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Le pouvoir UMP s’ouvre à la nomenklatura médiatique

par Grégory Rzepski,

Depuis le 6 mai 2007, l’ « ouverture », c’est-à-dire le débauchage de quelques personnalités membres ou proches du Parti socialiste par le président UMP et son gouvernement, fait les délices des commentateurs. Mais les bras du nouveau pouvoir se sont aussi très largement ouverts – et l’on en parle moins… – pour accueillir des personnages du monde des médias [1].

Dès le 16 mai, Georges-Marc Benamou, éditorialiste à Nice-Matin et chroniqueur à La Provence, est nommé conseiller pour la culture et l’audiovisuel du nouveau chef de l’Etat. Dans le même temps, Catherine Pégard du Point est aussi nommée à l’Elysée et Myriam Lévy, chargée de suivre la campagne de Ségolène Royal au Figaro, l’est à Matignon [2].

La mise en place de différentes commissions par la présidence a aussi été l’occasion de les faire bénéficier des « compétences » de quelques éditorialistes et chroniqueurs et de satisfaire les besoins de considération de ces professionnels pourtant déjà reconnus par des médias qu’ils squattent allègrement. Dans le « comité de réflexion sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République » institué en juillet et présidé par Edouard Balladur, on retrouve ainsi : Jean-Louis Bourlanges, chroniqueur dans l’émission « L’esprit public » sur France Culture ; Guy Carcassonne, chroniqueur au Point  ; Jean-Claude Casanova, éditorialiste associé au Monde et co-animateur de l’émission « La rumeur du monde » avec Jean-Marie Colombani sur France Culture ; Olivier Duhamel, chroniqueur sur France Culture. Dans la commission pour la « libération de la croissance française » dont la présidence a été confiée à Jacques Attali, lui-même éditorialiste à L’Express, on retrouve : Yves de Kerdrel, éditorialiste au Figaro et chroniqueur à BFM, et Eric Le Boucher, chroniqueur économique au Monde.

Il est vrai que Carcassonne ou Duhamel sont professeurs de droit avant d’être des éditorialistes. Il est vrai également que la participation de journalistes ou de chroniqueurs à des comités gouvernementaux n’est pas une nouveauté. Dans le groupe qui a élaboré le rapport Camdessus (déjà sur la croissance) en 2004, on retrouvait Olivier Blanchard, chroniqueur à Libération, et Philippe Lefournier, éditorialiste à L’Expansion. En 2004 aussi, Jean-Marc Sylvestre (LCI, France Inter) présidait la commission d’orientation pour le débat « Agriculture, Territoires et Société ». Enfin, on peut citer Alain-Gérard Slama, chroniqueur à France Culture et éditorialiste au Figaro, qui était membre de la commission Thélot (sur l’éducation) mise en place en 2003 [3]..

Mais une ouverture si « large » et si « décomplexée », réalisée en si peu de temps, est, sauf omission, sans précédent sous la Vème République. Quelle est exactement la fonction sociale exercée par Eric Le Boucher quand, le 2 septembre 2007, il livre, aux lecteurs de son journal, les premières réflexions que lui inspire le travail qui lui a été confié au sein de la commission Attali ? Journaliste ? Rendant hommage à « M. Sarkozy » qui « débloque beaucoup de choses en tout secouant », il le met toutefois en garde : « la popularité est superficielle. La confiance s’ancre, elle, plus profond. » La profondeur ? Elle consiste dans les préconisations de Le Boucher : « L’université ne peut attendre de se rénover entièrement. La recherche doit épouser l’industrie. L’Etat devrait devenir plus régulateur qu’acteur. L’intervention devrait devenir l’incitation. »

Décidément, rarement, voire jamais président, depuis 1958, n’était parvenu à séduire autant de représentants des chefferies éditoriales [4]. Ces cas individuels sont l’expression (et non la cause) de l’interdépendance des pouvoirs politique et médiatique dont les commissions sont un des lieux de rencontre. Une interdépendance qui se conjugue à l’emprise de l’économie sur les médias ainsi qu’aux convergences d’intérêt et aux liens spécifiques qui existent entre le nouveau pouvoir et l’oligarchie capitaliste qui détient la plupart des médias.

Grégory Rzepski

 Et depuis : Colombani : « L’ancien directeur du journal Le Monde, Jean-Marie Colombani, a accepté une mission officielle de trois mois, proposée par Nicolas Sarkozy et François Fillon, concernant la réforme des conditions d’adoption (nouvelobs.com, 6 octobre 2007).

 
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Notes

[1Et réciproquement : Laurent Solly, très proche conseiller de Nicolas Sarkozy, a ainsi intégré la direction de TF1 dans les jours qui ont suivi la victoire du candidat UMP.

[3Un lecteur aimable et attentif nous signale que Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur) et Françoise Laborde (France 2) ont contribué au rapport Pébereau de décembre 2005 consacré aux finances publiques (note du 25 septembre 2007).

[4Une séduction qui ne s’explique pas seulement par l’attribution de breloques et les rencontres estivales qui permettent de l’entretenir. Il reste que, au hasard d’un article du Monde (le 26 août 2007), on apprenait que « Jean-Claude Dassier recevait cet été, au Pyla, le porte-parole de l’Elysée, David Martinon. Quant à Claire Chazal, elle loue chaque année une maison à Sperone, en Corse, avec son vieil ami l’ancien ministre de la culture UMP Renaud Donnedieu de Vabres. »

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