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Une soirée de l’association Pénombre

Les élections de 2002 dé-chiffrées

La " Grande nuit des élections " organisée en septembre 2002 par l’association Pénombre, visait à faire le " bilan " des élections d’avril-mai-juin 2002 sous l’angle de l’utilisation et du rôle des données chiffrées.

Le compte-rendu de la soirée, publié par Pénombre, témoigne que les 150 participants, invités à " la chasse aux chiffres ", se sont pris au jeu, apportant au débat des dizaines de contributions.

Quelques extraits, d’abord par ordre de nombre croissant, comme lors de cette soirée.

Zéro

Jan Robert Suesser : (...) Lorsque j’ai entendu " 0 SDF ", je me suis dit là, on tient vraiment un chiffre à retenir. Pourtant, à peine apparu, il a déjà disparu. (...) Ensuite " 0 SDF ", et sa doublure, la couverture logement universelle, cela semblait quand même bien au niveau de ce que d’autres ont fait comme refus de la fracture sociale. Et en fait ça n’a pourtant été qu’un slogan lancé sans test directement dans le débat public, et donc retiré vite de l’étalage des bonnes intentions.

Rien

Claudine Padieu : (...) Rien c’est la pauvreté. C’est une des grandes surprises de cette campagne. À part le 0 SDF (mais on ne peut pas dire que ce soit un chiffre, c’est plutôt un non-chiffre), à part le zéro SDF, on n’a vraiment pas parlé de la pauvreté dans cette campagne. (...) Et pourtant les prémisses étaient alléchantes, grâce à la publication, début février, du rapport annuel de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, puis, début mars, de l’enquête " conditions de vie " de l’INSEE.
(...) Ainsi, La Tribune du 8 février titrait-elle : " Le recul du chômage n’a pas réduit la pauvreté ". Mais, deux semaines plus tard, le 21 février : " Le gouvernement assure que la pauvreté recule ".
(...) Ensuite il y a Les Échos, le 8 février, c’était quand le rapport de l’Observatoire de la pauvreté est sorti : " Le ralentissement économique a interrompu le léger recul de la pauvreté ". Vous noterez la manière subtile dont ces choses-là sont dites. Mais Les Échos vont plus loin un mois plus tard, le 4 mars : " Quatre années successives de forte croissance n’ont pas fait reculer la pauvreté ".
Ensuite, il y a Le Monde, plus pédagogique ; et, plus normand aussi. Le 8 février, il expliquait dans un titre : " Plus de 4 millions de personnes demeurent sous le seuil de pauvreté. La reprise économique amorcée en 1997 n’a pas permis de réduire le nombre de foyers disposant de très faibles ressources ". Mais ceci ne l’empêchera pas, le 8 mars, de titrer : " L’INSEE estime que le taux de pauvreté a baissé en 2001 mais relativise ses conclusions ".
Mon préféré est quand même Le Figaro. Le 8 février : " La fracture sociale s’aggrave ", mais le 7 mars : " La pauvreté est en voie de recul ". (...)

Pi (3,14...)

Cyrille van Effenterre : J’ai choisi Pi, parce que pendant la campagne électorale, on a beaucoup parlé du périmètre d’action de l’État. Alors, pour calculer le périmètre, la formule, c’est 2PiR. C’est curieux d’ailleurs, parce qu’on n’a pas beaucoup parlé de la surface de l’État, de son volume, du poids de l’État, mais de son périmètre, comme si l’important, c’était la limite. En fait, la mesure du périmètre, elle ne se fait pas en multipliant Pi par le rayon de l’État, parce que le rayon de l’État n’existe pas. La mesure du périmètre se fait en mesurant le nombre de fonctionnaires. (...) Il y a eu un florilège de perles sur le sujet au cours de la campagne. La meilleure est peut-être celle d’Alain Madelin, qui ressemble un peu à la solution finale, il a dit : " il faut supprimer 200 000 fonctionnaires. " (rires)
J’espère qu’il parlait des postes et pas des agents. (...)

Quinze

Bruno Aubusson : (...) Je viens porter plainte pour usage abusif d’un graphique (lire Insécurité : le " syndrome du trappeur "). (...)

