Accueil > Critiques > (...) > Que sont les journalistes ? Où va le journalisme ?

Les journalistes sont-ils appelés à disparaître ?

par Lorenzo Soccavo,

Le potentiel des nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’appropriation des outils de diffusion par le citoyen lambda mettent en place les conditions d’une mutation de la profession de journaliste. A toutes les époques, des métiers apparaissent. D’autres disparaissent.

Zélateurs ou détracteurs de Bourdieu, une chose est sûre, il est de ceux qui auront dénoncé les effets produits par le développement de la télévision dans le champ journalistique. Penser aujourd’hui qu’Internet n’en aura que de moindres ou qui ne prêteront guère à conséquences serait d’une incurie abyssale !

Le journalisme que nous connaissons aujourd’hui s’est forgé au 19ème siècle. Mis à mal durant le 20ème, il ne peut passer le 21ème et la révolution numérique sans se réformer en profondeur.

Le darwinisme à l’œuvre

Dans son avant-propos à Sur la télévision (Liber éditions, 1996) Pierre Bourdieu, souhaitant sans illusion que ses analyses ne soient pas interprétées seulement comme des critiques contre les journalistes, espérait que « ce qui aurait pu devenir un extraordinaire instrument de démocratie directe ne se convertisse pas en instrument d’oppression symbolique. »

Internet, et plus spécifiquement l’Internet de nouvelle génération, celle de l’open source et des weblogs, est en train de réaliser cette utopie de démocratie participative que son aïeule n’avait pas les capacités d’atteindre.

Depuis quelques années, à chaque spasme de l’actualité, la critique des médias de masse enfle et, dans les mois qui suivent, les mécanismes de fabrique de l’information sont mis à nu et lapidés. Tout le monde en connaît les raisons : course au scoop et à l’audimat, influence des annonceurs et pressions économiques et cetera. La question lancinante en filigrane est la suivante : les journalistes sont-ils devenus des commerçants de l’information ?

Contributif, l’Internet de nouvelle génération qui s’installe de paire à une e-citoyenneté de faits, présente d’ores et déjà toutes les caractéristiques d’un nouveau média. Média de flux et non plus de masse. Média participatif et formateur du libre-arbitre.

Le téléwebbing - approfondir le JT en surfant sur le Net à la recherche d’infos complémentaires - et le développement du phénomène des weblogs, véritables journaux on line réalisés par des passionnés, non-professionnels souvent compétents, annoncent, en court-circuitant la chaîne ordinaire journaliste-éditeur-annonceur, l’avènement d’un autre journalisme.
Les médias coutumiers sont porteurs de leur vieillissement. Mais leur andropause n’est que plus évidente, face à la mutation des télécommunications, la convergence des technologies basées sur la numérisation et l’émancipation des nègres (de la presse et de l’édition).

Les accords sur la modernisation passés au siècle dernier font aujourd’hui l’effet de cataplasmes sur une jambe de bois ! Pour combien de temps le journalisme se fait-il encore au sein des médias ?

Une profession précarisée

D’un côté la profession s’ouvre. Pour l’année 2001 la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) en a renouvelée 1 478 de plus que l’année précédente (soit un total de 33 754), dont 501 premières demandes supplémentaires. Mais ces chiffres sont trompeurs. Pas tant à cause de l’effet des 35 heures, mais du fait d’un recours massif à des pigistes abusivement réglés en droits d’auteur et rarement encartés. Journalistes Kleenex jetables du jour au lendemain sans indemnité de licenciement et sans indemnisation Assedic. Autant de pratiques illégales qui aggravent la précarisation galopante de la profession.

Cette précarité a trois causes. La première est la politique à court terme des dirigeants. La seconde, l’afflux de vocations se précipitant sur ce mirage du journalisme "à la pige". Puis craignant d’en dénoncer les règles de crainte de ne plus travailler. La troisième, plus amusante mais tout aussi grave, vient du fait que tout comme il est délicat d’aller porter plainte au commissariat après une bavure policière, il n’est pas aisé de dénoncer dans les médias les irrégularités des médias.

