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Le Monde ausculte l’intimité de Mme Agacinski et de M. Jospin (2)

{Le Monde} détecte un " phénomène de société ".

Le numéro spécial du "Monde" consacré le 26 septembre 2002 au livre et à la personne de Mme Agacinski n’a pas suffi. Il a fallu en outre, que "Le Monde" - dans la version "Le Monde des idées" sur LCI et sous la responsabilité d’Edwy Plenel - invite Mme Agacinski deux jours plus tard. Mais surtout il était inévitable que "Le Monde" rédige la chronique de sa propre audace. En trois épisodes.

Le texte précédent : "Le Monde" ausculte l’intimité de Mme Agacinski et de M. Jospin (1).

Premier épisode : un " débat "

Dès le 30 septembre, paraissait un article sur la " publication qui fait débat ". Cela valait bien une mobilisation générale, par Le Monde, de " ses " intellectuels. Elle fut confiée à Olivier Schmitt et Nicolas Weill. Une demi douzaine d’intellectuels, cela donne " les " intellectuels et ce titre qui emporte la conviction sur l’importance du " débat " : " Les intellectuels se divisent sur le journal de Mme Agacinski. Les uns dénoncent sa médiatisation, d’autres partagent ses critiques d’une partie de la gauche. "

Le liste de ces " uns " et de ces " autres " se passe de commentaires : "L’écrivain Max Gallo, proche de Jean-Pierre Chevènement ", " Denis Tillinac, proche de Jacques Chirac" , "Monique Nemer, conseillère auprès du président d’Hachette Livres et ancienne animatrice du comité de soutien à la candidature de M. Jospin ", Catherine Clément, " philosophe ", " qui a soutenu le candidat Chevènement ", " un jeune philosophe, Patrick Savidan, rédacteur en chef de la revue Comprendre (PUF), dont la dernière livraison est consacrée à " l’homme politique " ", " Zaki Laïdi, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) et animateur d’En temps réel, une fondation qui s’interroge sur la " modernisation " de l’actuelle opposition ", et ... " le philosophe Alain Finkielkraut ".

Un échantillon qui n’est représentatif de rien, si ce n’est sans doute des préjugés ou des présupposés de ceux qui l’ont constitué. Il est vrai que Mme Agacinski, étant classée dans la catégorie des intellectuels, méritait un meilleur traitement que Mme Sinclair que Nicolas Weill épinglait une semaine auparavant (voir ici même : "Quand "Le Monde" s’insurge contre la connivence")...

Après ce compte-rendu des " divisions " d’un microcosme constitué pour les besoins de l’article qui leur est consacré, nous n’en avions pas fini pour autant. Il restait au Monde à inventer un " phénomène de société " pour se flatter d’en avoir été le reflet.

Deuxième épisode : Un " phénomène de société "

Quel " phénomène " ? Raphaëlle Bacqué nous l’apprend dans un article du Monde daté du 5 octobre 2002 : " Vie privée - vie publique : les politiques abolissent la frontière".

Désormais, épouses et parents occupent des fonctions officielles auprès des ministres. A Matignon, on estime que cette intrusion de la famille dans la sphère publique "est le reflet de la vie moderne". Certains collaborateurs sont gênés par ce "mélange des genres. "

Pour comprendre la raison de ce soudain intérêt pour un sujet rebattu depuis des années, il faut découvrir, au détour de l’article ce savoureux passage :

" La publication du journal de Sylviane Jospin, relatant la campagne et la défaite de son mari alors que ce dernier garde le silence, a fini de persuader chacun que ce mélange entre vie privée et vie publique était désormais une caractéristique commune à l’ensemble du milieu politique... "

Résumons : Le Monde ayant tout mélangé, chacun est désormais " persuadé " qu’il est inévitable de tout mélanger.

On aurait pu en rester là, quand, enfin, le médiateur vint !

Troisième épisode : une tentative de médiation

" Spécial Sylviane " : attribuant à sa chronique du 6 octobre 2002 le titre qu’eut mérité le numéro du Monde du 26 septembre 2002 dédié à l’" épouse " de M. Jospin, Robert Solé, médiateur au Monde, intervient.

Le début de sa chronique ressemble à s’y méprendre au commentaire d’Acrimed (voir "Le Monde scrute l’intimité de Mme Agacinki et de M. Jospin")

" Sur les 572 essais et documents publiés en France au cours de cette rentrée d’automne, il en est un qu’on ne peut pas accuser Le Monde d’avoir négligé : Journal interrompu, de Sylviane Agacinski (Seuil), a eu droit, dans le numéro du 26 septembre, à cinq colonnes à la "une", avec ce titre : "L’échec de Jospin vu par sa femme". Les lecteurs n’étaient pas trompés sur la marchandise puisque les pages intérieures comptaient un article d’information, des extraits du livre, une critique de Josyane Savigneau, une chronique de Pierre Georges, ainsi qu’une longue interview, relue et amendée par l’auteur, qui avait été recueillie par trois journalistes de la maison, et non des moindres : le directeur de la rédaction, Edwy Plenel, la chef du service France, Anne-Line Roccati, et son adjoint, Hervé Gattegno. "

Le ton est donné. Des extraits de lettres de lecteurs dénoncent un " non-événement ", " une opération ", la faveur " lamentable " accordée à cet " affligeant témoignage ".

