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Le Monde est « saturé » par Sarkozy

par Grégory Rzepski,

Dans le traitement médiatique de la campagne présidentielle, on observe, en général, une sur-représentation de deux personnalités omniprésentes : M. Sarkozy et Mme Royal [1]. Ce constat est le point de départ de l’article de Raphaëlle Bacqué paru en page 2 du Monde le 29 septembre sous le titre « La saturation médiatique ». Une « saturation » dont les médias seraient coresponsables ? Que nenni...

Analyste de la scène médiatique ?

La journaliste [2] écrit ainsi en introduction : « C’est un ronron que l’on entend pratiquement tous les matins, au réveil. Un flot rythmé d’informations rapides où reviennent régulièrement les mêmes mots : “Sarkozy, Sarkozy, Royal, Villepin, Sarkozy, Sarkozy...” On sort, et c’est la même déferlante sur les affiches et les écrans : “ Sarkozy, Sarkozy, Royal, Villepin, Sarkozy, Sarkozy ... ” » Elle relève, par ailleurs, la mise en scène inhérente à cette occupation de l’espace médiatique quand elle note : « Que voit-on ? Une horde de caméras. Une forêt de micros. Puis un “ pack ” de gardes du corps. Et une petite brèche par laquelle se tendent des mains que l’on serre. De l’intérieur du cercle, après les trois couches caméras + micros + gros bras, que perçoit le héros/héroïne du jour du “ terrain ” ? Rien. »

Sur ces observations, comme sur « l’omniprésence de sondages sur tout et n’importe quoi. », rien à dire : l’évocation est éloquente... Mais partielle : du 28 août au 29 septembre 2006 (soit 28 éditions), Nicolas Sarkozy est apparu 20 fois à la une du Monde et Ségolène Royal 10 fois [3]. Même omission, quand la journaliste rappelle qu’« en 1995, Edouard Balladur (...) avait pâti d’apparaître comme le héraut des médias dominants » ou qu’« en 2005, lors du référendum sur le projet de Constitution européenne, bon nombre d’électeurs se sont mobilisés contre ce qu’ils ont interprété comme une campagne en faveur du oui des principales chaînes de télévision, des radios et des grands journaux  ». Raphaëlle Bacqué ne s’interroge pas sur l’implication de son quotidien dans ces précédentes « saturations ». Elle illustre sa thèse selon laquelle « depuis plus de dix ans, [le citoyen] vote presque systématiquement “ contre ” le candidat dont on lui rebat les oreilles. »

Quoi qu’il en soit, alors que l’on pouvait s’attendre à une analyse des raisons médiatiques de cette saturation, Raphaëlle Bacqué change brutalement de cap.

Conseillère en communication.

Eludant les motifs journalistiques de l’invasion de certaines personnalités dans les médias (et dans les colonnes du Monde), c’est, en effet, une toute autre question qu’elle soulève : « l’élection peut-elle être perdue du simple fait de ce qu’il faut bien appeler une saturation médiatique ? » Plutôt que de s’interroger sur la contribution des médias à la « saturation » qu’elle semble déplorer, elle se focalise sur les risques qu’elle fait courir aux candidats qui « saturent ».

Certes, elle constate, à sa façon, que la pluralité des titres ne fait pas le pluralisme des opinions : « l’explosion des chaînes privées a eu un effet paradoxal (...). Ce sont les mêmes sujets qui semblent aujourd’hui ressassés jusqu’à l’écœurement par des dizaines de canaux médiatiques supplémentaires ». Mais elle n’en tire aucune conséquence. Comme si elle entérinait ainsi le statu quo.

Raphaëlle Bacqué explique, par exemple, au sujet du président de l’UMP : « si l’on vous voit tous les jours, il faut tous les jours frapper les esprits afin d’être à nouveau remarqué. (...) On risque vite à ce jeu-là de susciter une forme d’anxiété dans l’opinion, forcée de suivre le rythme chaque jour plus rapide du maelström dans lequel chacun, à la fin, se trouve englouti. » Et d’ajouter : « la frénésie médiatique du ministre de l’intérieur (...) est pour beaucoup » dans cette omniprésence. « Pour beaucoup » ? Soit. Mais pour le reste ? Comme si la « frénésie » des médias (Le Monde inclus) n’était pas le relais consentant de la « frénésie » de Sarkozy.

Comme si les médias (en toute indépendance ?) ne pouvaient qu’abdiquer devant les stratégies d’occupation de l’espace médiatique par les politiques.

Résignation ou cynisme ? L’analyste des médias préfère le rôle d’experte en communication. Elle écrit ainsi de (à ?) Ségolène Royal : « Si elle est investie comme candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle, elle devra cependant, elle aussi, se défier de ce phénomène de saturation médiatique qui menace tous les favoris. Sa campagne sur le thème de la démocratie participative répond déjà à cette préoccupation. Mais, de plus en plus, lorsque la présidente de la région Poitou-Charentes se déplace, elle paraît, à son tour, engloutie dans une forêt de caméras. »

Dans la même logique, c’est exclusivement du point de vue de sa stratégie médiatique qu’elle analyse la démarche de François Bayrou, consistant à poser la question - somme toute normale dans une démocratie - des rapports entre grands groupes industriels, médias et partis politiques dominants : « [plusieurs candidats] cherchent (...) à apparaître comme des victimes du système médiatique, des exclus du pouvoir, des rejetés de l’élite. Jean-Marie Le Pen a bâti une grande partie de son succès sur ce thème, mais aussi François Bayrou, le président de l’UDF, qui présente l’avantage rassurant d’être, contrairement au président du Front national, un élu du système menant une campagne anti-système. » Que les prises de positions de Bayrou ne soient pas dénuées de toute dimension strictement tactique, c’est possible, voire probable. Mais peut-on les réduire à cela ? Ou pis, comme le fit Le Monde dans un autre article, se borner à dénoncer une variante de la théorie du complot [4] ?

On savait le « journal de référence » incapable de toute critique véritable des médias. On le savait aussi prêt à jouer, en fin stratège, le rôle de conseiller des Princes [5]. On sait désormais que le respect cynique du statu quo médiatique est inséparable de cet emploi.

 
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Notes

[1Le 30 septembre 2006, à la tribune des Etats généraux pour le pluralisme, Jean-François Téaldi (du SNJ-CGT) relevait qu’au 264ème jour de l’année 2006, Nicolas Sarkozy était apparu 266 fois dans les journaux télévisés de France 3.

[2Contrairement à ce que nous avions écrit initialement, Raphaelle Bacqué n’est pas « responsable du service politique », « service qui n’existe du reste pas sous cette dénomination », nous précise Olivier Biffaud, secrétaire général de la rédaction du Monde et grand lecteur d’Acrimed. (Rectificatif du 10 octobre 2006)

[3Dans les titres ou dans les dessins

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