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Le Monde invente le devoir de réponse...

La prétention des journalistes de régenter le monde de la culture, suppose qu’en complément du devoir d’allégeance qui vous vaut quelques faveurs soit prescrit un devoir d’obéissance aux injonctions par nature démocratiques : le devoir de répondre [1].

Dans Le Monde daté du jeudi 3 mai 2001, on pouvait lire, sous la signature de Jacques Mandelbaum, une bien intéressante critique cinématographique du film documentaire de Pierre Carles « La sociologie est un sport de combat » . Le titre de cet article dit assez de quoi il est surtout question : « Pierre Bourdieu, mandarin du kung-fu ». Décyptyage mot à mot.

« Auteur du célèbre Pas vu pas pris, document pervers et corrosif... »

[ Pervers ?]

« ... sur l’hypocrisie médiatique prise à son propre piège, Pierre Carles signe aujourd’hui un long documentaire consacré au sociologue Pierre Bourdieu. On constatera d’emblée un notable changement de méthode (la déférence s’y substitue à l’insolence) et de cadre (un portrait, plutôt qu’un libelle). »

[Et alors ?]

« A bien des égards cependant, le sujet reste la révélation au grand jour des insidieux mécanismes de pouvoir qui régissent les institutions et les conduites sociales. »

[Cette formulation n’a rien de précisément bourdieusien, mais passons].

(...) « Plaisant et instructif spectacle, qui associe l’intelligence aiguë de cet homme à son réel pouvoir de séduction. Il est d’autant plus dommage que Pierre Carles ait cru bon de passer sous silence les sérieuses critiques dont Bourdieu a récemment fait l’objet,... »

[De sérieuses critiques ou des critiques sérieuses ? ]

... depuis la légitimité de la science dont il se prévaut

[Légitimité de la science ou validité de la science ?]

...jusqu’au paradoxe qui voit ce mandarin, professeur au Collège de France, se poser en victime du système.

[Où ? Quand ? Comment ? Bourdieu se pose-t-il en victime ? Et de quel système ?].

« Loin de constituer une réponse satisfaisante, le dialogue qui figure dans le dossier de presse du film entre le réalisateur et son "questionneur" Olivier Cyran semble destiné à désamorcer le débat, en tablant sur la stupidité de ses destinataires »

[Sans doute une confusion : lire « en tablant sur la lucidité des destinataires »].

A la question “ Pourquoi avoir fait l’impasse sur les attaques dont Bourdieu est l’objet dans les médias ? », Pierre Carles rétorque en effet : “ Ça ne présente aucun intérêt. Qui se souviendra dans cinquante ans des journalistes ou des invités permanents du petit écran qui l’ont attaqué alors que ses ouvrages de sociologie figureront, eux, au programme des universités (...). ” Cette réponse spécieuse (qui insulte les adversaires de Bourdieu) à une question fallacieuse (qui présente a priori le sociologue comme une victime), accentue, si besoin était, le parti pris apologétique du film, et les lacunes qui en découlent. »

On conviendra aisément que l’œuvre de Bourdieu puisse faire l’objet de « critiques sérieuses » (à ne pas confondre avec les « sérieuses critiques » qui, dans certains médias visent le « mandarin » et permettent à n’importe quel auteur de libelle d’affecter l’insolence).

L’essentiel est ailleurs. Comme il arrive souvent, Bourdieu est ici un prête-nom et un prétexte. Ce qui irrite notre critique de cinéma, c’est l’existence d’un véritable crime de lèse-majesté médiatique : tout refus de répondre aux injonctions (voire aux bassesses) de certains journalistes est une insulte. Ces très-importants (qui ne répondent jamais aux critiques sur l’importance qu’il se donne dans les médias et que les médias leur attribuent généreusement) ne supportent pas que l’on traite leur importance par le silence. Leur rêve ? Imposer - mais seulement aux destinataires de leurs « critiques » - cette nouvelle règle déontologique : le devoir de réponse.

 
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Notes

[1Le décryptage qui suit est initialement paru en mai 2001 dans la chronique « Le Monde en brèves »

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