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Les « Unes » ascétiques du Point

par Mathias Reymond,

Les « unes » de la presse écrite, sont – tout comme les principaux titres des journaux radiophoniques et télévisuels – de puissants révélateurs de la hiérarchisation de l’information dans les médias. Animés par des objectifs parfois contradictoires, les journaux, et notamment les hebdomadaires, doivent répondre à des attentes particulières (celles du lectorat, des annonceurs, des propriétaires, mais aussi celles du journalisme proprement dit).

Après L’Express et Marianne [1], suite de notre parcours des « unes » des hebdomadaires : quels enseignements peut-on tirer d’un inventaire des couvertures du Point du 25 septembre 2008 au 24 septembre 2009 ?

À la différence de ses concurrents qui ne lésinent pas sur le racolage, Le Point propose des titres et un graphisme d’une grande sobriété. Comme une adresse au sérieux de ses lecteurs et une invitation à l’ascèse. À lire dans le TGV, en première classe ou en avion, « classe affaires »...

Amoureux des guides et des palmarès, sélectivement intéressé par de grands auteurs, historien hexagonal dévoué à sa version monarchique, Le Point prend en charge la vie quotidienne et les appétits culturels de ses clients.

Quant à la mise en perspective des questions politiques, économiques et sociales, elle recourt à des recettes pour régime amaigrissant : personnalisation sarko-dépendante et droitière de la politique, présentation rabougrie des questions économiques et sociales, évocation rachitique et américaine de l’international…

I. Un hebdomadaire de bonne compagnie
- Pour cadres sarkophiles et libéraux

 Une tête d’affiche : Nicolas Sarkozy

N’observant l’actualité (économique, sociale ou politique) que par le trou de la serrure de l’Élysée, l’hebdomadaire de François Pinault a consacré treize « unes » à Nicolas Sarkozy ou à son entourage. Huit le mettent directement en scène avec des titres explicites : « Les colères de Sarkozy » (20 novembre 2008) ; « Ce qu’il ne peut pas dire… et ce qu’il va faire » (25 septembre 2008) ; « Enfin seul ! » (11 juin 2009) ; « Sarkozy et la crise » (16 octobre 208) ; « Sarkozy est-il de gauche » (20 août 2009)… Mais les titres sont parfois critiques : « Est-il dépassé ? » (5 mars 2009) ou taquins : « Nicolas Bonaparte » (8 janvier 2009).

Parmi ces treize « unes », certaines sont liées à Sarkozy moins directement. Tel est le cas de la « une » dédiée à Jean Sarkozy et titrée « Monsieur le dauphin » (21 mai 2009)

Ou encore de la « Une » consacrée à Carla Bruni et titrée « La conscience de gauche de Sarkozy » (15 janvier 2009) ou encore la très peu originale « Les francs-maçons de Sarkozy » (12 mars 2009).

En définitive, avec plus d’un quart de ses « unes » consacrées à Nicolas Sarkozy, Le Point, comme les grands médias, s’aligne sur l’agenda du président de la République.

 Une distribution : de droite, sans fard

Ce n’est pas un scoop : Le Point est l’hebdomadaire de droite par excellence. Et les « unes » politiques sont un bon indicateur de ce positionnement puisqu’elles ne respectent pas du tout la diversité réelle du paysage politique français.

Sur les dix-neuf « unes » qui mettent en scène une personnalité politique, treize – on vient de le voir - représentent Nicolas Sarkozy ou des membres de son clan. Il faut leur ajouter : deux « unes » consacrées à Rachida Dati (19 mars 2009 et 11 décembre 2008), une à Rama Yade (16 juillet 2009), une à François Bayrou (30 avril 2009) et… une seule pour le Parti Socialiste titrée « La guerre des dames » - Martine Aubry et Ségolène Royal – qui n’est guère favorable au Parti socialiste puisqu’elle met en scène les conflits internes (5 février 2009).

II. Un hebdomadaire de bon conseil
- Pour cadres sérieux et cultivés

  Le Point, sage conseiller de ses lecteurs

À l’instar du Nouvel Observateur, de L’Express ou de Marianne, Le Point se met au service de ses lecteurs qu’il conseille en leur fournissant toutes sortes de guides qui font la « une » du magazine. Ainsi, en pleine crise économique, le lecteur sera ravi de consulter « le guide de la vie moins chère » (2 octobre 2008) avant de se plonger dans « le guide du consommateur intelligent » (30 octobre 2008), et – Noël approchant – de lire « le guide du numérique » (13 novembre 2008).