50

Fabienne Vansteenkiste : 50, c’est le chiffre de 50 %, la parfaite égalité et la parité. Or, nous avons pu constater que ce fameux chiffre de 50 %, si on considère le troisième tour des élections, a exactement été respecté par tout un tas de partis qui ne sont pas spécialement suspects de féminisme, je citerai le parti Chasse Pêche Nature et Tradition, ou le M.N.R. et, comme par hasard, ces cinquante % avaient une fâcheuse tendance à fondre au fur et à mesure qu’on s’approchait du pouvoir... (...) Les 50 % sont devenus 30, 33, 35 chez les partis sérieux, ceux qui pensaient arriver à l’Assemblée. Ils ont encore fondu le jour où les dits partis sont arrivés, parce que, hasard des circonscriptions, choix des électeurs qui préfèrent la masculinité, un petit 10 % de femmes sont arrivés à l’Assemblée. Je vais me permettre de parler du tour " moins un ", c’est-à-dire des élections précédentes, qui étaient les municipales, et juste pour rappeler qu’un parti qui a toujours respecté scrupuleusement la parité, et qui fait des féminismes son étendard, qui est les Verts, a eu 33 maires élus dans des villes de plus de 5 000 habitants, que ces 33 maires sont 33 hommes, que si la parité avait été respectée honnêtement, il y avait une chance sur deux puissance 33 que ça arrive (rires), et là, nous nous éloignions énormément du 50, mais nous avions une chance sur 8 milliards pour que ça arrive, et ... c’est ar-ri-vé ! (rires, applaudissements)

Pschit

Un participant : (... ) Si quelqu’un peut m’éclairer pour savoir si Pschit, ça mesure une quantité infiniment petite ou infiniment grande, ça m’intéresse.

François Ernenwein (La Croix) : (...) Pour qu’il y ait des chiffres dans les programmes, il eût fallu qu’il y ait des programmes. (...) Le message politique qui était dans le " 0 SDF " et qui pouvait avoir éventuellement son sens dans cette campagne électorale, s’est complètement perdu dans la réaction qu’il a provoquée, dans le fait de dire " de toute façon c’est une ambition impossible, c’est ridicule de dire ça ". Le commentaire a eu plus d’effet que l’usage du chiffre lui-même. Et cette capacité qu’ont les chiffres bidon de dissoudre l’intention, c’est, à mon avis, un objet de méditation infinie. (applaudissements) (...)


Antoine Reverchon (Le Monde Économie) : Je me demandais si vous aviez fait ces travaux sur d’autres campagnes électorales, si vous aviez vu des évolutions, des aggravations, dans ce type d’usage des chiffres. (...)

Michelle Guillon : (...) L’impression que j’ai quand je réfléchis, sans avoir fait d’analyse, c’est qu’on prend les chiffres de moins en moins au sérieux, et donc qu’ils ne sont pas au centre. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de chiffre dans les campagnes, on en a vu. Le coût des mesures, par exemple, n’est plus du tout au centre des campagnes, parce que ça ne marche pas, parce que les gens n’y croient pas. Alors que je me souviens qu’il y a une vingtaine d’années, dans des débats publics, sous Giscard, les deux candidats et aussi le public prenaient ça au sérieux, et après on avait dans les journaux des discussions pour savoir si les calculs étaient bons ou pas bons. Je veux dire qu’il y avait une espèce de croyance dans les chiffres qui s’est quand même sérieusement atténuée.
(...)

Un participant : Une raison possible pour laquelle moins de chiffres sont avancés réside dans la peur qu’a le candidat de se voir contredit par le futur. Mais j’ai un peu peur, en fait, qu’il ne craigne pas du tout d’être contredit par le futur... C’est un risque qu’ils prennent, et les campagnes ressemblent plutôt à des fuites en avant qu’à des accumulations prudentes de crédibilité. Ce que je pense, c’est qu’un critère explicatif plus pertinent serait le déplacement du débat lui-même : je veux dire que la campagne autrefois consistait à exposer un programme, et le programme, il était exact quand il était chiffré : " oui Monsieur, mon programme est exact parce que je l’ai chiffré ". Aujourd’hui on essaye d’expliquer que le candidat est vieux et usé et ça, ça se chiffre difficilement... Est-il 45 % usé, 70 % usé ? C’est difficile à prouver et cela a peut-être un peu moins de sens. Je pense que le sommet du chiffre c’était la fameuse question qui consistait à demander à un candidat s’il connaissait le prix du ticket de métro. C’est un sommet qu’on ne reverra probablement plus jamais parce que maintenant ils l’apprennent. (...)

