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Pratiques du journalisme

Le Monde " rectifie " Le Monde

par Henri Maler,

Le Monde commet des erreurs ou modifie ses analyses et ses prises de positions. Rien de plus banal. Mais, dans un quotidien qui déploie tant de talent pour se célébrer, le rectificatif est un art difficile : comment rectifier une erreur sans déchoir ou modifier un point de vue sans l’avouer ? Pour répondre à cette question, Le Monde multiplie les contorsions. En voici trois échantillons [*].

Une étrange autocritique


Cruel démenti et cas d’école pour Le Monde qui titrait péremptoirement jeudi 13 octobre 2000 au soir : "Bruxelles bloque la fusion Vivendi-Seagram" ajoutant "La Commission ... ouvrira une enquête de quatre mois sur la création du numéro 2 mondial de l’audiovisuel. Sa décision renforcera les doutes des investisseurs sur l’opération."

L’ absence de conditionnel dans le titre, l’emploi du futur avec "ouvrira" et "renforcera" sans prendre en compte l’impact sur la valeur boursière de l’entreprise, tout cela est fâcheux...

En effet, dans Le Monde paru samedi 14 au soir daté 15 octobre, on peut lire en sous-titre : "La Commission européenne donne son accord à la naissance de Vivendi Universal, numéro deux mondial de la communication".
Exactement le contraire de ce qui était annoncé...

L’ éditorial page 17, reconnaît la bévue avec plus ou moins de bonne foi :
"Contrairement a ce que nous avions laisse entendre à la une du Monde du 13 octobre la Commission de Bruxelles a donné son feu vert, vendredi 13 octobre, à la fusion des groupes Vivendi et Seagram. Elle a donc renoncé a bloquer cette opération comme nous l’avions imprudemment pronostiqué sur la foi d’informations que nous tenions pour sûres."

Puis, plus loin, l’autocritique devient moins claire : "La surprise a eu lieu, et si elle est heureuse pour Jean-Marie Messier, le PDG de Vivendi, elle l’est moins pour Le Monde en raison de cette erreur d’anticipation."

La transformation de rumeurs en faits établis est devenue une "erreur d’anticipation" ...

Un pas de plus, et il n’y a plus d’erreur du tout, grâce à cet étonnant enchaînement : "Exactes au moment où nous les avons publiées, ces informations" ... seraient devenues fausses ... après coup. Mais comment Le Monde peut-il donner pour exacte l’information sur une décision qui n’avait pas encore été prise, au moment le quotidien l’annonce ? Mystère...

Jean Marie Messier ayant tancé Le Monde lors de sa conférence de presse, l’éditorialiste ne pouvait pas faire moins que de conclure par un vibrant éloge de l’exploit de Messier : "C’est une aventure qui n’est pas sans risque, mais qui est aussi pour l’ensemble des entreprises, un bel exemple de dynamisme" [1]

Une étrange amnésie

Le Monde, dans son éditorial du 10 octobre 2001 - "La guerre et le vote" - manifeste sa réprobation face à la décision prise par Lionel Jospin de ne pas soumette à un vote du Parlement l’engagement militaire de la France dans la guerre en cours en Afghanistan. Et d’argumenter :
« Pour le Premier ministre, la guerre n’étant pas engagée contre un Etat mais contre une organisation terroriste, selon des modalités propres à ce type d’action, les opérations qui pourraient être menées par les armées françaises ne relèveraient pas des mêmes procédures de décision qu’en 1991 contre l’Irak et en 1999 contre la Serbie. On a du mal à comprendre en quoi cette différence peut justifier la mise à l’écart du Parlement, qui sera certes informé par le gouvernement mais qui ne sera pas appelé à donner son avis. »

Ce qui nous vaut, après un développement consacré aux considérations tactiques de Jospin, cette conclusion : «  (...) il serait plus conforme à la logique démocratique d’inciter chacun à prendre ses responsabilités par un scrutin public. »

Etrange approximation : la procédure de décision - pour parler comme Le Monde - adoptée en 1999 contre la Serbie avait exclu tout vote préalable du Parlement. Etrange amnésie : Le Monde oublie qu’il avait justifié ce refus [2]

Un étrange déclassement

Le Monde, pendant la guerre du Kosovo, avait authentifié l’existence du plan "Fer-à-cheval" attribué au gouvernement de Milosevic. Ainsi que l’attestent deux "manchettes" à l’indicatif (et non au conditionnel qui signale, paraît-il, la prudence requise...) des 8 et 10 avril 1999.

Avec un art consommé de la litote, l’envoyé spécial du Monde à La Haye écrit à présent : « Quant à "Fer à cheval", il reste un document fort controversé, dont la validité n’a jamais été prouvée. » (Rémy Ourdan, "Milosevic se pose en victime d’un "crime contre la vérité" », Le Monde du 16 février 2002.

Quand Le Monde déclasse ainsi le plan "Fer-à-Cheval" sans le dire, on attend - en vain - un rectificatif [3]

 
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Notes

[*Ces échantillons ont été prélevés, sans modification, dans une ancienne présentation chronologique du Monde des années 1999-2002 : la date de publication antérieure est indiquée en note à la fin de chacun d’entre eux

[1Première parution : 2 janvier 2001.

[2Première publication : 12-10-2001 - titre modifié.

[3Première publication : 4 mars 2002 - titre modifié - Avec PLPL.

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