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En bref

Le journalisme politique du Monde dans le miroir des chaînes d’info en continu

par Blaise Magnin,

Dans son édition des 8 et 9 décembre 2013, Le Monde publiait sur une double page une « Enquête sur la “BFMisation” de la vie publique » et lui consacrait sa « Une » :

Hormis quelques éléments d’analyse intéressants sur l’espace médiatique que les chaînes d’information en continu offriraient aux formations politiques autres que le PS et l’UMP, ou à des figures politiques de second plan, l’« enquête » paraît tout de même un peu maigre. Une grande photo occupe presque la moitié de la première page, un encadré sans intérêt ausculte la stratégie de communication de François Hollande, un autre guère plus passionnant relate la défense pro domo d’Alain Weill, PDG du groupe auquel appartient BFM-TV, et l’ensemble est complété par un entretien avec Gilles Finchelstein, publicitaire chez Havas, essayiste et directeur général de la Fondation Jean Jaurès, la « boîte à idées » du PS.

En réalité, cette enquête était surtout une occasion pour Le Monde, conscience du journalisme et vigie du débat public s’il en est, de dire son inquiétude face aux évolutions d’une information politique prétendument mise sous coupe réglée par quelques chaînes sans scrupules. En appel de « Une », le sous-titre et le chapeau sont ainsi sans ambiguïté : « Les cadences de BFM, i-Télé ou LCI pèsent sur un débat politique de plus en plus soumis à l’instantanéité  » ; «  Dictature de l’urgence ? L’information télévisée en continu, avec ses rythmes haletants, pèse de manière croissante sur la nature du débat politique en France, constatent des élus et des experts. Les politiques se voient obligés de s’adapter à une demande permanente de réactions et de commentaires sur le vif ».

Et le début de l’article n’est pas plus tendre dans sa description des dérives prêtées à l’info en continu : « Un, deux, voire trois écrans. Un œil sur la télé, l’autre sur la tablette, les réseaux à portée de main. Des visages, des voix, des bandeaux qui défilent. Guerre à l’UMP… Hollande à l’Élysée, Léonarda en duplex… La courbe du chômage : infléchie, pas infléchie ? Pas clair, pas le temps ; alertes, tweets, retweets et démenti. Le tireur fou est-il fou ? Paroles d’experts. Un dérapage raciste. Déjà vu. Combien sont-ils chez Mélenchon ? 100 000, 7000 ? Les “bonnets rouges” ? Rien de neuf. Tout se vaut – ou peu s’en faut – au royaume de l’info en continu, de la réaction permanente et du direct sans filet. »

Autant de réflexions sans aucun doute pertinentes, ou du moins légitimes mais qui ne peuvent que sembler… cocasses de la part d’un quotidien comme Le Monde !

Sans même parler d’un traitement de la politique parfois bien peu respectueux des canons de la profession (« Le Monde forme le gouvernement »), saturé de sondages, mité par la personnalisation – quand il ne s’agit pas simplement de « peopolisation » –, mutilé par la bipolarisation (que les chaînes en continu compenseraient quelque peu ?), Le Monde est-il le mieux placé pour entamer ce genre de refrain et instruire le procès de chaînes de télévision qui ne font que prolonger, ou raffiner des procédés dont la grande presse raffole ?

Comme par exemple le recours compulsif à des experts en tout et en rien (tels Gilles Finchelstein…) qui, en guise de décryptage, pontifient sur tous les sujets pour peu qu’on les sollicite, la focalisation obsessionnelle sur la politique « politicienne » qui ne se préoccupe que des préoccupations des professionnels de la compétition électorale au détriment de celles des Français, ou pire encore, la tendance irrépressible à jouer aux prescripteurs d’opinions et de « réformes » à coups d’éditoriaux vengeurs qui, comme celui du 12 décembre – « Ces mille lignes Maginot qui bloquent la France », un monument du genre –, rabâchent sans relâche les mêmes potions destinées à être appliquées à tous et à tout – sauf évidemment à l’élite du journalisme et aux aides à la presse…

Enfin, il ne semble pas que Le Monde soit épargné par le « zapping » permanent de l’actualité, ni se singularise par un suivi minutieux des dossiers qui saurait faire fi du rythme effréné des dépêches AFP et des « urgences » successives qu’elles imposent – ou plutôt que les rédactions s’imposent… Certes, le rythme est quotidien, et non pas horaire comme sur les chaînes d’info, mais le résultat n’est pas si différent. Surtout quand, le 4 décembre, Le Monde.fr inaugure dans sa rubrique « Politique » un « fil d’actu » baptisé « Les indiscrets » qui semble consister à rassembler toute les déclarations, les infos institutionnelles ou partisanes qui tombent dans l’escarcelle des journalistes du quotidien – mais qui sont indignes de donner matière à un article –, du remplissage en quelque sorte.

Un bel outil éditorial au service de la « réactivité » du Monde, destiné à transformer dans l’instant tout et n’importe quoi en « info » et qu’assurément ne renieraient pas… BFM-TV, i-Télé, ou LCI !

Blaise Magnin

 
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