Le Point surfe-t-il sur l’actualité commerciale pour vendre du cerveau disponible à ses annonceurs ? Qui pourrait le croire ? Ce n’est qu’un hasard, si c’est durant la période des vendanges que la « une » est consacrée à un dossier (de 90 pages !) « Spécial vins » (3 septembre 2009). Ce n’est aussi qu’un hasard si c’est durant la période des choix de l’orientation scolaire que le Point fait sa « une » sur « Les diplômes pour réussir » (14 mai 2009)…

Altruiste, l’hebdomadaire dirigé par Franz-Olivier Giesbert se préoccupe aussi beaucoup de l’état de santé et du bien-être de ses lecteurs. Une « une » est consacrée aux « secrets du bonheur » (18 juin 2009), tandis qu’une autre signale que « les plantes guérissent tout (ou presque) » (30 juillet 2009). Et c’est l’actrice – également égérie publicitaire – Sharon Stone qui est choisie pour illustrer le titre « Rajeunir » (9 avril 2009).

Et comme ses confrères, Le Point adore les palmarès, comme celui qu’il consacre aux hôpitaux (17 septembre 2009).

  Le Point, hebdomadaire de haute culture

Mais contrairement à ses concurrents directs, et particulièrement à Marianne (voir l’article sur les « unes » racoleuses de Marianne), Le Point ne cède pas aux facilités estivales : ni plages ensoleillées, ni femmes dénudées. Le choix des « unes » de juillet et août témoigne d’une haute culture, à consommer à l’ombre d’un palmier, dédiée à l’histoire et à la philosophie.

Après les « unes » du 23 juillet et du 6 août 2009, respectivement dédiées à Sade et à Pascal, la « une » du 13 août 2009 est consacrée à Henri IV. Le Point était même allé plus loin, mettant en « une » Marie de Médicis le 7 mai 2009 en titrant « Les reines de France ».

Et Henri IV (déjà !) illustrait la « une » du numéro double du 18 décembre 2008 consacré en partie aux « Rois de France »…

À croire que l’hebdomadaire cherche à satisfaire un lectorat… royaliste.

III. Un hebdomadaire d’approfondissement
- Pour cadres curieux et cosmopolites

  Le Point, hebdomadaire d’investigation ?

Si l’on s’en remet seulement aux « unes », celles-ci laissent penser que Le Point sacrifie l’actualité immédiate à l’investigation. Avec la prétention de révéler de grands secrets. La crise financière ? Elle mérite, certes, une « une » consacrée à « L’argent caché des paradis fiscaux » (26 février 2009), Mais aussi un portait de Bernard Madoff, « L’escroc du siècle » (1er janvier 2009) et deux « unes » consacrées aux riches (29 janvier 2009 et 9 juillet 2009).

Les problèmes de l’Éducation nationale ? Le Point brise un tabou : « Profs – tout ce que l’on n’ose pas dire » (4 décembre 2008). La vie politique nous vaut les classiques « dossiers noirs de la République » (9 octobre 2008 et 27 novembre 2008) Et enfin l’enquête inédite que l’on retrouve partout : « Les Francs-maçons : le grand retour » (22 janvier 2009).

Si l’on ne tient pas compte de cette préoccupation majeure des salariés : « Permis à point : la polémique » (28 mai 2009), les questions sociales en « une » se limitent à celle-ci : « Les retraites » (25 juin 2009).

  Le Point, hebdomadaire franco-français ?

La taille de ce paragraphe illustre parfaitement la place qu’a attribuée Le Point aux questions internationales. Sur cinquante et une « unes » observées, seulement deux se tournent au-delà des frontières, et elles sont toutes deux consacrées à Barack Obama (6 novembre 2008 et 2 avril 2009).

***

Souvent plus sobres et parfois moins futiles que celles de ses concurrents les plus directs, les « unes » du Point reconduisent malgré tout les mêmes recettes…

Mathias Reymond (avec Henri Maler)

 
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