Et Robert Solé tirant parti d’une lettre de lectrice qui se demande " comment une conférence de rédaction peut accoucher de décisions à ce point hors du commun. ", livre cette étonnante information :
" Le Monde tenant à être le premier à révéler le contenu du livre -, la décision a été prise en tout petit comité. Et ce n’est qu’après la publication des articles qu’un débat a eu lieu. "

Apparemment, le scoop a ses raisons qui ont raison des délibérations collectives de la rédaction du Monde...

Encore fallait-il, pour déguiser la révélation en investigation et transformer le scoop en événement, trouver des arguments. Robert Solé nous les livre à l’état brut (dans tous les sens du qualificatif) :

" Les responsables de la rédaction justifient leur choix par un double argument :

 1) S’il ne s’agissait que d’un livre, le récit de Mme Jospin aurait mérité un simple compte rendu, peut-être accompagné d’une interview, comme tous les livres. Mais c’est un document, et même un événement politique. (...)

 2) Ce livre illustre un nouveau phénomène : la place des épouses dans la vie politique, qu’il s’agisse de Bernadette Chirac, auteur d’un best-seller l’an dernier, ou de Cécilia Sarkozy, qui possède un bureau au ministère de l’intérieur. (...) "
Et Robet Solé de citer : " "Indépendamment de l’avis qu’on peut avoir sur son contenu, affirme Edwy Plenel, ce livre illustre une "familialisation" de la vie politique : il témoigne d’une "publicisation" du privé. C’est un phénomène de société que nous avons le devoir, nous journalistes, de mettre en lumière et d’analyser. "

Miracle de l’alchimie médiatique - la transmutation du plomb en or - ou comment la transformation par Le Monde lui-même d’un livre en " document et même un événement politique " permet de justifier que Le Monde consacre toute son énergie à traiter de l’événement qu’il a lui-même créé !

Que ce prétendu " phénomène de société " soit le produit du marketing politique dont les médias (et Le Monde particulièrement) sont les auxiliaires ne doit pas effleurer l’esprit : Le Monde n’est pour rien dans les " phénomènes " qu’il prétend observer et analyse. C’est d’ailleurs parce que la première édition de " Loft Story " et son audience furent élevés par Le Monde au rang de " phénomène de société " que Le Monde s’estima contraint de lui consacrer plus de trois titres de " Une " et d’innombrables articles.

Mais poursuivons ...

Après avoir résumé d’autres avis de lecteurs, le médiateur se risque : " L’avis du médiateur étant sollicité, je le donne volontiers ".

Voici cet avis :

" Il était évidemment intéressant de savoir comment la personne la plus proche de Lionel Jospin a vécu la campagne présidentielle et l’échec du candidat socialiste. Le Monde était dans son rôle en dévoilant ce livre, après avoir été également le premier à révéler celui d’Olivier Schrameck. En d’autres temps, ce genre d’exclusivité appartenait aux hebdomadaires. "

On ne commentera pas l’importance de ces " dévoilements " et " révélations ", d’autant plus importants qu’ils bénéficient de l’ " exclusivité ".

Mais on relèvera la pris de distance prudente qui suit :

" Le récit de Sylviane Agacinski méritait certainement une place en première page. Mais pourquoi cinq colonnes en tête ? Ce jour-là, l’actualité ne manquait pas. L’épouse de l’ex-premier ministre était en concurrence avec la présentation du budget 2003, l’annonce inattendue de l’assouplissement du pacte de stabilité en Europe, l’envoi de GI américains en Côte d’Ivoire, le virulent discours d’Al Gore contre la stratégie de George Bush... La fonction principale de la manchette est-elle d’attirer le chaland ou de souligner ce qui, dans l’actualité du jour, est le plus important, le plus significatif, le plus susceptible d’influer sur la vie nationale ou internationale ? "

Cette question en appelle une autre : pourquoi le médiateur ne répond-il pas explicitement à sa propre question ?

NB : Cet article n’est pas un article quelconque : c’est un " document " et un " événement politique " dont " l’exclusivité " appartient à Acrimed (aidé par les documentalistes de PLPL). Et ce Nota Bene lui-même est un " phénomène de société ".

 
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