Arithmétique du vote protestataire

Françoise Dixmier : (...) Tout a commencé pour moi le 11 mars, sur France Info. J’ai entendu Jean-Michel Blier parler d’un truc que je ne connais pas bien : " les partis de gouvernement ". J’ai vu aussi ailleurs un autre truc étrange : " les partis qui ont vocation à gouverner ". Bon, donc lui, Jean-Michel Blier, il sait ce que sont les " partis de gouvernement ", et, au vu des sondages, il leur donne ce jour-là 60 % d’intentions de vote (en gros, c’est 30 % à droite et 30 % à gauche). Et - je cite JMB -, " le reste se réfugie dans un vote que j’allais qualifier d’inutile, mais en tous cas protestataire ". Donc 100 - 60 = 40 : 40 % de protestataires. C’est à partir de là que j’ai tendu l’oreille et ouvert l’œil, car je n’ai pas tellement aimé cette façon de faire deux paquets : un, les gens raisonnables avec qui on peut discuter, et les autres qu’on semble avoir envie de mettre à la poubelle. Et j’en ai entendu parler, du vote protestataire : celui qui en a peut-être le plus parlé, c’est Pierre Le Marc, qui fait une chronique chaque matin sur France Inter ; et chaque matin, je retrouvais mon vote protestataire, souvent avec des chiffres : le 4 avril, il donne une définition du vote protestataire : " le soutien apporté à des candidats sans discours et sans projet crédible par des citoyens raisonnables ". Et le lendemain, il chiffre : entre 33 et 37,5 %, avec l’addition Arlette Laguiller + Olivier Besancenot + Daniel Gluckstein + Jean-Pierre Chevènement + Jean-Marie Le Pen + Bruno Mégret + Jean Saint-Josse ! Il parle ce jour-là de " déferlante protestataire ". Dix jours plus tard, pour le même Pierre Le Marc, le " courant protestataire ", il l’appelle ainsi, ne rassemble plus que les électeurs de JPC, AL, et JMLP, et l’addition lui donne 30 %. C’est peut-être qu’il a lu une tribune de Daniel et Gabriel Cohn-Bendit, dans Libération, qui, le 4 avril, disaient ceci : " Arlette plus Le Pen auxquels il faut ajouter Chevènement, cela fait 30 %, et cela ne peut que nous interpeller ". Ils ne disaient pas où ça les interpellait, mais sans doute quelque part. Il y a aussi Paris-Match, qui en parle : " Le vote protestataire totalise, entre Le Pen et Arlette Laguiller, plus de 20 % des voix ". Là, il n’y a plus que LP et AL. Alain Duhamel s’y met lui-aussi, sur RTL, le 16 avril : il trouve un quart des électeurs, en additionnant extrême droite et extrême gauche. Il appelle ça le vote " anti-système ", mais, comme il est gentil, Alain Duhamel, il nous rassure en affirmant qu’ " il n’y a en réalité que 3 % de convaincus ". J’arrête là les additions pour dire qu’au fond, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas eu de protestation : dans une élection, quand on ne vote pas pour le sortant - ou les sortants, puisqu’on nous a bien expliqué que là, il y avait deux sortants - donc quand on ne vote pas pour les sortants, on proteste, forcément. Mais je pense que la protestation, ça peut être fécond. En tous cas, elle mérite d’être écoutée, et comprise. Mais, pour cela, il aurait fallu l’analyser, au lieu de la globaliser avec toutes sortes d’additions. (...)

