experimental AIDS Vaccine Safe for Babies" (Reuters). Il fallait la trouver ! Mais pas de quoi fanfaronner, car le premier essai mis en avant (celui sur les enfants) a été effectué aux Etats-Unis. Car le seul chercheur interviewé est américain. Car la mention des fameux essais sur adultes tient sur les cinq dernières lignes. Et car l’article ne retient qu’une des deux études les plus prometteuses...

Evidemment, un tel exemple interpelle. Les Français savent-ils parler anglais (et réciproquement ) ? Les jugements scientifiques sont-ils à ce point nationalisés que des pages ici ne fassent que quelques lignes là ? Pourquoi les médias français n’ont-ils pas évoqué les autres recherches exposées à Boston ? La diffusion des progrès médicaux est-elle à ce point contrôlée par les communiqués de presse ?
Et en ces temps tourmentés, les Américains n’auraient-ils pas poussé leur francophobie, développée sur le front irakien, au point de boycotter les chercheurs français sur le front du sida ?

David Larousserie

 
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