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Libéralisme

Le Figaro "se paye" les fonctionnaires

par William Salama,

« Privilégiés », « fonctionnaires fossiles », « administration pléthorique »… Le Figaro nous propose un « voyage aux pays des fonctionnaires ».

Acte Un : Français si vous saviez !

2 avril 2003. Lancement contextuel (le châpo inscrit l’article dans le cadre des manifestations sur les retraites) avec bouclier de protection : « Le Figaro publie le premier volet d’une enquête consacrée à ces fonctionnaires que Jean-Pierre Raffarin a honorés, lundi, du titre de « premiers militants de la République », et ouverture du lance-flammes : « mais lorsqu’on les interroge individuellement, nos concitoyens poussent des cris d’Indien  ». Fort heureusement Le Figaro joue les cow-boys redresseurs de torts.

Mais jamais trop prudent, si le quotidien caresse d’abord dans le sens du poil, soulignant l’attachement irrationnel et émotionnel des français à leur fonctionnaires, c’est pour mieux battre en brèche ce paradoxe. Irina de Chikof entame en effet courageusement son article en reproduisant un vieux sondage (dans l’espace-temps médiatique) du CSA (décembre 2002), publié à l’époque par Le Parisien. Usant d’un ton condescendant et sans détails méthodologiques (quel échantillon ?) on réapprend que « pour 68 % des personnes interrogées les fonctionnaires sont dévoués  » (comme l’étaient nos domestiques ?) […] mais 7 % seulement trouvent que les services publics fonctionnent bien et 3 sondés sur 4 estiment que les fonctionnaires sont des privilégiés ». Sur la foi de ce sondage, Le Figaro décrète ainsi les français n’aiment plus leurs fonctionnaires - CQFD.

Ce « glissement » se serait opéré « sans qu’on y prenne garde » et trouve son explication dans le fait que le « l’usager est devenu un client ».

Et comme si le qualificatif ne suffisait pas, Le Figaro en rajoute une couche « le citoyen est devenu consommateur » ! Fichtre ! Même Raffarin n’oserait pas !

Suivent ensuite sur 7 colonnes un étalage de poncifs, vacheries et griefs les plus éculés, les allusions les plus pernicieuses : « Ah ! les cartes grises perdues, les impôts qui n’arrivent jamais à enregistrer un changement d’adresse, l’entêtement d’un agent de la Sécurité sociale, la mauvaise volonté d’un guichetier à la poste ! On peste. On enrage » donnant la parole à des témoins anonymes, utilisant des citations bien choisies (le non moins inutile « Notre Etat » de Roger Fauroux, par exemple) ou de députés, ici le Morbihannais, François Goulard se tapant sur les cuisses et dont la journaliste s’amuse de la « moquerie facile » : « Faites confiance aux fonctionnaires, ils s’inventeront du travail qui sera inutile, voire nocif en compliquant la vie des administrés ".

Il y a donc trop de fonctionnaires, qui, en plus, se plaignent : « au CNRS, ils sont plus de 11 000 chercheurs. Claudie Haigneré entend supprimer 137 postes. Les syndicats affirment qu’on les égorge ». Etrange sortie tout de même, alors que les médias s’alarment du déclin de la recherche française (Cf. Libération titrant sur la « diète historique de la recherche », le jour même) et que le gouvernement lui-même prend des mesures (plan pour l’innovation). Mais le CNRS n’est pas le seul obèse, Le Figaro nous trouve l’agriculture « riche de 37 000 fonctionnaires pour moins de 900 000 agriculteurs […] quand, dans les années 70, il y avait encore plus 2,8 millions de paysans, l’administration n’avait que 28 000 agents ». Le martyrologue se poursuit avec l’Education nationale et les « 37 000 individus » recensés par le Sénat, dont certains n’enseignent jamais et sont détachés. Précision forcément utile, la journaliste juge approprié de placer à cet endroit de sa démonstration que l’Ifrap a « retrouvé » l’un de ces enseignants (ou « clandestins ») délégué au mouvement anti-mondialiste Attac. Mais il y a aussi les fainéants des ministères, spécialisés dans l’ « absentéisme » quand ce ne sont pas des « fonctionnaires fossiles ». L’Hôpital souffre selon Bernard Debré de « surcoûts venant des salaires d’une administration pléthorique » et autre « technostructure cubiste ».
Quel échantillon...

Acte deux - et en plus ils nous narguent ?

Le lendemain, 3 avril 2003, Le Figaro trouve encore des arguments pour développer un long article de fonctionnaires satisfaits : « privilèges, vous avez dit privilèges ? ». Cette fois posté dans les pages saumon (il était la veille, en page société), le missile est moins frontal, mais forme une belle composition face à une enquête sur le dossier des retraites « accaparé » par la fonction publique. Cette fois, Irina de Chikof laisse astucieusement la défense se faire piéger (« En France, les syndicats défendent les intérêts particuliers des corps de fonctionnaires au mépris de l’intérêt général. Ils entretiennent l’opacité pour s’en servir. Le secteur public est l’ultime bastion des syndicats. Il leur fournit une part importante de leurs militants et de leurs ressources financières. Face à la nécessité de refonder l’Etat, les syndicats sont les alliés objectifs de la haute fonction » )

La chute est assez hypocrite reprenant des propos d’un Directeur de recherche au CNRS (Luc Rouban) « Les fonctionnaires sont un bouc émissaire facile depuis Courteline et ses ronds-de-cuir ils sont une figure privilégiée de la caricature, tantôt bureaucrates paresseux, tantôt apparatchiks inquiétants. Les clichés sur les fonctionnaires sont souvent des idées reçues sur le fonctionnement même de la société. », la journaliste ne peut s’empêcher prendre ses rêves libéraux pour la réalité des chers concitoyens : « comme si la fonction publique était un miroir ».

Acte trois - interruption...

On attendait donc avec impatience la suite de ce « voyage » prévu en trois volets, du 2 au 4 avril, mais Le Figaro n’en a finalement ouvert que deux. Osons cette hypothèse : Y aurait-il eu une déprogrammation devant le succès des manifs ?

 
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