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Tribune libre

Le Monde me pompe

par Pierre Madrid,

Cette tribune libre [*] de Pierre Madrid, photojournaliste , régulièrement lecteur du Monde et professionnellement de passage dans ses locaux, rend compte de sa double expérience.

Allez je vais vous le dire, ça fait quasi dix ans que j 1hésite à m1 y abonner, depuis deux mois que je l1 achète plus, je dois reconnaître que ça me manque pas, et comme ça j1 économise 225 francs par mois, c1est toujours ça. Dans les rédactions de France et de Navarre dès sa sortie, on se rue dessus l1 air de rien pour savoir ce qui fait l1actu, ce qu1 on pourra pas publier parce que « Le Monde » l1 a déjà fait, c1 est agaçant, mais c1 est pas ce qu1 il y a de pire. Car ces cons de journaleux à 20 heures, ils ratent pas non plus le 20 heures de TF1 pour savoir ce que le bon peuple va savoir, va avoir le droit de savoir. Le Monde tout le monde en rêve même si ça parait austère. Mais une fois dedans, c1 est la réalité de la presse qui revient au galop, des gens dont on se demande ce qu1 ils font dans la profession tellement, ils sont nuls. Comme ce journal est une usine bien rodée, il y a des gens qui corrigent réécrivent derrière.

L1 article de la Josiane sur l1 abolition de la peine de mort et Robert Badinter était à ce titre éloquent : nul, nullissime, celui qui a réussi à dépasser la 10éme ligne a eu le plaisir de voir que ça s1 améliorait, j1 ai peur que sur un sujet aussi sérieux peu de lecteurs aient eus ce courage, personnellement, je m1 y suis repris à 3 fois et j1 en suis sorti écoeuré de si peu d1 enthousiasme devant ce qui fut l1un des rares courages des socialistes.

Bon j1 ai un pote qui y travaille, c1 est pas compliqué : ils l1 épuisent. A la fin de la semaine, quand il est pas de permanence, il est à ramasser à la petite cuillère. C1 est la rançon du succès mais ils parait qu1 ils auraient pris l1 habitude de recruter plus pour le marketing que pour la rédaction. Je risque donc de continuer à voir son teint palot et ses humeurs en dents de scie pendant encore un petit moment. La compensation qu 1il a, et ben tout simplement le sentiment de bien faire son boulot, avec rigueur et méthode. Faut voir la pression qu1 on leur met, pour être les meilleurs dans chaque domaine qu1 ils traitent, vous direz que vu le panorama de la presse quotidienne c1 est pas difficile et ben si car ça demande beaucoup de temps, d1 énergie, de patience et mon pote, il y a des fois où je me demande combien de temps il va tenir, avec ces putains de sauts d 1humeur.

A coté de ça, y a des danseuses qui se la jouent perso et arrivent à publier plusieurs fois le même article (voir l1 affaire du portrait de Diana) ou même comme ils sont supposés avoir un talent de plume (on se demande où ils la mettent la plume à l1 heure de l1 informatique), certains qui se permettent de picorer sec dans la cuisine que la piétaille produit (voir de la chronique sur internet ou truc avait pioché dans tout ce qui était paru). Bon remarquez piocher chez les confrères c1 est pas une nouveauté, comme aller chercher de l1 info, et être à l1 écoute des « vibrations du monde » ou de la parole des « témoins » ça prend du temps, dans la presse entre deux réunions et deux bouclages, ils commencent pour s1 informer par lire les confrères et demander à leur service de documentation des revues de presse de ce que l1 ennemi a fait. Il m1 est arrivé de partir en Afrique avec un journaliste qui découvrait le sujet sur lequel il allait travailler en lisant ce que les confrères en avaient écrit dans l1 avion. Bon remarquez au moins il allait sur place et ça c1 est loin d1 être toujours le cas : le nombre de gratte papiers qui sont payés a écrire des papiers sur des pays où ils ont jamais été, ou pas plus de quinze jours, c1 est hallucinant. Au Monde, ce serait plutôt le contraire : ils partent, ils voyagent, écoutent, rencontrent, et au final n1 écrivent pas forcément : ça c1 est plutôt rassurant quoiqu1 un peu agaçant pour les confrères dont certains doivent rentabiliser leurs voyages coûte que coûte.

Bon au Monde, il y a quand même quatre petits soucis : les encartés publicitaires pour les pays : leur vie, leur œuvre, leur économie, leur dictateur chéris, il se dit que ça fait rentrer 100 briques le bout. Secondo le service voyage « qui donne envie de partir à la découverte du monde » et laisse l1 adresse de l1 agence qui a payé leur déplacement à la fin du petit encadré sur la droite. Le service "Médias" qui est plus un service de presse au service de la maison qu1 un service avec la valeur ajoutée de l1 esprit critique des journalistes déjà pas très développé quand il s1 agit des médias. Et je vous ai gardé le meilleur pour la fin : les signatures. Quand je vois Minc qui écrit Roudinesco ou Tillinac alors là je pète un plomb, car en plus d1 écrire dans le Monde sur les livres des autres et ben, il y en a qui écrivent dans le même journal des articles sur leurs livres à eux et là je trouve que ça a un coté partouzard bien français, c1 est un coup à se mordre la queue mutuellement et chacun son tour, une confusion des genres total. D1 accord ils sont pas toujours très brillants au service culture, tout bourgeois de gauche parisiens formatés qu1 ils sont, mais de là à avoir des « contributeurs » ou des « personnes de référence » pour écrire sur certains sujets, je trouve ça catastrophique quand on sait que tout se petit monde se reproduit entre eux, se fréquente à la ville, comme aux champs, dans des colloques, des séminaires etc. ... Si Le Monde voulait vraiment être le quotidien de référence qu1 il se prétend être, je me demande si c1 est pas sous pseudo ou anonymes que devraient être les articles. Evidemment la mégalo des journalistes en prendrait un coup, mais les « sentiments d1 obligation », « l1 autocensure », les « renvois d1 ascenseurs », le « devoir de réserve », le sentiment « d1 écrire sous contrôle », les joutes des chroniqueurs plus destinés aux « confrères » s1 en trouveraient peut être diminués.

Ah oui ! une dernière idée : avoir des mecs qui soient payés par le journal pour vivre la vie sans carte de presse, des partenariats avec des « vrais gens » dans les entreprises, les administrations, bref des petits Gunther Walraff qui feraient « un contre travail de propagande » et ne verraient pas le monde qu1à travers les piles de documentation que les services de presse leur donnent etc. ... ça, ça serait du journalisme. Allez ce qu1 il faudrait au Monde pour être un journal de référence : des mecs qu1 ont des tronches à passer la nuit au poste, et qui les passent, des mecs qu1 habitent à la Courneuve, qu1 ont pas de diplômes et qui régulièrement bossent à l1 usine ou dans des start up, font de la tôle pour non paiement de pension alimentaire, n1 ont pas les moyens de se payer le taxi et de se le faire rembourser, des fils de marins pêcheurs, d1 ouvriers du bâtiment.

Chaque fois que je fous les pieds rue Claude Bernard, je les trouve tellement beaux, tellement lissés, tellement conformes, mis aux normes que j1 espère quand même que sur le lot y en a qui souffrent un peu comme chacun d1 entre nous, et que peut être un jour ça finira par se sentir dans leurs papiers, que ça sera pas coupé. On sera sûr alors que Le Monde c1 est pas une annexe du journal officiel.

Article publié également sur le site du minirezo

 
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Notes

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