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Laurent Baffie s’amuse ? Salut les sexistes !

par Pauline Perrenot,

Au cours de l’émission « Salut les terriens ! » diffusée le 23 septembre sur C8, Laurent Baffie soulève la jupe de Nolwenn Leroy sous les rires de Thierry Ardisson, qui interroge : « C’est pour l’audience ? ». « Faut du cul ! Faut du cul ! », s’empresse de répondre le chroniqueur/humoriste, secondé par un présentateur simulant la réprimande à coups de propos sexistes : « C’est une jeune maman Laurent ! ». Et Baffie de conclure l’échange : « Une belle jeune maman ! »

Cette séquence, et les réactions qu’elle a provoquées dans certains médias comme Public, Gala ou encore dans l’émission « Touche pas à mon poste », témoignent de l’enracinement dans les médias de ces comportements qui nourrissent la culture du viol [1]. Comme à chaque fois, la défense-réflexe d’un collègue (et ami pour certains) adoubé pour son « franc parler », le divertissement et l’ambiance « bon enfant » de l’émission sont brandis comme autant de paravents justifiant que l’on appelle « blague », « jeu », ou que l’on présente comme un simple « geste déplacé », voire comme un simulacre ce qui est en réalité une agression.

Cette agression est d’autant plus grave que, propos sexistes à l’appui, elle prétendait faire rire les téléspectateurs. La réaction « C’est une jeune maman ! » revêt en effet ici un caractère doublement pervers : elle ramène tout d’abord Nolwenn Leroy à son statut de mère, alors que la chanteuse est invitée pour promouvoir son nouvel album. Puis, prononcée sur le ton de la réprimande – surjouée et feinte qui plus est – elle laisse à penser que le fait d’être une « jeune mère » fait figure d’exception et constitue en lui-même un argument contre ce qui vient de se passer. Comprenons : « Pour toutes les autres, ce n’est pas grave, mais elle c’est une jeune mère, alors quand même ! » : voilà qui alourdit encore un peu plus le dossier « Sexisme médiatique » de l’émission « Salut les terriens ! » [2].


Le « bienveillant » Laurent Baffie

Depuis l’émission, cette agression fait l’objet d’analyses et de commentaires dans les médias, pour le meilleur [3]… mais également bien souvent pour le pire.

Sur la première marche de ce sinistre podium, un article de Gala signé de « La rédaction » le lendemain de l’émission de C8, dans lequel on peut lire ceci :



À la bonne heure !

Non contente de peiner à nommer un acte condamné par la loi [4], la rédaction de Gala écume un à un les procédés rhétoriques contribuant à minimiser l’agression et, ce faisant, à la légitimer. Le magazine féminin prend moins de pincettes et use de moins de guillemets lorsqu’il s’agit de défendre ouvertement Laurent Baffie, un homme « bienveillant » ayant le « compliment » – ce que Gala estime être un compliment – facile… Et comme ce n’était pas suffisant, Gala renvoie à un second article de son cru, véritable chanson de gestes retraçant le parcours d’un papa exemplaire ayant « à cœur de défendre [la lutte contre] les violences conjugales » :



Apporter toutes les preuves de la bonne foi de l’agresseur en oubliant totalement la victime… De telles saillies en disent long sur les complaisances dont bénéficie le sexisme dans certains médias.

Un phénomène dont le magazine Public sait quelque chose, qui, de fioritures en euphémismes, romance et édulcore à outrance son « récit des faits » [5] :

Samedi soir, lors de l’interview de Nolwenn Leroy par Thierry Ardisson sur le plateau de Salut les Terriens (C8), Laurent Baffie a eu un geste déplacé envers la chanteuse française qui a tout récemment donné naissance à son premier enfant, fruit des amours avec le tennisman Arnaud Clément. Invitée pour parler de son nouvel album, Gemme, la belle a, alors qu’elle complimentait Michel Fugain assis juste à côté d’elle, vu la main de l’humoriste se poser sur sa cuisse et tenter de remonter sa robe.

On notera ici que ce n’est pas l’humoriste qui a posé sa main sur la cuisse de la chanteuse, mais « sa main qui s’est posée ». À l’insu de son plein gré ?


