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Des attentats du 11 septembre à la prise de Kaboul (2)

Le Nouvel Observateur « nous » défend contre « les autres »

par Henri Maler,

Des attentats du 11 septembre à la prise de Kaboul, de septembre à décembre 2001, Le Nouvel Observateur s’est illustré par des commentaires d’une très haute tenue pour défendre « nous » contre « les autres » : à l’extérieur comme à l’intérieur de « nos » frontières [*]

"Nous" et "les autres" : haro sur l’ennemi extérieur

 "Le regard d’en face"

"Le regard d’en face" : sous ce titre qui oppose une fois encore "nous" et les "autres", Laurent Joffrin, nous propose de partager, dans Le Nouvel Observateur du 20-26 septembre (page 89), son grand effort de compréhension :
« Et si l’on essayait - un instant - de décentrer nos consciences occidentales ? Et si l’on s’efforçait, même maladroitement de comprendre un tant soi peu l’état d’esprit d’un habitant du Caire, d’Alger ou d’Islamabad ? »

La bonne idée ! Mais pourquoi faut-il en limiter l’usage à "un instant" ? Pourquoi nous inviter à une "empathie provisoire", et seulement provisoire ? Et d’ailleurs pourquoi cette invitation ?

Joffrin répond : « Pour juger des représailles nécessaires » … Où l’on voit que l’objectif immédiatement militaire risque fort de censurer la noble intention "provisoire" … C’est qu’il s’agit, pour Laurent Joffrin, de nous expliquer d’abord pourquoi le terme de "croisade" était mal choisi, "non que le président ait métaphoriquement tort". Mais voilà : "L’ennui, c’est que le mot a un autre sens : la mobilisation de tous les chétiens contre l’ "islam impie". Il y a donc eu erreur sur la métaphore …

Suivent alors les résultats de l’"empathie provisoire" : laissons au lecteur qui voudra s’y reporter le soin de les apprécier...

Reste la conclusion :
« Quand il s’agira de mettre en marche les forces armée de la démocratie, animées d’un juste courroux, on devra, malgré tout, se livrer à une introspection. Un examen de bonne conscience … ».

L’introspection nécessaire à la bonne marche des "armées de la démocratie" occidentale.

 Les "autres" sont parmi "nous"

Jean-Daniel, éditorial du Nouvel Observateur, 18 octobre. Avec ce sous-titre " Nos Algériens et la guerre ". Qui sont ces algériens qui sont nôtres ? Quelques lignes seulement permettent de le comprendre :

« Une enquête d’opinion nous apprend que les musulmans de France sont de plus en plus religieux : raison de plus pour les inviter à partager notre conception de la pratique religieuse, fruit de notre passé de lutte en faveur de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Davantage : le grand acquis de la République en France était d’avoir su jusqu’à présent faire s’épanouir des individus qui, le cas échéant, n’hésitaient pas à choisir les valeurs de la nation plutôt que celles de leur communauté. Or on ne peut pas dire que les jeunes Algériens de France qui ont provoqué, samedi dernier, l’interruption du match France-Algérie se soient comportés comme des citoyens responsables et intégrés. ».

Résumons : nos algériens, ce sont " les jeunes Algériens de France ". Ce ne sont pas les jeunes français d’origine algérienne. Ce sont les " musulmans de France ", invités à partager " notre conception de la pratique religieuse ". Qui est ce " nous " opposé d’emblée à ces " autres " français, " mais ", musulmans ?

La même musique circule entre les lignes de la chronique de Jacques Julliard (même hebdo, même date). Parlant des jeunes d’origine algérienne qui ont " envahi " le stade de France, lors du match France-Algérie de football, il écrit :
« Ce que ces " jeunes " attendent de nous, au-delà de leurs bredouillements, c’est de notre part un peu plus de fierté, un peu plus de croyance dans nos propres valeurs. »

Ces "jeunes" (entre guillemets) et nous (sans guillemets) …

 « Nous » et « les autres » : Haro sur l’ennemi intérieur

- Les bassesses de Delfeil de Ton

Toujours dans Le Nouvel Observateur du 11-17 octobre, la chronique de Delfeil de Ton (p. 134).

