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Pratiques du journalisme

Le Monde célèbre les « décideurs » du monde des médias

Le Monde, quotidien des « décideurs », entreprise dont les chefs vénèrent les chefs d’entreprise, est une entreprise de presse qui sait accorder toute la place qui leur revient aux puissants du monde des médias. Voici, en plusieurs échantillons [*], quelques exemples de cette fonction de zélateur des puissances médiatiques ...

Le Monde s’extasie devant Dominique Baudis

Rarement les lecteurs du Monde, pourtant rompus aux portraits patronaux dégoulinants d’épithètes élogieux, n’ont pu lire une description aussi prévenante que celle consacrée à la personnalité de Dominique Baudis, nouveau président du CSA (" Dominique Baudis, la tentation de l’imprévu ", Le Monde daté du 18 janvier 2001) :

« Homme libre, virtuose du consensus [...] pas redouté [...] ce grand jeune homme blond aux yeux bleus qui parle clair, qui se méfie des adjectifs et qui ne s’emballe pas [...] se tient à distance de tout engagement trop prononcé [...] image lisse policée, souriante, sympathique. [...] Et, s’il s’était représenté une quatrième fois, en mars 2001, les sondages lui accordaient encore une fois une réélection triomphale. [...] Le bilan est là. Si Dominique Baudis a été désigné par ses pairs " meilleur maire de France ", ce n’est pas par hasard. Si, à 80 %, les Toulousains plébiscitent l’action de leur maire, ce n’est pas non plus par aveuglement. Si l’opposition n’est jamais parvenue à dresser quelqu’un contre lui - un moment pressenti, Lionel Jospin ne s’y est pas risqué -, ce n’est pas par faiblesse congénitale. [...] Un cocktail magique : de l’emploi, de l’activité, de la richesse et, en même temps, des loisirs, du cadre de vie, de l’humain. [...] Ses amis font remarquer que si Dominique Baudis a accepté ce poste, c’est parce qu’il était non partisan, ouvert aux solutions consensuelles, pour le service de tous. [...] En position d’attente, toujours disponible pour " l’imprévu ". Au cas où, par exemple, le champ de ruines de la droite appellerait, dans six ans, pour le prochain quinquennat, un home neuf.  »

Cette coulée de pommade fut signée Jean-Paul Besset. Comme le relève le Canard enchaîné du 24 janvier 2001, à la tête du CSA, Baudis devra statuer au printemps 2001 sur l’attribution d’une fréquence de télévision locale pour laquelle Le Monde, allié à François Pinault, s’est porté acquéreur [1]

Le Monde héberge Jean-Marie Messier

Le Monde est-il en train de se spécialiser dans la communication d’entreprise ? La question mérite d’être posée.

Non content de publier les communications d’IntermédiaFrance - la dernière en date concerne le Sénégal -, non content de prendre le train pour s’attirer les faveurs des entreprises et des cadres, Le Monde publie de plus en plus fréquemment - sous couvert d’animation du débat public - les messages publicitaires des chefs d’entreprises.

Au printemps dernier, Le Monde nous avait gratifié des leçons de morale de Patrick Le Lay destinées à habiller la guerre commerciale qui opposait TF1 à M6 autour de l’émission "Loft Story". Et après avoir offert à Jean-Marie Messier, le 10 avril dernier, la possibilité de se présenter en apôtre de la "diversité culturelle" pour légitimer auprès des lecteurs l’image de Vivendi et sa propre image, Le Monde récidive dans son édition du 19 décembre 2001 en publiant un "point de vue" de JMM.

Ce "point de vue" qui s’ouvre en "une" - sous le titre "Construire les ponts de l’après-11 septembre" - est un concentré des banalités bien-pensantes et des lieux communs dégoulinants qui font l’ordinaire des médias depuis le 11 septembre. A une nuance près : ici chaque "argument" est un "argument de vente" pour la "marque" Vivendi et pour son camelot...

Mais la communication d’entreprise ne doit rien au hasard. Le même jour Le Monde publie en avant-dernière page - la dernière est occupée par une publicité dont l’emplacement transforme le lecteur en "support" - une information qui livre le sens de l’auto-promotion à la "une" de Vivendi et de son patron. Sous le titre "Jean-Marie Messier signe la fin de l’exception culturelle française", Thomas Sottinel rapporte les déclarations de JMM qui cherche à dénoncer l’accord conclu entre Canal+ et le cinéma français.