« Touche pas à mon poste »… évidemment

L’émission « Touche pas à mon poste », diffusée elle aussi par C8, ne pouvait se garder de réagir. Coutumiers et coutumières de la banalisation des agressions sexuelles, comme le rappelle à bon escient le journaliste David Perrotin pour Buzzfeed, les chroniqueurs et chroniqueuses de l’émission se disputent la défense de Baffie au gré de plaidoyers consternants, après que Rokhaya Diallo a tenté d’exprimer un avis divergent en condamnant le geste de l’humoriste :


- Cyril Hanouna : « Je te le dis [à Rokhaya Diallo], c’est un pote contre qui t’es énervée et je comprends moyen la polémique. […] Alors on va regarder l’image parce que le CSA a précisé qu’il allait ouvrir une enquête là-dessus. Alors le CSA il bosse beaucoup hein sur C8. Ils ont qu’une chaîne. On regarde. »

- Valérie Benaïm : « Je comprends ce que tu veux dire, mais là en l’occurrence tu as parlé de jeu. Et on avait tout à fait conscience qu’il s’agissait entre eux d’un jeu. La seule personne qui a le droit de dire […] “ je n’ai pas été à l’aise, je trouve que Laurent Baffie a été trop loin ”, c’est Nolwenn Leroy, c’est la seule qui a le droit de dire ou pas comment elle a vécu et ce qu’elle a ressenti. Et effectivement, s’il n’y avait pas cette notion de jeu, et s’ils n’avaient pas dit l’un et l’autre, lui qu’elle est belle et qu’il l’admire et elle, qu’elle aime énormément Laurent et que ce sont des amis, ça aurait pu prêter à confusion mais là, il n’y a pas confusion. »

- Isabelle Morini-Bosc : «  Moi aussi c’est le personnage de Baffie, je suis désolée Rokhaya, mais il est comme ça Baffie. Moi quand il m’appelle « pute » dans la rue, « Hé ! La pute ! », c’est évident que je pense sincèrement qu’il ne pense pas que je le suis. »

- Cyril Hanouna : « Il vous appelle “Hé ! La pute” ? »

- Isabelle Morini-Bosc : « Oui, c’est là que je me suis retournée d’ailleurs parce qu’avant, j’avais pas entendu. [Rires généralisés] Là honnêtement c’est gentillet et tout, et le fait que le CSA réagisse à ça parce que quelqu’un a fait un signalement, je trouve ça désastreux. »

« Désastreux », c’est bien le mot.


***


Suite aux nombreuses plaintes d’internautes, le CSA a effectivement ouvert une enquête. Thierry Ardisson a réagi :

Je suis un citoyen français qui répond aux lois de mon pays. Si une association de lutte contre le remonté de jupe m’attaque, très bien. Mais, moi, le CSA, je ne reconnais pas cette juridiction intermédiaire ! Le truc coûte 40 millions d’euros par an à la collectivité nationale, au moment où on ampute le budget de FranceTélévisions de 80 millions d’euros ! Le CSA s’appuie sur des signalements, je déteste ce système de dénonciation anonyme. On se croirait en 1942, époque où les Français avaient déjà une fâcheuse tendance à dénoncer. […] Je fais ce que je veux ! C’était une blague entre Laurent Baffie et Nolwenn Leroy qui sont par ailleurs très très potes ! [6]

« Je trouve cela incroyable ! C’est Orwell ! On rêve ! », lance encore le présentateur… On ne peut que lui retourner l’indignation : dans le petit monde des « Terriens », l’ignorance c’est la force, et l’agression le consentement.


Pauline Perrenot


Post-scriptum : Laurent Baffie lit-il les textes qu’il signe ?

Le 25 septembre, Le Monde publiait un « Manifeste pour un média citoyen » [7]. Média qui, selon les signataires au rang desquels se trouve Laurent Baffie, « sera féministe et défendra les droits LGBTI : il soutiendra l’émancipation des femmes et l’égalité entre les genres. »


 
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Notes

[1Les mouvements féministes définissent la « culture du viol » comme l’ensemble des mécanismes rhétoriques et des comportements contribuant à minimiser, relativiser, nier voire approuver les agressions sexuelles et les viols dans la société. Parmi ceux-ci par exemple, trouver des excuses à la personne qui agresse et/ou culpabiliser la personne qui subit l’agression.

[2Voir nos deux articles sur le sujet, concernant Jade Lagardère et Brigitte Macron.

[3Voir notamment, sur le site TerraFemina un article de Charlotte Arce dans lequel on peut lire ceci : « Cette tendance qu’ont certaines émissions à minimiser les actes de l’agresseur, à les excuser ou à rejeter la faute sur Nolwenn Leroy fait partie intégrante de la culture du viol et contribue à perpétuer les violences sexistes et sexuelles. » Ou encore l’article de Nadia Daam dans Slate.

[5Sur le sujet, lire aussi notre article Violences conjugales : l’insoutenable légèreté du journalisme.

[6Les propos cités par TVMag.

[7Article payant.

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