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Réflexions pré-estivales

Le Nouvel Observateur tire déjà les leçons de l’an 2002

Le mois de juin étant propice aux réflexions pré-estivales, Le Nouvel Observateur s’est illustré par des commentaires (d’une très haute tenue, comme à l’accoutumée…) sur deux de ses sujet de prédilection de l’année : l’antiaméricanisme et l’avenir de la gauche française. Pour que ces commentaires demeurent ce qu’ils sont déjà - inoubliables -, nous avons réuni ici quelques exemples (H.M.)

« Antiaméricanisme » : Jacques Julliard en plein concept

Le Nouvel Observateur de la semaine du jeudi 6 juin 2002 nous gratifie d’une chronique de Jacques Julliard, intitulée "Le bon antiaméricanisme", et qui est présentée ainsi :

« Il y a loin de l’antiaméricanisme des intellectuels du quartier Latin à l’"anti-états-unisme" de l’Amérique latine. Il est, là-bas, la réaction naturelle à la domination des Etats-Unis sur le continent. »

Cela nous vaut cette leçon pleine d’attraits :

« Il en va des concepts à la mode comme de certains grands vins : ils voyagent mal. Ainsi de celui de mondialisation, qui désigne ici une mobilité accrue des hommes et des idées, là l’augmentation des échanges commerciaux dans le monde sous le signe du libéralisme, ailleurs enfin l’hégémonie américaine sur la planète. De même, le corollaire quasi automatique de cette mondialisation, je veux parler de l’antiaméricanisme. D’un pays à l’autre, et surtout d’un continent à l’autre, il désigne des réalités différentes. Chez les intellectuels européens, il traduit surtout la frustration devant une évolution qui met à mal leurs convictions progressistes les mieux ancrées. L’antiaméricanisme, c’est ce qui reste quand on a désespéré de tout. En Amérique latine au contraire, l’antiaméricanisme n’est pas qu’une posture intellectuelle ou morale, mais l’expression d’une réalité politique et économique permanente, à savoir la domination des Etats-Unis sur l’Amérique latine (…) ».

Ainsi, "l’antiaméricanisme " serait un "concept" ! Et de surcroît "à la mode" ! Mais qui prétend qu’il s’agit d’un "concept à la mode" ? Jacques Julliard, son courtier devenu commis voyageur.

Car, voyez-vous, ce concept qui amalgame tout ce que Julliard trouve sur son passage disqualifie les intellectuels du Quartier Latin ou les intellectuels européens (c’est selon...), mais change totalement de sens et de valeur en franchissant l’Océan atlantique dans la valise de Jacques Julliard. Qu’il puisse exprimer "là-bas" très exactement ce que visent des intellectuels - et de nombreux autres … - "ici", est, pour Jacques Julliard, une impossibilité océanique …

C’est que Jacques Julliard a sondé quelques crânes européens, et il a découvert ceci :

« Chez les intellectuels européens, il traduit surtout la frustration devant une évolution qui met à mal leurs convictions progressistes les mieux ancrées. L’antiaméricanisme, c’est ce qui reste quand on a désespéré de tout. »

Avant son voyage, Jacques Julliard se félicitait bruyamment d’être l’auteur d’une formule "à la mode" qu’il servait en garniture de son "concept" : "L’antiaméricanisme est le socialisme des imbéciles", triomphait-il. L’Amérique Latine a ouvert un nouveau continent à sa pensée : chez les intellectuels européens, "L’antiaméricanisme, c’est ce qui reste quand on a désespéré de tout".

Si après plusieurs heures de réflexions, vous ne parvenez toujours pas à trouver un sens à cette formule, il ne vous reste plus qu’à tenter de commenter Jacques Julliard par lui-même, en vous reportant aux deux pages que Libération lui a offert le 13 novembre 2001, sous le titre "Misère de l’antiaméricanisme". Vous y lirez ceci :
« Historiquement, la haine de l’Amérique s’identifie, dès la fin du XIXe siècle, avec la haine du progrès et notamment du progrès technique chez les intellectuels. »

Haine du progrès ou frustration devant une évolution qui met à mal les convictions progressistes ? C’est selon …

« Où va la France » : Jean Daniel en pleine méditation

 Le Nouvel Observateur bi-partisan

Depuis le premier tour des élections législatives de 2002, les principales plumes éditoriales du Nouvel Observateur n’en finissent pas de se réjouir de la bi-polarisation de qu’ils croient découvrir en analysant le scrutin.

A tout seigneur, tout honneur. Jean Daniel, dans son éditorial de la semaine du jeudi 13 juin 2002 commence par une référence qu’il croit savante, bien qu’il la traite à contresens, au « grand sociologue Emile Durkheim (1858-1917), inventeur du concept de "conscience collective". »

Une fois érigée cette pierre tombale, Jean Daniel en vient à l’essentiel :

« Messages adressés par la conscience collective des Français, dimanche, grâce au truchement des urnes : confirmation de la force des institutions de la Ve République ; hégémonie de deux grandes formations de droite et de gauche, qui doit conduire au bipartisme commun à tous les grands Etats démocratiques (…). »

L’oracle qui fait parler la "conscience collective" pourrait avec la même assurance nous promettre la formation d’une hégémonie de presse écrite à deux pôles : Le Nouvel Observateur-Le Monde, d’un côté et Le Point-Le Figaro, de l’autre. Dans ces conditions, Jacques Julliard et Claude Imbert seraient les messagers de la conscience collective et LCI la plate-forme avancée du débat démocratique...

Mais ce mauvais rêve est déjà une réalité …

 Le Nouvel Observateur non-militant

Le Nouvel Observateur, jeudi 13 juin 2002. Toujours Jean Daniel :

« Il n’y a pas de politique bipartisane si l’un des deux partis est trop fortement représenté dans toutes les institutions sans exception, ce qui menace d’être le cas. (...) De plus, si le Parti socialiste s’affaiblissait encore, il n’y aurait plus de force d’encadrement pour les mécontents, puisque le Parti communiste paraît bel et bien condamné à disparaître, au moins sous son label actuel, et que l’extrême-gauche n’est plus qu’un divertissement. Alors il n’y aurait plus, face au pouvoir hégémonique, qu’un front, celui du social, qui à chaque moment peut transformer une négociation en conflit et mobiliser la rue contre les urnes. »

Résumons. Pour renforcer le bi-partisme, - puisqu’il le faut - il est indispensable de voter pour le parti socialiste. Sinon, plus de "force d’encadrement des mécontents" … On comprend dès lors que la République est, une fois de plus en danger.

Ce qui nous vaut ce final en forme d’apothéose :

« Nous nous interdisons ici toute espèce de militantisme, d’ailleurs peu dans notre tempérament. Mais aujourd’hui, ce n’est aucunement faire preuve d’esprit partisan que d’observer que l’intérêt de la gauche coïncide avec celui de la nation tout entière et commande de se mobiliser le 16 juin. Il faut savoir résister à la tentation du désenchantement légitime comme à celle d’une abstention qui ne l’est jamais. D’abord, pour aller voter. Ensuite, pour le faire en faveur des derniers opposants : les socialistes. »

 
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