Je rajoute une dernière question : pensez-vous que dans des cas de sondages divergents, cela peut avoir un sens de faire une moyenne des résultats obtenus ? Je vous donne un exemple : dans Le Monde du 18 avril, j’ai lu que : " Jean-Marie Le Pen recueille désormais 12,3 % des intentions de vote, si l’on fait la moyenne des 5 enquêtes réalisées depuis le 10 avril ". Les enquêtes en question donnaient de 9,5 % pour l’IFOP à 14 % pour BVA... Est-ce que ça voulait dire quelque chose d’en faire un 12,3 % le 18 avril ? (...)

Et j’ai un dernier chapitre qui serait tout le monde peut se tromper. Dans un article du 20-21 avril, le week-end du premier tour, Libération essaie d’analyser les abstentions. Et explique comme il est difficile de comprendre quoi que ce soit à cette élection, car " depuis 1995, près du quart du corps électoral a changé ". Diable, un quart en sept ans, c’est vraiment beaucoup, on est vite poussé dans la tombe, ça nous fait une espérance de vie à 18 ans bien courte... Donc je lis l’explication, il y en a une, et elle est très carrée : en sept ans, un peu moins de 5 millions d’électeurs sont morts, donc à peu près 1/8ème de l’électorat. Et pendant ce temps, un nombre à peu près équivalent de jeunes ont atteint 18 ans, donc 1/8ème à nouveau. Et 1/8 +1/8, il n’y a pas de doute, ça fait 1/4. Mais ce que la journaliste n’a pas remarqué, c’est que le 1/8ème de jeunes avait simplement remplacé le 1/8ème de morts, et qu’il n’y avait qu’1/8ème du corps électoral qui avait changé... Dieu merci ! Je n’ai pas surveillé Libé pour voir s’il y avait eu une rectif, parce que c’est vrai qu’ils ont le droit de se tromper, quand même.

J’ai encore deux petites histoires à vous raconter, dans la série tout le monde peut se tromper, mais parfois je trouve que ça fait un peu mal quand même... Ça se passe entre les deux tours de la présidentielle. Vous vous souvenez sûrement de ces quinze jours étranges, même carrément inquiétants, je trouve. Il n’y avait presque pas de sondages, mais il y a eu quelques chiffres quand même... Quelques jours avant le second tour, Jean-Marie Le Pen a tenu un meeting à Marseille. Et le lendemain matin, France Inter raconte : " Jean-Marie Le Pen n’a rassemblé que 3 000 personnes dans une salle qui pouvait en contenir 6 000 ", et, presque dans le même souffle, trois secondes plus tard : " la salle était vide aux deux tiers "... Quand même, je pense que ce journaliste était pétri de bonnes intentions, mais moi, ça m’a fait mal. C’est comme ce fameux " s’abstenir, c’est donner une demi-voix à Le Pen ", qu’on a entendu ici ou là. Moi, je l’ai entendu plusieurs fois : à France Inter, le matin du 1er mai, mais aussi sur Europe 1, dans la bouche de Catherine Nay, le 29 avril. Elle disait : " chaque voix qui se réfugie dans l’abstention, le vote blanc ou nul, se traduit par une demi-voix de plus pour Jean-Marie Le Pen ". Je ne dis pas que c’est aussi simple à comprendre que mes 3 000, mes 6 000 et mes 2/3, mais il n’est pas besoin d’être journaliste scientifique pour comprendre que non, ce n’est pas la même chose, sauf si on envisage que les deux candidats sont à 50-50, et ce n’est manifestement pas ce qu’elle souhaitait, Catherine Nay, c’était clair. Donc non, ce n’est pas pareil. Moi, je trouve que dans certains cas, les erreurs, même si elles sont pleines de bonnes intentions, c’est vraiment dommage pour le débat électoral. (...)