Dans un premier temps, de plus en plus de personnes sont entrées dans le cadre de l’article L. 761-2 du Code du travail, lequel définit le statut de journaliste professionnel : "… celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications…"

Dans un second temps, celui que nous traversons, l’émergence de nouveaux moyens de communication, d’une part, une profession affaiblie et critiquée, d’autre part, trahissent une crise de croissance inévitable. Le troisième temps sonnera-t-il la fin des journalistes ?

Pas forcément. Si Internet crée peu d’emplois, il génère des activités autonomes pour lesquelles le salariat ne sera pas forcément à terme une formule adaptée, mais qui, elles, pourront peut-être s’adapter aux nouveaux modes de fabrique et de consommation de l’information.

De plus en plus de blogueurs sont, par ailleurs pourrait-on dire, journalistes professionnels au sens de la loi. En se saisissant des moyens de production et de diffusion de l’information, ils échappent aux contraintes et aux pressions économiques qui s’exercent sur les médias qui les rémunèrent. Un schisme se produit. Soutiers et pisseurs de copies vont de plus en plus autopublier en ligne une information indépendante. Une information parfois subjective, mais parfois plus proche de l’objectivité légendaire, et souvent plus riche, à la fois de sentiments humains et des apports documentaires et interactifs du multimédia.

La fin des privilèges

A l’aube du siècle, en l’an 2000, dans son ouvrage www.capitalisme.fr (Grasset éd.), Alain Minc dissertait sur ces exigences nouvelles que sont la governance et l’accountability made in USA. En français nous traduirons ces valeurs par gouvernance, dans le sens de gestion de l’organisation, ou bien d’art de la régulation, et accountability par responsabilité, dans le sens d’implication consciente. « Le monde des médias, écrivait-il déjà, est à son tour touché par ces deux virus. Ils servent de prétextes pour attaquer de front, pour la première fois, l’impunité et la bonne conscience de la classe journalistique. ».

La traçabilité et la transparence de l’info sur la Toile, du moins pour les experts, l’émancipation vis-à-vis des censures économiques et des contraintes salariales, tendent à la rupture. « Encore balbutiante, la démarche, prédisait Minc, ne cessera de se renforcer, au point de faire craquer, un jour, la solidarité corporative des journalistes. »

Depuis cette prophétie le bateau prend l’eau. Certains, à l’instar de Dick Morris, ancien conseiller en communication de Clinton, n’hésitent pas à instituer les internautes 5ème pouvoir (in vote.com, Plon éd., 2002). Certes, cela n’est pas sans danger.

En jetant dans le même sac politiciens et journalistes, ils oublient que ces derniers qui gèrent les flux d’informations ne sont a priori ni des censeurs ni des prescripteurs. Ils sont censés vérifier l’information, exercer une compétence particulière acquise par l’exercice régulier d’une pratique professionnelle fondée, malgré tout, sur l’honnêteté, et qui a pour nom "l’objectivité". Et qu’ils sont censés aussi respecter une charte déontologique (Charte de Munich, 1971).

Internet peut être une machine à désinformation et favoriser énormément, nous l’avons déjà vu, la propagation des rumeurs. L’explosion "d’informations alternatives" sur la Toile va très vite rendre indispensable de nouveaux processus de vérification et de validation, étapes qui seront entre les mains d’experts des NTIC. Dans ce contexte, les webreporters auront un rôle déterminant. Les cyberdocumentalistes et les cyberarchivistes aussi, confrontés à l’immatérialité et à la volatilité de données pas vraiment plus fiables que des témoignages humains.

Ce journalisme de demain, c’est aujourd’hui qu’il faut le bâtir.

Lorenzo Soccavo

 
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