Le Monde - inconsciemment ou complaisamment, peu importe - permet à son hôte " philosopher" à la "Une", pour atténuer l’effet de l’information qui paraît le même jour...

Il est vrai que le lendemain, 20 décembre 2001, Le Monde - sous le titre "Vives réactions aux déclarations de Jean-Marie Messier"- donne la parole aux producteurs de cinéma et à la ministre de la Culture, Catherine Tasca. On peut même lire, en cherchant bien, un lambeau de phrase extrait d’une déclaration de la Société des Réalisateurs de Films (S.R.F.) : les premiers concernés (avec le public) ont droit à deux lignes. Mais nul doute qu’ils pourront s’exprimer ... dans les pages "Horizons-débats"...

En attendant, le 21 décembre, Le Monde publie dans les pages "Horizons", une grande "enquête" sur l’un de ses personnages préférés. Cela s’intitule sobrement "La deuxième vie de Jean-Marie Messier". Quant à la page "Débats", elle s’ouvre à la "une" par une tribune de ... Bernard-Henri Lévy.

Parfois, certaines coïncidences... [2]

Le Monde admire Jean-Marie Cavada

Dans son édition du 22 novembre 2001, Le Monde publie, sous la plume de Bénédicte Mathieu un article titré " M. Cavada veut faire de Radio France la référence du service public. " Avec un titre aussi distancié, l’article ne pouvait être qu’un sommet de flagornerie.

Extraits (soulignés par nous) :

« Réélu à la présidence de la Maison ronde, mardi 20 novembre, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le journaliste, qui a présenté un bilan positif, veut poursuivre la modernisation et la décentralisation des antennes. Jean-Marie Cavada et Radio France vieilliront ensemble [sic] et, chemin faisant, le président poursuivra la modernisation de la Maison ronde qu’il mène avec énergie depuis 1998. (...)

Aux termes de la loi, il devra quitter Radio France le 24 février 2005, jour de ses soixante-cinq ans, mais, avec ce septennat annoncé, il peut déjà se féliciter de jouir du mandat le plus long jamais accordé à un président de Radio France.

L’homme est heureux de continuer l’aventure. Au terme de sa gestion, il peut en effet afficher un bilan globalement positif. Journaliste au caractère bien trempé, fort d’une expérience de commandement pendant vingt-cinq ans à France 3, " La Marche du siècle " ou Radio France Outre-Mer (RFO), il a orchestré la mutation de Radio France, qui perd peu à peu ses oripeaux de maison vieillissante, fermée sur elle-même ou enkystée dans un malaise récurrent : "Nous avons voulu apporter de l’oxygène, c’est fait", dit-il. Il s’est montré fidèle à son credo : "La mission est exceptionnelle, mais l’entreprise est normale." »

Bilan positif, modernisation, longévité, expérience du commandement : Bénédicte Matthieu ne le répètera jamais assez...

Au point de ne même pas remarquer que Jean-Marie Cavada, formidable serviteur du Service public, parle des chaînes comme un patron d’entreprise et définit ces chaînes comme des "marques".

« La métamorphose a été récompensée par les chiffres de Médiamétrie du 15 novembre : Radio France est forte de 29,7 % de parts de marché d’audience, France Info étant devenue la deuxième radio de France avec 13,2 % : " Nous avons réussi à combiner une complémentarité des marques et montré que le service public avait un savoir-faire. Les événements du 11 septembre nous ont aidés, mais ils ont été les mêmes pour toutes les radios ", explique le président qui s’enorgueillit également d’avoir " donné de l’espoir aux équipes de la maison " et " formé une équipe de direction homogène ". »

On se surprend à cauchemarder : et s’il s’agissait du portrait de Jean-Marie Colombani [3].

 
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Notes

[*Ces échantillons ont été prélevés, sans modification, dans une ancienne présentation chronologique du Monde des années 1999-2002 : la date de publication antérieure est indiquée en note à la fin de chacun d’entre eux.

[1Première publication : 22 janvier 2001 - Avec PLPL).

[2Première publication : 21 décembre 2001.

[3Première publication : 8 décembre 2001- Avec PLPL.

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