François Ernenwein (La Croix) : (...) C’est maintenant devenu un secret de Polichinelle. En fait, les sondages sont beaucoup plus qu’un instrument d’investigation pour connaître l’opinion. Ils sont un instrument de communication pour les titres, dans la mesure où, si on fait la chaîne ou l’histoire d’un sondage dans les journaux, ça donne la chose suivante : un journal publie un sondage, et donc là, il y a intérêt à ce qu’on ne soit pas dans les fourchettes pour que ça traduise quelque chose. Si on est dans les incertitudes, le sondage n’a pas d’intérêt. Il faut qu’il tranche une question. Un sondage doit trancher une question de société, et pas seulement politique, parce qu’il ne faudrait pas croire que l’usage des sondages soit réservé au champ politique. En fait les sondages qui marchent le mieux aujourd’hui, c’est " 60 % des femmes pensent que " ou " 30 % des hommes...", sur le jardinage ou n’importe quoi... L’usage n’est pas politique. Une fois donc que le sondage est publié dans un journal, quand ça concerne une question de société ou des pronostics électoraux ou des évaluations de rapports de force électoraux, c’est à peu près la certitude que le journal va être cité par tous les autres journaux, qu’il parle des élections, du jardinage ou de la cuisine. Et donc, c’est la boule de neige... Mais effectivement, la lucidité des journalistes est assez grande sur la valeur scientifique ou la pertinence des sondages. Je rappelle quand même que les journaux, ce ne sont pas seulement des œuvres intellectuelles mais ce sont aussi des entreprises, avec des budgets et des comptes, et que maintenant, le sondage est devenu d’usage courant comme instrument de communication.

(...)

J. Goffredo : Mais quelle est la précision d’un sondage ?

F. Dixmier : Ça dépend... du vent...

A. T. : Il est beaucoup plus difficile quand vous vous trouvez dans une situation 50-50 d’avoir quelque chose de fiable, que quand vous êtes dans une situation 20-80.

J. G. : Mais quand on nous dit 16,5 est-ce qu’on a le droit d’indiquer le " ,5 " ?

J.-R. B. : Non sûrement pas !

A. T : Sur 1 000 interviews quand vous êtes à 50-50, c’est ± 3, donc quand on vous dit 49 % contre 51 % sur un sondage de 1 000 personnes, ça ne veut rien dire.

J.-R. B. : Les 16,5 %, si j’ai bien compris ce qui nous a été dit jusqu’à maintenant, doivent être interprétés comme : vous avez une chance sur vingt de vous tromper si vous dites que c’est entre 13,5 et 19,5.

A. T. : Voilà.

J.-R. B. : Ça relativise un peu, et ça n’est plus très consommable en matière journalistique.

R. Padieu : En faisant la moyenne de trois, cela devient plus solide (rires).

Un participant : Je n’ai jamais été sondé, et je voudrais savoir comment ça se passe. (...)

A.T. : Selon les instituts, ce n’est pas toujours la même méthode. Il y a de très nombreuses méthodes... Aujourd’hui on fait beaucoup de sondages par téléphone, alors qu’il y a une dizaine d’années on n’en faisait pas. (...) On devrait déjà en effet se poser une première question, au niveau du recueil de l’information : quand vous avez 16 candidats, et que l’enquêteur au téléphone lit la liste des 16, c’est un peu compliqué pour la personne qui répond. Sauf si elle se situe d’emblée dans les grandes formations politiques, ou si son choix est déjà fait. Mais on a bien vu, comme l’a dit Françoise, les votes contestataires ou protestataires ont fait jusqu’à 40 % des estimations de vote dans les sondages, donc il y avait en effet un pourcentage non négligeable des interviewés qui se " promenait " entre les 16 candidats, ce qui est extrêmement complexe quand on fait une interview téléphonique. (...)

J. Antoine : Je le disais tout à l’heure, il y a de plus en plus de raisons qui font qu’il y a et qu’il y aura des écarts entre ce que disent les gens même deux jours avant le vote et ce qu’ils feront le jour du vote. En plus les gens se décident de plus en plus tard. C’est vrai pour les vacances, c’est vrai pour les achats de consommation, et c’est vrai aussi pour les votes. Donc deux jours avant, la proportion de gens qui ne sont pas encore décidés est encore assez considérable, elle peut être de l’ordre d’un tiers des électeurs. Il y a également des phénomènes qui jouent aussi un peu sur les réponses aux votes antérieurs. Certains ont appelé ça les réactions de l’électeur stratège. Maintenant les gens interrogés avant le sondage savent que ça paraîtra dans les journaux, que les états-majors politiques auront connaissance de ça, est-ce que j’ai intérêt à dire vraiment ce que seront mes véritables intentions de vote ? etc. ça devient de plus en plus difficile...

