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Les études de sociologie dénigrées dans le JT de France 2

Nous publions ci-dessous une lettre de protestation adressée conjointement par l’Association française de sociologie (AFS), [l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES) [1] et l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES), à Thierry Thuillier, directeur de l’information de France 2. Elle est précédée de la vidéo du reportage litigieux. (Acrimed)

Paris, le 30 septembre 2013

À l’attention de M. Thierry Thuillier, directeur de l’information de France 2

Objet : protestation et demande d’explications

Monsieur Thuillier,

Au cours du journal de 20 heures diffusé sur France 2, le jeudi 26 septembre 2013, un reportage a été consacré aux écoles d’entreprises. À l’issue de cette présentation, sur le plateau, un journaliste, M. Jean-Paul Chapel, a apporté des éléments complémentaires.

Je vous retransmets ci-dessous l’intégralité de l’échange avec le présentateur M. David Pujadas.


- David Pujadas : Bonsoir Jean-Paul Chapel. Cette école n’est pas un cas unique. Il y en a de plus en plus.

- Jean-Paul Chapel : De plus en plus d’entreprises créent leur propre école ou campus : Volkswagen, Veolia, Airbus ou encore Banette, Système U, Speedy pour ne citer qu’elles. Chacune forme une centaine de personnes en moyenne chaque année. Des diplômes reconnus par l’État ou par la branche professionnelle. Attention : là, on ne parle pas de formation continue pour les salariés mais bien d’étudiants qui, une fois diplômés, sont en général recrutés par l’entreprise.

- David Pujadas : Pourquoi ces créations ?

- Jean-Paul Chapel : Regardez ce chiffre : 120.000 postes non pourvus selon Pôle Emploi. Du coup, les entreprises forment elles-mêmes des jeunes, que l’enseignement public ne forme pas. Soit parce que les métiers sont de plus en plus techniques. Soit parce que certains métiers rebutent, la boucherie par exemple. Mais aussi à cause d’une mauvaise orientation : des bataillons de bacheliers choisissent la psycho ou la sociologie, sans grands débouchés. Enfin, pour l’entreprise, il y a un avantage à assurer une formation "sur-mesure" : un diplômé plus fidèle, voire plus docile, qu’on peut juger sur ses compétences mais aussi sur son comportement.

En tant que Présidente de l’Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales (APSES), Président de l’Association Française de Sociologie (AFS) et Président de l’Association de Sociologues Enseignant-e-s du Supérieur (ASES), la phrase «  Mais aussi à cause d’une mauvaise orientation : des bataillons de bacheliers choisissent la psycho ou la sociologie, sans grands débouchés  » a retenu toute notre attention. Aussi, nous souhaitons savoir sur quelles sources précises se base votre collaborateur pour tenir de tels propos. Pour être encore plus précis, nous aimerions connaître, la mesure objective et comparée avec d’autres disciplines qui permet d’affirmer qu’il s’agit de « bataillons » et d’autre part, quelle précision donne-t-il à l’expression « sans grands débouchés ».

Vous comprendrez, Monsieur Thuilier, que ce type « d’information » diffusé à une heure de grande écoute peut nuire gravement à l’image de nos formations, au respect de nos personnels et à l’investissement de nos étudiants et de leur famille. Nous considérons que les journalistes, à l’égal des sociologues sur ce point, ont une déontologie, et qu’à ce titre, ils doivent disposer de sources, les vérifier et les citer. On s’étonne par ailleurs qu’une chaîne du service public s’autorise à affirmer le manque de débouchés professionnels de filières universitaires de Sciences humaines et sociales sans la moindre source, pour vanter à l’inverse l’insertion professionnelle de jeunes formés dans des écoles privées, sur la base d’un reportage affirmant que les candidats issus de l’école créée par le groupe Free auront « l’assurance quasi certaine, d’avoir du travail »... alors qu’aucune promotion n’est encore sortie de cette école ! Là encore la rigueur du raisonnement journalistique pose question. C’est pourquoi, nous vous interpellons au nom de notre communauté professionnelle, que nous avons alertée, sur ce que nous considérons comme un dérapage déontologique.

À ce titre, il nous paraîtrait légitime que dans un de vos JT, vos équipes analysent sérieusement ces questions, ce qui amènerait à corriger les propos du 26 septembre. Nos trois associations se tiennent d’ailleurs à leur disposition pour les aider dans cette tâche.

Sincères salutations,

Didier Demazière, Président de l’Association Française de Sociologie

Marjorie Galy, Présidente de l’Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales

Laurent Willemez, Président de l’Association des Sociologues enseignant-e-s du Supérieur.

 
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Notes

[1Lien périmé, février 2015.

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