Ce maître-penseur auxiliaire revient pour ne pas y revenir sur la calomnie de sa chronique de la semaine précédente. Cela donne :
« On ne va pas revenir sur ces communistes, à la Fête de l’Humanité, qui ont hué et sifflé les victimes du World Trade Center (...). » Comme si ces sifflements, quoi qu’on en pense, visaient les victimes …

Ayant accompli cette basse besogne, Delfeil de Ton change de cible. Avec toute la morgue et tout le mépris qui sied à un éditorialiste de première importance, il enchaîne :
« Ils ont dû méditer sur la chute des Guignols de Canal+, à la Ligue, et se dire que le secret pour échapper à l’usure, c’était le changement de marionnette : donc, Besancenot à la place de Krivine. » A croire que le seul Guignol inusable, c’est Delfeil de Ton …

- La rage de Delfeil de Ton

… Qui ne renoncera pas de sitôt. La preuve ? Dans Le Nouvel Observateur du 25 octobre, il revient à la charge. Sous le titre "intellect", il triture à sa convenance un appel de chercheurs, d’universitaires et de syndicalistes, que Le Monde avait déjà passablement mutilé - sans doute par manque de place - et publié en le présentant comme un appel d’intellectuels. Ce qui nous vaut cette subtile réplique du Delfeil enragé :

« Cent treize intellectuels français lancent un appel contre la guerre en Afghanistan » (“le Monde”, 21 octobre 2001). Cent treize intellectuels, c’est beaucoup d’intellectuels. Ça en représente, de la matière grise. Qu’est-ce qu’il en sort ? Il en sort : “Cette guerre n’est pas la nôtre.” Cette guerre n’est pas la leur, mais Ben Laden l’a déclarée aux impies, c’est-à-dire à tous ceux qui ne croient pas en un Dieu unique, aux juifs, aux croisés, c’est-à-dire aux chrétiens de toutes les obédiences, aux hypocrites, c’est-à-dire aux musulmans qui ne partagent pas son fanatisme. Bref, à quelque catégorie que Ben Laden les place, il a déclaré la guerre à nos intellectuels. A moins d’être musulman, et musulman extrémiste, et de l’extrémisme tendance Ben Laden, on est rangé par Ben Laden dans le camp des ennemis de Dieu et de Ben Laden, la guerre de Ben Laden est universelle, on est dans son camp ou dans le camp qu’il combat, il ne laisse pas le choix, Ben Laden. “Ni croisade impériale, ni terreur talibane !”, s’écrient cependant nos intellectuels : “Nous refusons le piège d’une logique binaire.” La terreur talibane ne vous demande pas votre avis et Ben Laden se moque de vos refus, ô intellectuels. Il ne veut de vous qu’une seule chose : votre mort, la mort de votre culture et la fin de tout ce que vous aimez, et vous le savez bien. C’est facile, de se donner bonne conscience, de refuser la riposte quand on sait qu’elle a lieu, de la condamner quand on est content qu’elle vous protège. Vous n’aimez par les bombardements, vous n’aimez pas les commandos, personne n’aime devoir compter sur eux, mais qui peut nous tirer de là ? Vos incantations ? “Cette guerre n’est pas la nôtre. Au nom du droit et de la morale du plus fort, l’armada occidentale administre sa justice céleste.” C’est de l’humour ou quoi ? “Justice céleste” ! Qui parle de justice céleste, sinon la bande à Ben Laden ? Il est prêt à embraser la planète, pour sa justice céleste. Il le dit, il s’en flatte, il a commencé à le faire, et il annonce tous les jours son intention de continuer. On est triste de trouver certains noms, parmi les cent treize intellectuels. On les aurait voulus plus sens commun.(...) »

D.DT s’emporte contre un texte qu’il a réduit en charpie pour en extraire quelques lambeaux. C’était dans notre série "Les médias, nouvel espace public de débat et de confrontation".

D. D.T défend le sens commun contre les intellectuels . C’était dans notre série : "Les éditorialistes ne sont pas des intellectuels".

- Et toujours Delfeil de Ton

Le Nouvel Observateur, semaine du vendredi 2 novembre 2001, Les lundis de Delfeil de Ton.

D’une semaine à l’autre, changement de cible et de titre. Après "Intellect’, "Experts". Après la défense du sens commun, la défense du bon sens. Quand le grand Inquisiteur pourfend les " experts ", cela donne :
« Le bon sens est ce qui est le mieux partagé, mais aux "experts" c’est ce qui généralement manque le plus. »

Et DDT d’enchaîner sur une mise à l’index de Tariq Ali :
« un romancier, essayiste, cinéaste britannique, d’origine pakistanaise » dont la verve guerrière de DDT nous apprend qu’il est, évidemment, stupide et qu’il doit aux Alliés d’être « en train de faire le beau à Londres ».

Ce qui nous vaut cette rodomontade sans appel :
« On s’excuse de donner à lire des mises au point aussi élémentaires, mais puisque c’est devenu ça, paraît-il, les gens intelligents. »

 
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Notes

[*Pour qu’ils demeurent ce qu’ils sont déjà - inoubliables -, nous avons réuni ici les commentaires du Nouvel Observateur que nous avions déjà recueillis dans une autre rubrique (H.M.)

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