Et puis alors les sondages sur le terrain en face-à-face deviennent de plus en plus difficiles avec les digicodes, les difficultés d’accès aux maisons. Pourquoi est-ce qu’on fait du téléphone aujourd’hui alors qu’on n’en faisait pas il y a dix ou vingt ans ? Parce qu’il y a dix ou vingt ans, le taux d’équipement en téléphone était insuffisant. (...). Les jeunes deviennent de plus en plus difficiles à joindre par le téléphone fixe, parce qu’ils ont tous les habitudes du portable. Et par téléphone il y a aussi d’autres difficultés. Par exemple pour trouver la bonne personne dans le foyer : il y a une tendance évidemment à ce que la personne qui décroche le téléphone la première soit le plus probablement la personne interrogée, et ça ce n’est pas ce qu’il faut. (...)

J. Goffredo : Moi j’aimerais poser une question aux journalistes : ils disent qu’ils publient des sondages pour faire du chiffre, et qu’ils savent lucidement que ces sondages sont faux. Ça je le comprends. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ils achètent ces sondages ? ils devraient les inventer... (rires, applaudissements)(...)

J.-R. B. : Dans ce que vous dites, vous parlez en même temps des sondages électoraux et des sondages sur les autres sujets. Je ne crois pas qu’on puisse exactement mettre ça sur le même plan. Sonder les gens pour savoir s’ils préfèrent ceci ou cela, le yaourt à la pomme ou je ne sais pas quoi, en somme, c’est l’étude de marché politique, ça peut donner des indications utiles, même si on se trompe de 6 points, ce n’est pas très grave. En revanche dans notre discussion, on voit bien qu’à partir du moment où il va y avoir une élection, qui est le sondage pour de vrai et qui est un processus qui fonde notre cohésion républicaine, le sondage devient perturbateur beaucoup plus que si c’est un sondage sur " est-ce que vous avez peur des OGM ? ". On entre dans des rétroactions entre le sondage et l’élection, et ça pervertit le processus électoral. (...)

F. E. : J’avais perdu un peu le fil de ma démonstration, mais je voulais simplement souligner qu’il y a eu un débat récemment autour des sondages, et l’opinion s’est exprimée. La dernière semaine de campagne, les sondages n’étaient pas publics, et réservés jusqu’à récemment à un certain nombre " d’initiés ". Aux yeux de beaucoup de gens, ça paraissait scandaleux, et le désir de transparence s’est exprimé, à tel point que le législateur a fait ce qu’il fallait pour que ce monopole des sondages réservés à quelques-uns disparaisse. Donc la société est ambiguë par rapport aux sondages et tout le monde n’est pas sur la ligne : " ça ne sert à rien, c’est inutile, c’est de la manipulation".

Une participante : Vous venez de dire, et c’est probablement vrai, que les sondages en période électorale perturbaient l’élection. Est-ce que ça, ce n’est pas de toute façon très grave, que le sondage soit exact ou inexact ? La question de l’exactitude du sondage est très secondaire, de toute façon, si l’élection est perturbée. (...)

J.-P. J. : Ensuite, à propos du lien entre sondages d’opinion politique et ce que disait monsieur sur les tendances lourdes, qui ont influencé le vote. Je suis très favorable à tous les sondages qui aident à connaître les tendances lourdes de l’opinion. Ce que je ne comprends pas, en revanche, sur deux thèmes qui ont beaucoup joué sur le vote, celui de la sécurité qui est monté très fort, mais aussi celui de la rupture de l’opinion sur le thème des 35 heures, c’est que quinze jours après, tout un tas de gens expliquaient que c’était sur les 35 heures que les électeurs avaient voté contre Jospin. Mais dans les sondages, ça n’était jamais sorti comme une tendance lourde de l’opinion. Pourquoi est-ce que ça ne sort pas avant le vote, alors qu’après ça sort comme une déferlante explicative, en plus de l’insécurité ? (...)

Lire tout le compte-rendu sur le site de Pénombre.

 
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